Selon l’avocat Jan Fermon, la Turquie est coupable de trois types de crimes dont la responsabilité incombe aux plus hauts niveaux de l'État
Jan Fermon, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit pénal international

Selon l’avocat Jan Fermon, qui est récemment intervenu en tant que procureur au Tribunal permanent des peuples sur le Rojava, la Turquie est coupable de trois types de crimes internationaux dont la responsabilité incombe aux plus hauts niveaux de l’État.

L’État turc et ses supplétifs djihadistes poursuivent leurs attaques contre le nord et l’est de la Syrie, en ciblant délibérément les civils et les zones résidentielles. Envahies par la Turquie en 2018 et 2019, les villes d’Afrin, de Girê Spî (Tall Abyad) et de Serêkaniyê (Ras al-Aïn) ont subi des changements démographiques, des déplacements forcés, des pillages et des violations des droits humains depuis leur occupation.

Des centaines de civils ont été tués et des milliers déplacés. Les violations des droits humains n’affectent pas seulement les Kurdes, mais aussi les autres composantes ethniques de la région comme les Arabes et les Syriaques. Les cas d’enlèvement, de viol et d’exécution de femmes sont en augmentation, de même que les atteintes au patrimoine historique et culturel. 

Après l’effondrement du régime d’Assad en décembre dernier, l’État turc et les milices djihadistes regroupées au sein de l’Armée nationale syrienne (ANS) ont pris pour cible de nombreuses zones de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (DAANES), cherchant à prendre le contrôle total de la région. Ces attaques ont entraîné la mort de dizaines de civils, dont des journalistes kurdes, tout en causant d’importants dégâts aux infrastructures et aux services essentiels. Avec ces agressions armées, l’État turc cherche à déstabiliser la région et à étendre son occupation. Cependant, les habitants de la région continuent de résister à ces attaques, comme en témoigne leur défense inébranlable du barrage de Tishrîn.

Jan Fermon, avocat expert en droit pénal, droit humanitaire et droit international du barreau de Bruxelles, est intervenu en tant que procureur à la session du Tribunal Permanent des Peuples (TPP) sur le Rojava, qui s’est tenue à Bruxelles les 5 et 6 février. L’agence Firat News (ANF) s’est entretenue avec lui sur les implications des actions de l’État turc dans le nord et l’est de la Syrie au regard du droit international.

Crimes de guerre systématiques

Selon l’avocat belge, l’État turc a commis trois types de crimes internationaux dans le nord et l’est de la Syrie. Il a décrit ces crimes comme suit : « Le premier est le crime d’agression. Les attaques de l’État turc constituent une opération militaire contre un pays souverain. Dans ces circonstances, aucun État n’a le droit de recourir à la force contre un autre. Le crime d’agression rend possibles tous les autres crimes et en constitue le fondement.

Les crimes sont commis à grande échelle et de manière systématique, ce qui correspond à la définition des crimes contre l’humanité. Il s’agit en particulier des déplacements forcés visant à remplacer la population kurde par une population arabe.

Enfin, des crimes de guerre sont commis. Cependant, il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais plutôt de crimes de guerre systématiques. Des campagnes de crimes de guerre sont spécifiquement conçues et exécutées pour forcer la population à se déplacer. Des crimes tels que les viols dans les prisons et les bombardements de civils et d’infrastructures civiles ont tous pour objectif commun de déraciner la population. Par conséquent, ces crimes sont interconnectés. »

L’avocat pénaliste estime que le gouvernement turc et ses représentants sont directement responsables des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans la région.  « Ces crimes, explique-t-il, ne sont pas des actions individuelles menées par un seul soldat. En fait, ils font partie d’une série d’infractions organisées et systématiques, et de telles campagnes criminelles ne peuvent provenir que de la chaîne de commandement. Les attaques ne sont pas de simples frappes de drones menées à la discrétion de soldats de façon individuelle. Un soldat ne peut décider seul de lancer un drone pour frapper une cible civile. Ces attaques sont méticuleusement planifiées par les plus hauts responsables militaires. Par conséquent, les généraux qui dirigent ces attaques et les plus hautes autorités politiques qui accordent aux militaires le pouvoir d’agir de cette manière portent une responsabilité. »

Le respect du droit international repose sur la lutte des peuples

L’avocat Fermon a souligné l’importance que revêt la décision prochaine du TPP : « Le tribunal rendra un verdict, et j’espère qu’il reconnaîtra que les preuves que nous avons présentées constituent bien des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et un crime d’agression. Cette décision doit devenir un outil pour faire pression sur nos gouvernements afin qu’ils prennent des mesures contre la Turquie. L’aspect le plus crucial est que les décisions rendues par ce tribunal légitimeront la lutte que nous menons. Les juges qui rendent ces décisions sont des professionnels du droit qui ont consacré leur vie au système judiciaire, ce qui donne à ces décisions un poids indéniable. Il ne s’agit plus seulement d’une opinion, mais d’une évaluation juridique confirmant ces crimes. Ces décisions exerceront une pression sur les gouvernements, les obligeant à agir. »

Et le spécialiste de droit international de conclure : « Les Nations Unies ont une responsabilité, mais comme je le dis toujours, l’ONU n’a pas sa propre force de police. En fin de compte, c’est la lutte des peuples qui fait respecter le droit international. Ce sont les peuples qui feront pression sur les gouvernements pour qu’ils agissent, imposent des sanctions, arrêtent les ventes d’armes et rompent les relations diplomatiques. Le mécanisme qui garantit le respect du droit international ne repose pas sur l’ONU ou sur une force de police internationale inexistante, mais plutôt sur la volonté et les actions des peuples. »

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