La majorité des acteurs du conflit syrien se sont de nouveau réunis cette semaine à Genève (Suisse) sous le parrainage des Nations Unies. Une fois de plus les représentants du PYD (Parti de l’Union Démocratique) de la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord n’ont pas été conviés aux négociations de paix destinées à dessiner l’avenir de la Syrie.

Il est paradoxal de voir les acteurs politiques d’une région de facto autonome depuis 2013 exclus de ces discussions alors qu’ils défendent l’intégrité territoriale de la Syrie et souhaite continuer à vivre en son sein dans un cadre fédéral. Ce qui est plus inquiétant, c’est de voir le PYD placé sur le même pied d’égalité que Daesh et le Front Fatah al-Cham (ex Front al-Nosra, émanation d’al-Qaida en Syrie), eux aussi mis sur la touche, et à juste titre, des pourparlers de paix. Si les deux organisations djihadistes sont classées comme terroristes par l’ensemble de la communauté internationale, le PYD, soutenus par de nombreuses puissances dans sa lutte contre Daesh, doit faire face à un nouvel extrémisme, politique et national cette fois-ci, celui de la Turquie.

La Turquie s’oppose à toute représentation des Kurdes

Pour elle, le Parti de l’Union Démocratique n’est ni plus ni moins que le pendant syrien du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne, les Etats-Unis et bien évidemment, la Turquie. Il est hors de question pour Ankara de s’assoir à la même table que les Kurdes du PYD et peu importe pour elle que cette formation politique, certes issue d’une initiative kurde, rassemble autour d’elle arabes sunnites, assyriens chrétiens ou encore turkmènes. Bien que favorable à la participation du PYD aux négociations, la Russie n’a pu infléchir la position radicale de la Turquie malgré sa position dominante sur le théâtre syrien. L’autonomie de la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord constitue pour le pouvoir turc un cauchemar éveillé susceptible d’essaimer sur son propre territoire. C’est pour éviter que les régions administrées par le PYD ne fassent leur jonction avec l’enclave d’Efrin que la Turquie s’est constituée en force d’occupation dans la région de Jarabulus à l’été 2016. Elle n’a consenti à rendre hermétique sa frontière avec la Syrie qu’une fois Daesh vaincu par le bras par les Forces démocratiques syriennes (FDS) du PYD. Un mur courre désormais sur des centaines de kilomètres à la frontière turco-syrienne. Il aurait été bien utile pour éviter l’afflux de djihadistes et autres terroristes en Syrie… Autre époque, autre priorité. La Turquie a misé sur la chute d’al-Assad et elle s’est trompée, comme beaucoup. Désormais, elle vise à annihiler l’expérience démocratique en cours dans le nord de la Syrie par tous les moyens à sa disposition. Militairement, elle bombarde chaque jour la région d’Efrin qu’elle a totalement encerclé, que ce soit avec ses propres forces armées ou des supplétifs à sa solde. Diplomatiquement, la Turquie ne fera aucun compromis, il est inenvisageable pour elle de dialoguer avec le PYD.

Alors qu’attendre de ces pourparlers de paix ? Le régime de Bachar al-Assad et ses soutiens russes, iraniens et chiites libanais (Hezbollah) ne se sont jamais présentés face à l’opposition syrienne dans une telle position de force. Victorieux sur le plan militaire, Damas et ses alliés désirent convertir sur le terrain politique les succès acquis par le sifflement des balles et le déluge des bombes. Et ils ont de bonnes chances d’y parvenir.

Une opposition « unie » à Genève

Le régime syrien sait que l’opposition, affaiblie, minées par les dissensions internes et les intérêts contradictoires de ses parrains étrangers, possède une marge de manœuvre pour le moins réduite. Par le passé, il s’est souvent appuyé sur les divisions de l’opposition et selon lui son manque de représentativité du peuple syrien pour justifier son refus de réellement négocier. Pour éviter de revivre pareille expérience, la quasi-totalité du spectre regroupant les opposants au clan al-Assad s’est réunie la semaine passée à Riyad. Le but de ces entrevues saoudiennes : créer un front commun face au régime et afficher son unité lors des négociations à venir de Genève. Fort de 36 sièges, le Comité des négociations a ainsi vu le jour, rassemblant des acteurs d’horizons divers et variés allant d’ex proches au dictateur syrien aux représentants de groupes armés salafistes, notamment soutenus par la Turquie… Bien sûr, le PYD n’a pas été invité en Arabie Saoudite.

