6-7/12/2017 au Parlement européen : Interventions pour une solution politique en Turquie

La commission citoyenne Union européenne – Turquie a tenu sa 14ème conférence internationale au sein du Parlement européen à Bruxelles le 6 et le 7 décembre 2017 sur le thème : des alternatives à la tyrannie et le chaos dans le Moyen-Orient – une vision et des stratégies kurdes. La Conférence s’est déroulée en coopération avec le groupe GUE (Gauche Unie européenne), les Verts et le groupe Socialiste.

Depuis 14 ans, cette commission, patronnée par des personnalités comme Desmond Tutu, Noam Chomsky et Leyla Zana, se concentre sur la question kurde et des processus démocratiques en Turquie.

Vous pouvez consulter la totalité des interventions et les traductions sur le site : http://web.guengl.streamovatio ns.be/index.php/listpage

Nous publions sur Rojinfo à partir d’aujourd’hui cinq de ces contributions.

  1. Jan Fermon, avocat, sur un jugement de la justice belge qui considère le PKK comme une partie belligérante et non comme une organisation terroriste.
  2. Jonathan Steele, journaliste, sur les phases du conflit en Syrie.
  3. Rahila Gupta, écrivaine, sur le rôle des femmes et le féminisme kurde au Rojava.
  4. Rezan Sarica, avocat d’Öcalan, sur les conditions de détention d’Abdullah Öcalan.
  5. Simon Dubbins, responsable syndical au Royaume-Uni, sur les syndicats et la solidarité.
Transcription et correction : Chris Den Hond, Azad Kurkut, Songul

6-7/12

INTERVENTION AU PARLEMENT EUROPEEN

Jan Fermon, avocat : la Cour d’Appel belge considère le PKK comme une partie belligérante et non comme un groupe terroriste.

La décision de la Cour d’Appel de Bruxelles le 14 septembre 2017 est une décision importante pour tous ceux qui sont solidaire avec le peuple kurde. Que pouvons-nous faire pour contrer la liste des organisations terroristes sur laquelle est inscrite le PKK et ainsi le processus de criminalisation du mouvement kurde ?

Un petit pas pour la Cour belge…

Dans sa décision, la Cour belge a fait un tout petit pas pour contrer ce processus de criminalisation. Il  y a quelques années, 40 individus et deux entreprises ont été poursuivis par le procureur fédéral belge comme dirigeants ou membres d’une organisation terroriste pour leurs liens avec le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan. Il s’agissait donc de diriger une organisation politique ou de prêter assistance à ce groupe pour ce qui est des chefs d’accusation. Aucun des prévenus n’avait participé à des actes de violence. Certains des inculpés étaient même des représentants diplomatiques du mouvement kurde au Parlement européen, membres du Congrès National Kurde (KNK), des représentant du PYD à Bruxelles ou encore des Kurdes actifs sur des chaînes de télévision kurdes. Il y avait aussi deux maisons de production liées à la télévision kurde, établies en Belgique.

Comment cela a-t-il évolué ? L’enquête commence en 2007. A l’époque les autorités turques mettent la pression sur la Belgique pour fermer toutes les institutions kurdes à Bruxelles et poursuivre tous ceux qui y travaillent activement comme représentants des Kurdes dans notre pays. Les autorités belges disent à plusieurs reprises à celles de Turquie ainsi qu’à son ambassade en Belgique, que les documents transmis par elles ressemblent plus à une brochure de propagande qu’à un dossier criminel et qu’en se basant sur les documents fournis par la Turquie, ces personnes ne peuvent pas être poursuivies en Belgique.

Big brother à l’aide de la Turquie

Ensuite, la Turquie est allée voir son grand frère, l’ambassade des Etats-Unis et celle-ci a commencé à organiser des réunions auxquelles ils ont invité l’ambassade de Turquie, le ministère des affaires étrangères belge et le procureur fédéral belge. L’objectif de ces réunions était d’exercer des pressions sur les autorités belges pour qu’elles entament des recours contre le PKK ou ses représentants à Bruxelles. Les réunions se sont poursuivies à peu près 18 mois, jusqu’à ce que le procureur fédéral belge soit finalement invité en Turquie en janvier 2007 et en mars 2007. Il a ouvert un dossier, non pas basé sur le dossier turc parce que c’était toujours une brochure de propagande plus qu’autre chose, mais qui s’appuyait sur d’autres petits dossiers existants en Belgique. Ils concernaient les Kurdes d’une manière ou d’une autre : une querelle dans une association kurde, un Kurde arrêté parce qu’il transportait de l’argent, un camp de jeunes qui se rassemblait quelque part en Belgique. Le procureur a regroupé tous ces dossiers futiles et il a dit: « Voilà les activités du réseau du PKK en Belgique. Et je vais poursuivre ceux qui sont à la tête de ce réseau. » C’est comme ça que tout a démarré.

