Jonathan Steele, journaliste Middle East Eye.

6-7/12/2017 – INTERVENTION AU PARLEMENT EUROPEEN

 2011 a été un tournant au Moyen-Orient et le conflit syrien a marqué une nouvelle ère dans la situation régionale. Ce qui était au départ un soulèvement intérieur est devenu une guerre à grande échelle avec des interventions extérieures qui en ont fait une guerre par procuration. Il n’y a pas eu d’armées étrangères impliquées, mais beaucoup de gouvernements ont estimé qu’il était dans leurs intérêts de militariser et d’étendre le conflit en soutenant des milices et des mercenaires non-étatiques. Il s’agit d’un précédent alarmant qui menace la paix pour l’ensemble de la région et qui crée des difficultés majeures, des complications pour ceux qui souhaitent trouver des solutions diplomatiques ou politiques.

Il y a eu cinq étapes dans la croissance désastreuse des interventions extérieures.

Une guerre par procuration

1. D’abord l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Emirats Arabes Unis qui ont financé des combattants étrangers pour aller en Syrie lutter contre le gouvernement. Il y a également eu le soutien de la Turquie qui a permis aux combattants de franchir la frontière librement. Le vice-président des Etats-Unis Joe Biden avait dit en octobre 2014 : “les Turcs, les Saoudiens et les Emiratis, que font-ils ?” Ils étaient tellement déterminés à faire tomber Assad, qu’ils ont lancé une guerre par procuration sunnite – chiite. Ils ont versé des centaines de milliers de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes à quiconque accepterait de combattre Assad. Joe Biden a confirmé ce que des journalistes avaient déjà certifié longtemps avant lui, mais il a parlé comme si les Etats-Unis était un observateur extérieur, alors qu’ils étaient autant impliqués que la Turquie et les Etats du Golfe. Comme la France et le Royaume-Uni, les Etats-Unis ont soutenu les combattants anti-Assad depuis le début. Ils ont sélectionnés des groupes pouvant être considérés comme laïcs ou modérés et non pas djihadistes, notamment l’Armée Syrienne Libre.

Pour faire face à cette intervention extérieure, la Russie, qui était déjà le principal fournisseur de chars et autres armements lourds, a renforcé ses livraisons d’armes à Assad. L’Iran a également fourni des armes. Dès 2011, l’Iran et le Hezbollah libanais ont commencé à envoyer des combattants pour soutenir l’armée syrienne, d’abord pour la formation puis pour le combat.

Souveraineté violée

2. La deuxième étape des interventions étrangères a commencé à l’été 2014, quand Barak Obama a ordonné les bombardements par l’aviation américaine. La coalition européenne et arabe a alors commencé à participer à la campagne aérienne. Le conflit syrien n’est plus seulement devenu un conflit par procuration, il y a eu une implication directe et une violation illégale de la souveraineté d’un Etat. La coalition dirigée par les Etats-Unis n’a pas été invitée par le gouvernement syrien, il n’y a eu aucun soutien de la part de l’ONU. Les Etats-Unis se sont intéressés aux milices kurdes du Rojava au nord du pays, en estimant qu’il s’agissait d’une des meilleurs forces sur le terrain pour faire face à l’Etat islamique. Celui-ci a lancé son mouvement anti-américain lors de l’occupation nord-américaine en Irak et avec le départ des troupes américaines, l’Etat islamique a développé l’ambition de devenir le principal moteur des intérêts sunnites contre le gouvernement chiite de Bagdad. Et à partir de 2012, l’Etat islamique a eu l’ambition de prendre le pouvoir à Damas également.

Dilemme

Les Etats-Unis ont été confrontés à un dilemme qu’ils ont eux-mêmes provoqué : est-ce qu’il faut donner la priorité à la lutte contre Assad ou bien contre l’Etat islamique ? Tout au long des années 2013 et 2014, les Etats-Unis ont suivi les deux pistes. Les milices kurdes dans le nord de la Syrie avec les YPG et YPJ ont été perçues comme des alliés naturels pour ces deux finalités.

A partir de l’été 2015, les Etats-Unis ont commencé à déployer ses propres forces spéciales sur le terrain en Syrie pour armer et former les YPG et YPJ.

L’intervention de la Russie

3. Ce qui nous amène dans la troisième phase du conflit syrien à la fin 2015, lorsque le président russe Vladimir Poutine a envoyé en Syrie sa propre aviation pour aider l’armée syrienne à résister à l’avancée des forces rebelles à Alep, Homs et Hama, jusqu’à Damas. On sait que l’intervention russe a été une contribution cruciale pour le maintien au pouvoir d’Assad. A la fin de 2016, l’armée syrienne, aidée par le Hezbollah et les milices iraniennes ont repris les zones contrôlées par les rebelles d’Alep et de Homs. La plupart des banlieues de Damas ont également été replacée sous le contrôle de l’armée d’Assad.

Ce qui a commencé par être un conflit mené par des acteurs non-étatiques est devenu un conflit hybride avec des forces étrangères – russes, iraniennes, libanaises – soutenant l’armée syrienne contre des acteurs non-étrangers du côté des rebelles. Les aviations des puissances étrangères ont également été en action sur le terrain syrien.

