« Le PKK est un mouvement de résistance qui est né pour protéger le peuple kurde de la férocité de l’État turc. Ficher le PKK comme un mouvement terroriste, consiste à exclure une réalité historique, humaine et géopolitique, mais aussi à nier le combat de libération de millions de personnes victimes du terrorisme d’État », déclare Annick Samouelian, coordinatrice du Collectif Solidarité Kurdistan 13.

En mai dernier, le Collectif Solidarité Kurdistan 13, un groupement d’associations, de partis et de syndicats du département des Bouches du Rhône, a lancé une campagne pour la sortie du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) de la liste des organisations terroristes. À l’occasion du 43e anniversaire de la fondation du PKK, le 27 novembre, Annick Samouelian, Coordinatrice du collectif et coprésidente de l’association Solidarité Liberté Provence, a accepté de répondre aux questions de l’agence de presse kurde Hawar News (ANHA). Nous publions ici l’ensemble de cette interview.

De nombreuses campagnes ont été menées pour retirer le PKK de la liste des « organisations terroristes ». Qu’en pensez-vous?

Le retrait du PKK de la liste des organisations terroristes est d’une nécessité absolue. Il y a urgence à faire sauter le verrou « PKK-Terroriste » : Une « chape de plomb » pèse sur le peuple kurde.

Le PKK est un mouvement de résistance qui est né pour protéger le peuple kurde de la férocité de l’État turc. Ficher le PKK comme un mouvement terroriste, consiste à exclure une réalité historique, humaine et géopolitique, mais aussi à nier le combat de libération de millions de personnes victimes du terrorisme d’État. Le Parti des Travailleurs du Kurdistan traverse toutes les strates de la société kurde et porte un projet politique fondé sur les valeurs humanistes qui sont les nôtres. 

Face à l’immobilisme de la Communauté Internationale, il apparait fondamental que les voix s’élèvent pour dénoncer un bannissement inique. 

Le PKK n’a jamais commis sur le territoire Français ou en Europe des actes de violences terroristes, mais il a combattu le terrorisme de Daesh en Irak et en Syrie. Grâce à ses forces militaires, il a sauvé des milliers de Yézidis à Sinjar. Ces mêmes forces ont participé à battre Daesh à Kobane, Makhmur, Raqqa.  Des milliers de combattantes et combattants sont tombés pour défendre la liberté, notre liberté.

Ce n’est pas le PKK qui a commis des attentats en France mais Daesh et c’est la Turquie qui a fait assassiner, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013 à Paris, 3 femmes Kurdes, militantes de la paix.

Que peut-on faire pour traiter plus largement la question du retrait du PKK de la “liste des organisations terroristes », comme cela s’est fait récemment au Royaume-Uni?

Tout d’abord, il est intéressant de voir que le « Groupe parlementaire multipartite pour le Kurdistan de Turquie et de Syrie » (APPG) du Parlement Britannique, aborde un problème conceptuel, à savoir sur quelle définition se base l’Union Européenne pour classifier le PKK d’organisation terroriste ? Alors qu’il n’existe aucune définition qui soit reconnue et admise du terme « terrorisme » sur la scène internationale. Même l’ONU coince sur cette question. Dans une approche globale, le terrorisme est considéré comme l’utilisation de la violence extrême contre les civils.

L’inscription du PKK sur cette liste noire n’est ni humaine, ni légale.

De tradition, la Turquie a toujours considéré comme « terroriste » tout individu ou structure qui remet en question tant « l’autorité » que « l’unité » de l’État, un moyen imparable de légitimer les violations de tous les droits fondamentaux. Aujourd’hui, le PKK sur la liste des organisations terroristes, c’est l’octroi d’un arsenal d’armes immatérielles d’épuration massive contre un peuple millénaire en concédant à l’État turc et ses dirigeants l’impunité absolue.

En témoigne le verdict du Tribunal Permanent des Peuples sur la Turquie et les Kurdes de mars 2018, rendu au Parlement Européen : « Le Président de l’État turc, Recep Tayyip Erdoğan, est directement responsable pour les crimes de guerre et les crimes d’État commis en particulier dans le sud-est de l’Anatolie. »

Sur le plan de la justice, la position de la France et de l’Union Européenne est contraire à la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui dans son Arrêt T-316/14 du 15 novembre 2018 a statué que le PKK n’a rien à faire sur la liste européenne des organisations terroristes. Cette décision s’applique à tous les pays de l’Union. Aujourd’hui encore, le gouvernement de la France ne respecte pas cette décision en prolongeant les politiques de criminalisation contre les réfugiés et associations kurdes sous le couvert de la loi anti-terroriste par laquelle ils ne sont pas concernés.

Alors que de nombreux Etats ont des relations avec diverses organisations qui figurent sur les listes terroristes pour diverses raisons, comment évaluez-vous le fait que le PKK, qui représente un espoir pour tous les peuples du monde avec son idéologie, soit toujours maintenu sur la « liste terroriste » ?

Afin de contrecarrer les incidences négatives du rejet de la candidature de la Turquie à l’Union Européenne, les pays membres de celle-ci, dont le gouvernement de la France, se livrent depuis de nombreuses années à une ignoble instrumentalisation du peuple kurde.

En raison de négociations autour de la crise des réfugiés (avec le fameux accord de 2015) et le chantage humain du gouvernement d’Ankara, la « monnaie kurde » est exploitée davantage sur le marché des chancelleries. De toujours, le peuple kurde est l’allié que l’on sacrifie à souhait sur l’autel de la diplomatie turque, au gré des ententes politiques, des enjeux économiques et géostratégiques.