Wikileaks

Nous sommes au courant de tout cela car ces documents ont été publiés sur Wikileaks. Nous avons pu découvrir la naissance de ce dossier grâce à Wikileaks. Une fois l’enquête terminée et conformément au droit belge, une Cour décide si le dossier doit être remis à un tribunal ou pas. C’est donc un juge qui décide de l’instruction à donner, ou pas, à un dossier. Une fois arrivé là, on a soulevé un argument auprès du juge, un argument qui existe dans le droit belge, mais également dans le cadre européen, un argument concernant le terrorisme. C’est une disposition que vous trouvez également dans tous les traités internationaux sur le terrorisme. Cette disposition dit que des forces impliquées dans un conflit armé tel que défini par le droit international ne peuvent pas être considérées comme terroristes, mais doivent être considérées comme des forces armées dans un conflit. Elles doivent donc être soumises aux lois de la guerre et au droit humanitaire international. Cette disposition stipule que la loi antiterroriste ne s’applique pas à ces forces-là.

Les deux critères pour définir le PKK comme une force armée : conflit intense et niveau d’organisation

Nous avons argumenté que le conflit entre la guérilla kurde, menée par le PKK et son bras armé le HPG, et l’Etat turc est un conflit armé tel que défini par le droit international. Il met en avant deux critères pour considérer une situation de violence entre une force étatique et une force non-étatique comme un conflit armé. D’abord, il faut que le niveau d’intensité d’un conflit soit suffisamment intense pour être pris en considération. Ensuite, il faut également tenir compte du niveau d’organisation de l’acteur non-étatique. L’acteur non-étatique, la guérilla kurde dans ce cas-ci, doit être suffisamment organisée pour être considérée comme une force armée. Nous avons argumenté que le conflit entre la Turquie et les Kurdes durait depuis très longtemps, était intense avec une portée très large et nous avons également dit que le HPG devait être considéré comme une armée au regard de son degré d’organisation.

En fait, la Cour a accepté notre argumentaire et a décidé que les membres du PKK ne pouvaient pas être poursuivis en Belgique conformément à la loi antiterroriste. Parce que le PKK devrait être considéré comme partie prenante d’un conflit armé qui l’oppose à l’Etat turc, il devrait être soumis aux lois de guerre et aux lois internationales humanitaires.

Décision conforme au droit international

Je pense que c’est une décision très importante pour plusieurs raisons.  Ce n’est pas simplement une décision folle d’un juge belge. En premier lieu, c’est une décision conforme au droit international, qui a notamment pour objectif de distinguer les situations d’un conflit armé des autres situations de violence. Si vous poursuivez une partie non-étatique impliquée dans un conflit armé comme étant terroriste, à ce moment-là, cette partie ne va pas faire de distinction entre les objectifs militaires et les objectifs civiles. En revanche, si vous appliquez les lois de la guerre, c’est une incitation très forte faite à toute les parties de respecter les civils dans ce conflit et à se concentrer sur des objectifs et des cibles militaires.

Deuxièmement, ça crée aussi une situation dans laquelle les Kurdes peuvent plus facilement bénéficier du droit d’expression. Si vous ne pouvez pas être poursuivis comme terroriste pour exprimer votre sympathie ou votre avis sur le PKK et son rôle dans le conflit qui oppose la Turquie aux Kurdes, à ce moment-là vous créez de meilleures conditions permettant la liberté d’expression.

Troisièmement, ceci crée de meilleures options pour une solution politique négociée, parce que si vous définissez ce problème comme relevant du terrorisme, la seule chose que peut faire la partie considérée comme telle est de se battre jusqu’au bout. Car on ne peut pas trouver de compromis avec le terrorisme. Par contre, si vous définissez cet affrontement comme un conflit, il faudra trouver une solution.

Une décision à suivre

Cette décision n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Cela dit, elle pourrait créer une petite dynamique dans d’autres pays et dans l’Union européenne qui permettrait de reconsidérer le processus de criminalisation du PKK. Si d’autres Cours de justice suivent la décision belge, si l’Union européenne en fait de même lorsqu’elle établit la liste des organisations terroristes, cela contribuera vraiment  à trouver une solution négociée entre les Kurdes et la Turquie, plutôt que d’alimenter la répression brutale de la Turquie à l’encontre du peuple kurde.

15-16 mars : Tribunal des Peuples à Paris

Le but de la lutte contre la criminalisation du mouvement kurde n’est pas simplement une question de défense des Kurdes contre cette criminalisation, c’est également de montrer de quel côté sont commis les actes criminels. Certains disent que la Turquie bénéficie d’impunité pour tous types de massacres, qu’il s’agisse du génocide arménien ou autres. C’est vrai, la Turquie n’a jamais été sanctionnée.

Des associations d’avocats démocratiques et l’Institut kurde de Bruxelles organisent le 15 et 16 mars à Paris une séance du Tribunal Permanent des Peuples pour parler des crimes de guerre commis par la Turquie entre 2015 et aujourd’hui, après la fin des pourparlers de paix. Les crimes commis par l’Etat turc ou ses agents contre les Kurdes seront également débattus, notamment l’assassinat des trois femmes kurdes à Paris. Dans ce cas précis, l’enquête montre que l’Etat turc et ses agents étaient directement impliqués dans ces assassinats.

Transcription et correction : Chris Den Hond, Azad Kurkut, Songul