Selon le dirigeant du PKK Murat Karayılan, Ankara a demandé au mouvement kurde un cessez-le-feu au Nord-Kurdistan.
Murat Karayilan, membre du comité exécutif du PKK

Selon le dirigeant du PKK Murat Karayılan, Ankara a demandé au mouvement kurde un cessez-le-feu au Nord-Kurdistan, lui offrant en contrepartie une « carte blanche » dans les autres régions.

Intervenant jeudi soir dans une émission spéciale de la chaîne de télévision kurde Stêrk TV, Murat Karayılan, membre du comité exécutif du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), a commenté l’opération d’invasion menée actuellement par la Turquie dans le Sud-Kurdistan (nord de l’Irak). Selon Karayılan, qui est également commandant en chef du quartier général central des Forces de Défense du Peuple (HPG, branche armée du PKK), le président turc Recep Tayyip Erdoğan a demandé au mouvement kurde, par l’intermédiaire d’une délégation, un cessez-le-feu à l’intérieur du nord du Kurdistan (Sud-est de la Turquie). En retour, le PKK s’est vu offrir une « carte blanche » dans d’autres parties du Kurdistan. Nous publions ci-dessous la première partie de l’interview, légèrement raccourcie.

L’incident du 5 juin à Metîna est actuellement au centre de l’agenda kurde. Un convoi des forces du PDK [Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par le clan Barzani] a tenté de pénétrer dans la zone de guérilla le jour en question. Pendant ce temps, une explosion s’est produite. Les HPG ont réfuté toute responsabilité, mais le PDK accuse néanmoins les guérilleros du PKK d’être responsables de cette attaque. Qu’est-ce qui se cache derrière cet incident ?

La phase que nous vivons actuellement est une étape importante dans la lutte du peuple kurde. L’ennemi prépare des plans insidieux contre cette lutte. Il est de notoriété publique que Rêber Apo [le leader kurde Abdullah Öcalan] a déclaré un cessez-le-feu au Nord-Kurdistan en 2013 [au cours des négociations de paix entre le gouvernement turc et le PKK]. Ce cessez-le-feu a duré environ deux ans et demi. Cependant, l’État turc a considéré que cela renforçait la main des Kurdes au Moyen-Orient. Recep Tayyip Erdoğan a décidé de renverser la table des négociations, même si les pourparlers avaient atteint un certain niveau. Immédiatement après, il s’est allié à des gens comme Devlet Bahçeli et Doğu Perinçek, qui étaient ouvertement hostiles aux Kurdes, et a lancé une attaque en règle contre notre mouvement. L’objectif était d’abord d’écraser le PKK, puis d’éliminer les réalisations de l’ensemble du peuple kurde. Telle est l’intention de ce nouveau concept : détruire les réalisations des Kurdes dans toute la région. Dans ce cadre, une guerre de grande envergure fait rage contre nous depuis six ans.

Au début de cette année, la guerre s’est considérablement intensifiée. La première chose à mentionner est que la torture exercée contre Rêber Apo sur l’île-prison d’Imrali continue. Depuis quelque temps, toute communication avec lui est empêchée. En parallèle, l’Etat turc mène une guerre psychologique contre notre mouvement. Des dizaines de milliers de nos amis sont emprisonnés et torturés dans les cachots du régime. Des opérations d’arrestation contre notre peuple ont lieu chaque jour, ainsi que des opérations militaires dans toutes les régions du Nord-Kurdistan. Il s’agit notamment des opérations à Garzan, Van, Mardin et Botan, qui se poursuivent depuis le printemps et qui ont fait des victimes dans nos rangs. Ces développements peuvent être suivis quotidiennement dans les médias. Le plan d’occupation de l’État turc au Sud-Kurdistan progresse également pas à pas depuis trois ans.