Mais ce qui a rendu le conflit encore plus complexe et dangereux, c’est que, alors que les aviations russes et nord-américaines partageaient le même but visant la destruction de l’Etat islamique, les Etats-Unis ont toujours recherché un deuxième objectif. Ils ont toujours espéré faire tomber Assad. Le risque d’affrontement entre les deux aviations, russe et américaine, a été de plus en plus important et c’est toujours le cas.

La Turquie arrive

4. Ce qui nous amène à la quatrième étape du conflit syrien : l’intervention des forces armées turques. En août 2016, elles sont entrées dans le nord de la Syrie. En novembre 2016, il y a eu de nouvelles incursions turques soutenues par leur artillerie qui ont aidé des milices rebelles à se saisir d’Al Bab. L’intervention turque, au début, ne devait pas appuyer les rebelles ou le régime d’Assad. L’objectif était d’empêcher l’YPG et YPJ de faire le lien entre le Rojava et la région d’Afrin. Si les Kurdes étaient arrivés à leurs fins, ils auraient eu sous leur administration autonome la quasi-totalité de la frontière turco-syrienne. C’est à cause des négociations d’Astana, qui ont réuni la Russie, l’Iran et la Turquie pour essayer de négocier des cessez-le-feu locaux, que les Turcs ont pu créer une zone de désescalade du conflit dans la province d’Idleb. Ceci a donné à la Turquie l’autorité juridique pour déployer sa police militaire sur place.

5. Enfin, comme si le rôle des Etats étrangers n’était pas suffisamment important dans le conflit syrien, un nouvel acteur est intervenu en 2016, l’Arabie Saoudite. Les tensions croissantes entre Téhéran et Riyad ont conduit le royaume wahhabite à s’investir davantage sur le terrain syrien. Ce qui n’a pas manqué de se faire sentir sur le conflit qui s’y déroule.

Accord de paix ?

Même s’il y a de plus en plus d’implications étrangères, les affrontements sur le terrain se simplifient. L’Etat islamique est de moins en moins puissant. Il a presque perdu tous les territoires conquis depuis 2014. Les principaux bénéficiaires ont été les YPG et YPJ, donc les Kurdes du Rojava, qui ont pris sur eux la part la plus importante de la lutte contre l’Etat islamique. Parallèlement dans le reste de la Syrie, il y a eu des avancées cruciales de l’armée syrienne contre les forces rebelles non-affiliées à l’Etat islamique. Ce qui pourrait montrer la voie à un accord de paix entre l’opposition et le gouvernement où chacun devrait faire des compromis. Evidemment, sur le plan de la diplomatie, les rebelles sont en position d’infériorité et ils devront accepter qu’Assad reste au pouvoir, au moins jusqu’aux prochaines élections syriennes, prévues pour 2021. De son côté, Assad devrait offrir aux membres de l’opposition un partage du pouvoir dans une sorte de gouvernement d’union nationale.

La Russie soutient un compromis dans ces conditions. Reste à savoir si l’opposition va soutenir un tel compromis, cela dépendra des Etats-Unis et de ses alliés du Golfe. Il est possible qu’ils préfèrent poursuivre une guerre d’usure contre Assad, plutôt que de reconnaître publiquement leur échec dans leur tentative de renverser d’Assad. Il est toujours difficile d’accepter la défaite.

Damas acceptera-t-il une autonomie fédérale ?

Les Kurdes sont confrontés à une dynamique différente. Leur objectif principal n’est pas de savoir qui gouvernera à Damas, mais de savoir quelle politique y sera menée. Damas va-t-il accepter de réformer la Constitution syrienne afin de permettre un degré significatif de décentralisation, garantissant une certaine autonomie aux régions, sur une base fédérale ? Assad a clairement dit qu’il voulait rétablir sa souveraineté sur l’ensemble du pays, mais Walid Boualem, le ministre des affaires étrangères, a également évoqué l’option d’autonomie locale. Cela montre au moins qu’il y a un débat dans les plus hautes sphères du pouvoir de Damas. Dans le même temps, toute possibilité d’autonomie en Syrie contrariera la Turquie et sera certainement mal accueillie en Iran également.

Alors s’agit-il d’une monnaie d’échange d’Assad pour convaincre les forces kurdes de se retirer de Rakka ? Et quelle va être la réaction du gouvernement Trump ? On a déjà entendu dire que les Etats-Unis ont arrêté leur aide militaire au YPG et YPJ. Est-ce que Washington soutiendra la remise de la souveraineté de Rakka au régime d’Assad ou Washington va-t-il insister pour avoir au préalable des concessions significatives de la part d’Assad avant de le faire ? Désolé de soulever tant de questions sans donner de réponses, mais il faut être réaliste : le conflit syrien est tellement complexe qu’il est très difficile de prédire quoique ce soit.

Trois certitudes

Il n’y a que trois certitudes : l’Etat islamique a été vaincu, le régime Assad remporte la guerre dans les zones urbaines de la Syrie et quelle que soit l’évolution du contexte international depuis 12 mois, la tragédie humaine pour la population syrienne demeure très grave. Il y a toujours des millions de personnes déplacées loin de leurs foyers. Les destructions matérielles des villes et des villages sont considérables.

Avec qui les Kurdes peuvent-ils travailler ? Avant tout avec eux-mêmes. Ils ont fait preuve d’énormément de créativité. Ils ont créé leur propre système démocratique qui semble bien fonctionner.

Transcription et correction : Chris Den Hond, Azad Kurkut, Songul

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