La « force d’aimer » de Rojbîn, assassinée par les sbires du Président turc Erdoğan

Cette «force d’aimer » a réuni cent cinquante personnes samedi 13 janvier, sur le site du Bois Perrin à Rennes, dans l’allée qui deviendra, suite à une délibération du conseil municipal de Rennes, « square Fidan Rojbîn Doğan, féministe, militante pour les droits du peuple kurde» pour rendre hommage à cette jeune femme, Fidan Doğan, connue sous le nom de Rojbîn, tombée le 9 janvier 2013 à Paris, aux côtés de deux autres militantes kurdes, Sakine Cansiz et Leyla Leyla Saylemez, sous les balles d’un tueur engagé par les services secrets turcs. Une gerbe de fleurs fut déposée au pied d’une plaque et d’un projet de fresque qui rappellera le visage de celle qui était de tous les combats pour défendre son peuple et le droit des femmes et dont la seule arme était sa force d’aimer.

Des personnalités

Des personnalités ont honoré par leur présence cette cérémonie : Edmond Hervé, ancien ministre et Daniel Delaveau, deux anciens maires de Rennes, Frédéric Mathieu, député, Jean François Monnier, Béatrice Hakni-Robin, Yannick Nadesan (représenté par Elsa Koerner), adjoints à la maire de Rennes, Stéphanie Stoll, conseillère régionale de Bretagne, Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne (représentée par Tanguy Métrope), Denez Marchand, vice-président du Conseil départemental 35 (représenté par J. F. Monnier), Jocelyne Bougeard, ancienne adjointe à la maire de Rennes, Emmanuelle Berthinier, directrice de la Maison internationale de Rennes, Pascal Torre, président de la CNSK, Thierry Lamberthod, président des Amitiés kurdes de Lyon, Sylvie Jan et Michel Laurent, de France-Kurdistan et Sümeyye Boz, députée kurde de Muş, accompagnée de Eyyup Faruk Doru, représentant pour l’Europe du parti pro kurde, le DEM PARTI (Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie) et d’Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en  France.

Sümeyye Boz, nouvellement élue députée, qui a fait spécialement le déplacement de Turquie pour honorer la mémoire de Rojbîn, s’est fait remarquer par une campagne très offensive et très courageuse, n’hésitant pas à dénoncer un régime qui tente d’imposer le silence par des détentions, des tortures et des prisons. Dans son intervention très émouvante, elle n’a pas manqué de rappeler le combat de toutes celles et de tous ceux qui paient de leur vie ou de leur liberté leur engagement pour la défense de leur peuple. Comment ne pas évoquer avec Faruk, lui aussi très applaudi, les noms de Selahattin Demirtaş, ancien président du parti pro kurde Parti de la Démocratie des Peuples, ou de Gültan Kışanak , ancienne maire de Diyarbakir, que nous avons reçus chaleureusement à Rennes, otages détenus depuis 2016 ? Comment ne pas évoquer le nom de Necmiye Boz, sœur de Sümeyye, qui purge une lourde peine de 11 ans et 6 mois de réclusion dans la prison d’Elaziğ, « Ma famille est patriote, c’est à dire une famille qui s’approprie son identité, sa langue et sa culture kurde. J’ai toujours travaillé au sein des organisations qui demandaient la résolution de la question kurde Parti de la Démocratie des Peuples, Kurdi-Der, IHD, DTK, TUHAD-FED, les associations de femmes, Fondation KA-MER). En janvier 2017, j’ai été arrêtée du fait de mes activités » écrit Necmiye Boz avec qui nous sommes en correspondance. Pour Sümeyye Boz et Faruk Doru, la décision municipale de dénommer une rue est de première importance. Explication.

Pourquoi cette plaque ?

« Nous sommes en 2083 , une petite fille traverse, serrant très fort la main de son grand-père, un joli parc arboré, bordé de deux pelouses parsemées de marguerites. Elle lève la tête et s’arrête soudain « Dis, Papy, c’est quoi ce truc bleu ? »
– C’est une plaque sur laquelle est écrit le nom du lieu.
– C’est écrit quoi ?
– Square Fidan ‘Rojbîn’ Doğan, féministe, militante kurde, c’est le nom d’une jeune femme kurde qui a été assassinée il y a 70 ans.
– Pourquoi cette plaque ?
– Pour que les petites filles comme toi n’oublient pas ce nom, Rojbîn et que les générations suivantes s’en souviennent aussi.
– Pourquoi Rojbîn a-t-elle été assassinée ? ».

Zin 35 (Association des Femmes kurdes de Rennes), le Conseil démocratique kurde de Rennes, les Amitiés Kurdes de Bretagne (AKB), initiateurs de cette cérémonie, Pascal Torre, co-président de la CNSK, rappelèrent qui était Rojbîn et pourquoi elle fut assassinée.

Zin 35, a rappelé ce que Rojbîn représente pour les femmes :

une pionnière de la lutte des femmes kurdes et la porte-parole de notre combat ici, en France. Rojbîn s’est battue inlassablement pour la liberté de toutes les femmes, quelles que soient leurs origines, et pour celles de la société kurde dans le monde entier. Dans sa vie, au quotidien, elle a lutté contre les attitudes patriarcales et a, par ses paroles et son attitude de soutien, participé à l’émancipation de nombreuses femmes. A Rennes, elle a souvent participé aux travaux de l’assemblée des femmes de Zin 35. Nous avons lutté côte à côte et elle nous a appris à nous battre pour nos droits et notre liberté.