L’idée de base est d’occuper d’abord certaines régions pour ensuite s’installer définitivement dans le sud-Kurdistan. L’invasion de Metîna, Zap et Avashîn a été initiée après avoir occupé précédemment certaines zones de Heftanîn et Xakurke. À ce jour, cette attaque d’occupation dure depuis 48 jours. Je parle d’une attaque globale contre nous. Les régions du sud du Kurdistan contrôlées par nos amis, par exemple, sont survolées par une trentaine de drones de reconnaissance 24 heures sur 24. Des frappes aériennes par des avions de chasse ont lieu en permanence. Parfois, ils frappent Makhmour et parfois d’autres régions. Je veux dire par là qu’il s’agit d’une attaque continue contre nous. Dans une situation comme celle-ci, au milieu d’une bataille de haute intensité, pourquoi ouvririons-nous un nouveau front de guerre en attaquant les peshmergas ? Serait-ce raisonnable ? Pas du tout.

La guérilla n’a pas attaqué les Peshmergas

Ce serait extrêmement imprudent, surtout dans une région comme Metîna. Il serait même insensé et illogique d’y ouvrir un second front contre les peshmergas alors que la guerre est à son apogée dans le nord. Nous rejetons fermement l’allégation selon laquelle nous aurions attaqué le convoi. Après tout, les guérilleros n’ont pas perdu la raison. L’intention derrière cet incident est de déclencher une guerre entre les peshmergas et la guérilla. Il n’y a eu aucune instruction de notre part d’attaquer les forces peshmerga. Aucune décision de ce type n’a été prise, et aucune activité n’a été menée dans ce sens. Une guerre inter-kurde équivaut pour nous à une catastrophe. Nous considérons cela comme une grande erreur à ne commettre sous aucun prétexte. Mais il est évident qu’il s’agit d’un coup monté.

Nous ne savons que trop bien qu’une guerre entre Kurdes à un moment aussi sensible que celui-ci entraînera de grandes ténèbres. Ce n’est dans l’intérêt, ni du mouvement kurde, ni du peuple kurde. À cet égard, il convient de faire toute la lumière sur l’incident qui s’est produit à Metîna. Il est insensé de pénétrer dans cette région à quatre heures du matin avec deux colonnes militaires en position d’attaque. Il s’agit d’une zone militaire contrôlée par la guérilla, dans laquelle les peshmergas ne sont pas entrés depuis 25 ans. Le dialogue [avec les guérilleros] aurait pu être établi à l’avance. On dit que les peshmergas voulaient simplement accomplir des tâches ordinaires. Mais, dans ce cas, pourquoi n’avons-nous pas été informés ?

Qu’est-ce que cela veut dire que de se rendre à Metîna avec une centaine de véhicules sans prévenir ? Bien sûr, ils [les peshmergas] disent maintenant qu’ils sont la force dominante et qu’ils n’ont pas à demander à quiconque la permission de déplacer des troupes. C’est peut-être vrai, mais à cinq kilomètres de là, une guerre intense se déroule. Vous devez vous positionner ailleurs. Pourquoi aidez-vous l’État turc ? D’accord, vous êtes la force dominante dans la région, mais la guerre crée des conditions extraordinaires. Pendant que les avions de chasse bombardent et réduisent tout en ruine, vous concentrez vos troupes derrière notre front. Est-ce compatible avec l’humanité, avec une attitude kurde ? Peut-il y avoir une explication logique à ce comportement ? On prétend que les guérilleros ont attaqué un convoi qui passait. Cela ne correspond pas à la vérité. Permettez-moi de mentionner que nous avons des amis qui se rendent disponibles comme médiateurs. Nous vivons au 21e siècle, notre devise est que l’humanité entière résout ses conflits par le dialogue. Alors pourquoi ne pouvons-nous pas avoir un dialogue mutuel entre nous et résoudre les problèmes existants ? Pour quelles raisons comptons-nous sur des moyens militaires au lieu de recourir à la parole ? A qui et à quoi sert cette action ?

Pourquoi y a-t-il des activités militaires si les canaux de communication sont ouverts ?