La Communauté Internationale ne cesse d’étouffer les droits politiques, sociaux et culturels du peuple kurde. Le peuple kurde est victime de sa volonté à trouver une solution démocratique et pacifique à un conflit qui perdure depuis plus de 40 ans. 

L’Europe, dont la France, est d’autant plus responsable qu’en 1920, le traité de Sèvres avait promis un Kurdistan avant que cette promesse ne soit enterrée par le traité de Lausanne en 1923. 

Le PKK est considéré par beaucoup comme le seul interlocuteur pour la résolution politique du problème kurde, et pour la stabilité et la démocratisation du Moyen-Orient. Comment interprétez-vous cela ?

Tout au long du XXe siècle, la Turquie n’a jamais renoncé à l’attitude belliciste et expansionniste qu’elle affiche et assume ouvertement : un véritable danger pour la stabilité au Moyen-Orient. La question du PKK traverse la Syrie, la Turquie, l’Irak et l’Iran. Face à l’obscurantisme et au despotisme, le mouvement kurde est l’interlocuteur incontournable pour un retour à la paix au Proche et Moyen-Orient.

Le peuple Kurde ne se bat pas uniquement pour défendre son territoire, mais pour la sécurité des peuples, la vie des forces démocratiques, les libertés fondamentales, sans esprit de recul pour ces valeurs identiques aux nôtres, les valeurs de la paix et de l’humanité. 

Il ne peut y avoir de résolution de la question kurde sans le PKK et encore moins contre lui. La volonté d’une solution politique et pacifique a été réaffirmée par M. Abdullah Öçalan détenu sur l’île prison d’Imrali, lors de son message adressé au peuple kurde et au monde le 21 mars 2013 à l’occasion du Newroz. Signataire de la Convention de Genève, le PKK n’a jamais reculé devant une ouverture de pourparlers dans le cadre d’une résolution du conflit.

En assimilant la résistance kurde au terrorisme, la France et l’Union européenne donnent toute latitude à la Turquie de ne pas s’asseoir à la table des négociations et de poursuivre ses guerres infondées sous l’argument qu’on ne négocie pas avec des terroristes. 

Le temps est venu de retirer le PKK de la liste des organisations terroristes, afin de contraindre la Turquie à admettre la réalité du problème kurde et accepter le dialogue de paix.  

Tout comme il est temps de mettre fin à des décennies d’injustice et de souffrance et de prendre en considération toute l’importance de la dynamique kurde : culturel, économique, égalitaire, environnemental, politique, social… Toutes ces strates qui font l’existence et la résistance de ce peuple.

Si la Communauté internationale ne contraint pas la Turquie à accepter une solution politique et pacifique à la question kurde en retirant le PKK de la liste des organisations terroristes, elle devra porter la lourde responsabilité de ce qu’on doit appeler sans détournement une épuration ethnique.

Qualifieriez-vous d’hypocrite l’attitude des Etats qui maintiennent le PKK sur la « liste des organisations terroristes » ?

L’hypocrisie et le cynisme des états occidentaux sur le maintien du PKK sur la liste des organisations terroristes peuvent se voir sous divers aspects.

Si le PKK est une organisation terroriste, comment expliquer que la coalition internationale, dont la France, se soit battue aux côtés des forces kurdes YPG/YPJ et du PKK dans la guerre contre Daesh ?

Mais aussi, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) sanctionne régulièrement la Turquie pour non-respect des droits fondamentaux. Mais à chacune de ces condamnations, le gouvernement d’Ankara s’applique à rappeler que l’artiste, l’élu, l’écrivain, le syndicaliste, le journaliste, l’avocat, le militant des droits humains… est condamné en raison « d’appartenance à une organisation terroriste », le PKK, inscrite sur la liste de l’Union Européenne. Des milliers de prisonnier.e.s politiques sont ainsi pris.es en otage par le cynisme et l’hypocrisie du système. Ce même mécanisme permet de persécuter la communauté kurde vivant en Europe et notamment sur le territoire français.

Le PKK a été inscrit sur les listes terroristes après le meurtre de l’ancien premier ministre suédois Olof Palme. Les militants kurdes mis en cause dans cette affaire ont depuis été acquittés. L’interdiction est-elle légitime même s’il n’y a pas de décision de justice ? Que faudrait-il faire sur la scène internationale pour retirer le PKK des listes d’organisations terroristes?

Dans l’affaire du meurtre d’Olof Palme, tout laisse à penser que c’est encore une fois la politique qui conditionne les actes et décisions des pays de l’UE et non le droit et la justice. 

L’ONU doit refléter une comptabilité honnête des violations des droits de l’homme, des crimes contre l’humanité. Or le respect du droit international ne peut s’appliquer à géométrie variable en fonction des relations et des alliances ou suivant le bon vouloir des États.

Compte tenu de l’obligation qu’a tout État de respecter et de faire respecter les Conventions de Genève, tout État a le devoir de contraindre la Turquie à respecter le droit international.

Toutes les forces démocratiques doivent faire front commun et prendre à cœur le drame kurde, comme exprimé dans la campagne menée par le CSK.13 (Collectif Solidarité Kurdistan 13) : « La résistance du peuple kurde nous concerne toutes et tous. Le retrait du PKK de la liste des organisations terroristes, nous le lui devons, tout comme le droit de vivre en paix. »

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