Pascal Torre a rappelé en quelques mots qui était Rojbîn et son action :

En 2009, elle dirige le Centre d’Information du Kurdistan à Paris. Infatigable organisatrice de colloques, de séminaires, elle entre en contact avec des parlementaires et les responsables des formations politiques françaises, jusqu’à devenir une interlocutrice incontournable. On la surnomme alors « la diplomate ». Exigeante pour elle-même, désintéressée, pudique, sensible, elle portait haut l’idéal de liberté pour son peuple, avec résolution, énergie et opiniâtreté… jusqu’à ce jour tragique.

Les AKB ont repris les mots de l’intervention de Flavie Boukhenoufa, adjointe à la Maire de Rennes, lors de la séance du conseil municipal du 13 mars 2023 présentant Rojbîn comme une militante kurde féministe, une ambassadrice pour le peuple kurde, un relais pour le mouvement associatif, la presse, les politiques et les cabinets ministériels. C’est sans doute l’un des motifs de ce meurtre : il fallait faire taire cette voix qu’on pouvait difficilement taxer de « terroriste ». C’était notre amie. Avant de quitter l’appartement, le meurtrier lui tira une dernière balle dans la bouche, pour la faire taire définitivement. Quelle erreur ! « Nous prenons le relais » ont répondu les Kurdes de Rennes, et tous ceux et toutes celles qui, anonymes ou personnalités connues, ont ce jour-là manifesté leur soutien. Merci en particulier à Frédéric Mathieu, Jean François Monnier, Elsa Koerner, Sümeyye Boz, Faruk Doru, Pascal Torre, Menekse, pour leur discours plein d’humanité et de détermination.

Lever le secret-défense

Comment ne pas interpeler les autorités politiques de notre pays tant leur attitude est ambigüe, pour ne pas dire complice, concernant ce triple meurtre dont Rojbîn fut l’une des victimes, et d’une façon générale concernant la « question kurde» ? Même la famille de Rojbîn, tuée sur le sol français, n’a été reçue, en onze ans, ni par l’Elysée, ni par Matignon, ni par le Quai d’Orsay, ni par la place Beauvau. Quel mépris ! Quel manque de compassion !

La question clef pour que la vérité éclate et que la Justice passe est la levée du secret défense. Frédéric Mathieu, député, co-président de la commission « Kurdes » à l’Assemblée nationale, s’y emploie. Il l’a rappelé dans son intervention. Nous avons plaisir à citer les propos qu’il a tenus lors du colloque « Devoir de vérité et justice, 10 ans après le féminicide à Paris des militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Doğan et Leyla Söylemez » qui s’est tenu le 12 janvier 2023 à l’Assemblée nationale :

La République leur doit vérité et justice. La République, si elle est fidèle à elle-même et à ses principes, se doit aussi à elle-même cette vérité et cette justice. En effet, en refusant la levée du secret défense sur ces assassinats politiques, la République se parjure au terme de sa propre Constitution, car elle emploie sa force, celle en l’occurrence de l’inertie du secret défense, contre la liberté d’un peuple, en l’occurrence le peuple kurde Je l’affirme solennellement le secret défense doit être levé sur les événements, les circonstances et les acteurs qui ont conduit au triple assassinat de 2013 : notre rencontre de ce jour n’est pas une commémoration, elle est un acte de combat. Ce combat, nous le devons à Sakine, Fidan et Leyla, à leurs proches et à leurs camarades.

Et ceux de Pascal Torre, qui lui aussi milite fortement pour la levée du secret-défense : « La situation des Kurdes de France se dégrade brutalement ces derniers mois. Le secret-défense, opposé par les ministères de l’Intérieur et de la Défense, entrave la quête de vérité et de justice. Il faut lever le secret-défense ».

La force d’aimer

En conclusion Pascal Torre cita Victor Hugo : “Rojbîn tu nous étais chère, Rojbîn tu m’étais chère et pour paraphraser V. Hugo, je voudrais te dire que si Dieu ne t’avait pas créé, il n’aurait jamais inventé les fleurs”. Frédéric Mathieu citera le chant des partisans : « Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place. »

Laissons le dernier mot à la petite fille rencontrée en 2083 qui a fini sa promenade et repasse, très fière, devant la plaque dont elle connait maintenant l’histoire. Elle sourit : 

– Dis Papy, elle était jolie, Rojbîn ?
– Oui, Rojbîn était très jolie, c’était un véritable soleil qui rayonnait au-delà de la communauté kurde. Tout le monde l’aimait. La force de cette diplomate qui travaillait pour la paix, c’était aimer les autres. La force d’aimer, elle savait la manier avec conviction et élégance.

La force d’aimer !
Quand on n’a que l’amour
Pour tracer un chemin
Quand on n’a que l’amour
Pour parler aux canons
Alors sans avoir rien
Que la force d’aimer
Nous aurons dans nos mains
Amis le monde entier.

Par André Métayer

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