Nous nous posons la même question. Dans les régions du nord de Metîna, sur la colline de Zendûra, à Çemço, à Qela Bêdewê dans la région de Zap et à Girê Mervanis et Avashîn, l’armée turque est dans une impasse. La vague d’attaques a été brisée, les occupants ne peuvent plus avancer. Le peuple kurde ne peut qu’être fier de la résistance que ces jeunes hommes et femmes opposent là-bas avec des méthodes nouvelles aux avions de guerre, aux chars, aux obus et aux agents chimiques. Cette situation est inédite dans l’histoire de la résistance kurde et augure fondamentalement de nouveaux succès pour notre peuple.

A Zendûra, l’ennemi turc tente actuellement de pénétrer dans les tunnels de la guérilla. Pour ce faire, il s’appuie sur la carte kurde. Il recrute des collaborateurs au sein des gardiens de village de Sêgirkê. Les tentatives d’infiltration des tunnels ont jusqu’à présent été infructueuses. En d’autres termes, les Kurdes sont une fois de plus utilisés pour les intérêts de l’État turc. Il y a suffisamment d’exemples de cela dans l’histoire des Kurdes. Des chiens équipés de caméras sont également utilisés pour pénétrer dans les systèmes de tunnels de la guérilla. Cependant, la résistance reste inébranlable et l’État turc est coincé. Maintenant, si nous prenons en compte tous ces points, nous en déduisons que les activités militaires du PDK sont dirigées contre la résistance de la guérilla à Zendûra. Le PDK peut ne pas être d’accord avec cela, mais en fait, cela se résume à ceci.

Personnellement, j’ai été déçu de voir les forces kurdes nous poignarder dans le dos pendant notre lutte contre l’invasion turque. J’espère que les dirigeants du PDK prendront conscience de cette réalité. Ce comportement ne peut exprimer une position morale. Il est en contradiction avec les traditions du peuple kurde. Après tout, nous nous défendons contre une guerre. Si vous ne nous soutenez pas, vous devriez au moins vous abstenir d’ouvrir un nouveau front contre nous.

Hulusi Akar demande la participation des Peshmergas à la guerre

Permettez-moi d’aborder un autre sujet : Nous avons des informations selon lesquelles Hulusi Akar [le ministre turc de la Défense] a demandé aux dirigeants du PDK d’impliquer les peshmergas dans cette guerre. Le 20 mai, une réunion des responsables du PDK a eu lieu à cet égard. Nous ne savons pas exactement ce qui a été décidé. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de le mentionner ici. Ce que je peux révéler en tout cas – en fait, j’aurais préféré en discuter avec Massoud Barzani ou un autre responsable du PDK – c’est que l’État turc, ou Recep Tayyip Erdoğan, nous a contactés il y a quelques mois par le biais d’une délégation amie et nous a demandé d’annoncer un cessez-le-feu au sein du Nord-Kurdistan. En contrepartie, nous aurions les coudées franches dans les autres régions du Kurdistan. Cela signifie concrètement : « Proclamez un cessez-le-feu pour nous et combattez le PDK, avec lequel vous avez de toute façon des problèmes ». L’ennemi joue ces jeux, et nous devons y prêter toute notre attention. L’État turc a toujours monté les Kurdes les uns contre les autres afin de provoquer des conflits intra-kurdes. C’est ainsi que cet État a vu le jour, et c’est également ainsi qu’il peut se maintenir.

L’histoire des Kurdes est jonchée de promesses non tenues à notre égard – que ce soit à l’époque de l’Empire ottoman ou de la République de Turquie. Ce fait doit être souligné à nouveau à cette occasion. Il n’est même pas nécessaire de remonter loin dans le passé. En 1999, par exemple, Rêber Apo a été capturé et extradé vers la Turquie à la suite d’un complot international. À l’époque, l’État turc se réjouissait de la fin du PKK. Lorsque nous avons arrêté la guerre, il a tracé une ligne rouge entre lui et le gouvernement du Sud-Kurdistan. Pourquoi ? Afin de rompre les relations. Quand cette ligne a-t-elle été levée ? Lorsque l’État turc a subi une défaite dans la région de Zap en 2008. L’Etat s’est rendu compte qu’il ne réussirait pas tout seul au Kurdistan du Sud.

Deuxième partie de l’intervention de Murat Karayilan à paraître samedi.

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