Le leader de ce nouveau Comité des négociations, Nasser al-Hariri, a eu beau réaffirmer à son arrivée en Suisse que le départ de Bachar al-Assad était un préalable à l’ouverture des pourparlers, plus personne autour de lui n’y croit. Le fils d’Hafez al-Assad s’est cramponné comme un forcené à son fauteuil présidentiel lorsqu’il était en difficulté, ce n’est pas maintenant qu’il va le lâcher alors que l’intervention russe à l’automne 2015 et le renforcement de celle menée par l’Iran à la même époque lui ont permis d’inverser le rapport de force en sa faveur. Désormais, son départ n’apparaît plus pour l’opposition que comme un objectif à atteindre via les négociations, ce n’est plus un préalable au démarrage de ces dernières. L’union de l’opposition et la modification de ses revendications concernant le sort d’al-Assad devraient permettre lors de ce septième round de négociations mené à Genève une prise de dialogue directe entre les deux camps. Poser les bases d’un processus de transition démocratique, avec la tenue d’élections et une réforme de la Constitution syrienne, est à l’ordre du jour et sera âprement débattu.

La Russie est à la manœuvre

La mise à l’écart de la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord du processus de paix et alors que, on l’espère, la guerre sur le sol syrien touche à sa fin, est une honte pour l’ensemble de la communauté internationale. Il est douloureux de constater que différents groupes armés aux filiations douteuses reçoivent davantage de considération et de reconnaissance de sa part que les populations qui vivent au sein de la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord. Les puissances occidentales, après s’être largement appuyés sur les combattant-es des FDS semblent aujourd’hui détourner les yeux de leur allié, hier encore essentiel dans la lutte régionale et mondiale contre le terrorisme. L’Europe et les Etats-Unis se présentent à Genève davantage dans le rôle de spectateurs que dans celui d’acteurs et n’apparaissent pas en mesure de faire valoir leur vision, si toutefois elle existe, d’une résolution pacifique en Syrie.

Les pétro-monarchies du Golfe ne voient pas d’un bon œil l’autonomie démocratique et laïque mise en pratique dans le nord de la Syrie par le PYD et il ne faudra pas chercher davantage de soutien de la part de la Turquie et de l’Iran. La Russie n’est absolument pas fermée au dialogue avec la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord mais doit composer avec la haine viscérale qu’éprouvent ses deux alliés de circonstances à l’encontre du PYD, considéré à tort comme exclusivement kurde par Ankara et Téhéran. Les relations qu’entretient Moscou avec le PYD et la nature fédérale du système politique russe sont une bien maigre source d’espoir. Quant au régime syrien, il souffle le chaud et le froid mais le voir accepter dans la forme actuelle et sur le long terme cette administration autonome parait hypothétique. Toutefois, son attitude sera largement conditionnée par la position qu’adoptera son puissant parrain russe, désormais maître du jeu diplomatique en Syrie.

La mise à l’écart la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord des négociations en cours à Genève semble faire de son avenir une question distincte du reste de la Syrie. En l’ostracisant ce ne sont pas seulement les Kurdes syriens qui sont oubliés mais des millions de personnes qui souhaitent faire de leurs différences ethniques ou religieuses une richesse où chacun puisse vivre en harmonie. Ne pas leur offrir de tribune, c’est plonger dans l’ombre une nouvelle voie, un autre chemin pour la stabilité du Proche et Moyen-Orient. Après tout, ce n’est peut-être pas le but recherché par ces négociations dont il est bien difficile de prédire sur quoi elles déboucheront. Mais une chose est sûre : c’est qu’en mettant de côté la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord, c’est 30% du territoire syrien et 20% de sa population qui ne sont pas représentés à Genève.