Le mouvement de grève de la faim initié par la Députée du Parti démocratique des Peuples (HDP) Leyla Guven a atteint aujourd’hui 182 jours. Visant à obtenir la levée de l’isolement carcéral imposé au leader kurde Abdullah Ocalan, détenu sur l’ile-prison d’Imrali depuis le 15 février 1999, ce mouvement de résistance a progressivement gagné des milliers de personnes, majoritairement dans les geôles turques.
Lorsque Leyla Güven a entamé son action dans la prison de Diyarbakir, le 7 novembre 2018, cela faisait plus de deux ans qu’on n’avait plus aucune nouvelle d’Abdullah Ocalan, la dernière visite qu’il avait reçue, celle de son frère, datant du 11 septembre 2016. Cette dernière avait été consentie par le gouvernement turc après plus d’un an d’isolement, suite à une grande vague de contestation. Le mouvement actuel de grève de la faim a fait bouger les lignes en Turquie.
Beaucoup n’ont pas compris l’ampleur, l’impact et l’importance de ce mouvement de grève qui a été rejoint rapidement par des centaines, puis des milliers de militants politiques dans les prisons, mais aussi à l’extérieur. Beaucoup ont prétendu que c’était une forme d’action qui n’apportait rien, beaucoup nous ont qualifiés de désespérés. Mais les Kurdes sont convaincus d’une chose, c’est que la détermination et la résistance mènent toujours à la victoire.
Les acquis du mouvement de grève de la faim
Le mouvement de grève de la faim a eu plusieurs impacts positifs. En premier lieu, la pression exercée par la vague grandissante des grèves de la faim a contraint les autorités turques à autoriser une visite du frère d’Ocalan, Mehmet Ocalan, le 12 janvier 2019.
Deuxièmement, la solidarité internationale suscitée par ce mouvement de contestation sans précédent a mené à la libération de Leyla Guven.
Troisièmement, la stratégie électorale adoptée par le HDP aux élections municipales du 31 mars a été déterminante dans le résultat des votes à Istanbul, Ankara, Izmir, Mersin, Antalya et dans d’autre villes de la Turquie. En effet, suivant en cela les recommandations faites par Abdullah Ocalan lors de la courte visite de son frère, le HDP avait décidé de ne pas présenter de candidats dans ces villes, ceci afin de faire perdre l’AKP.
Enfin, quatrième conséquence positive des grèves de la faim, le leader kurde a été autorisé, après 8 ans de privation de visites, à rencontrer ses avocats, le 2 mai.
Quand on considère l’impasse dans laquelle se trouve le gouvernement de l’AKP du fait de sa politique de guerre contre les Kurdes, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Turquie, les résultats des élections municipales dans lesquels le vote kurde a été déterminant, et la dépression psychologique provoquée chez Erdogan par la stratégie électorale du HDP, on arrive à mieux évaluer l’impact et l’importance du mouvement de grève de la faim dans l’évolution du processus en Turquie.
Ocalan lance un appel pour une réconciliation sociale
Le 2 mai, Abdullah Ocalan a pu s’entretenir avec ses avocats pendant une heure. Comme il ressort du message envoyé par le leader kurde et ses trois codétenus, relayé par les avocats lors d’une conférence de presse le 6 mai à Istanbul, les principaux sujets à l’ordre du jour de la rencontre ont été les grèves de la faim, la Syrie et la réconciliation sociale. A travers ce message, Ocalan lance à nouveau un appel pour résoudre la question kurde par des méthodes pacifiques. Sera-t-il entendu ? Nous le saurons bientôt. Cependant, contrairement à ce que beaucoup prétendent, il n’est pas question d’Istanbul dans le message d’Ocalan qui se concentre sur les acquis du peuple kurde en Syrie…
La réorganisation des élections à Istanbul
Le jour-même où les avocats d’Ocalan ont rendu public les détails de l’entretien avec leur client, le Haut Conseil électoral turc (YSK) a ordonné l’annulation du scrutin des élections municipales à Istanbul qui avaient été remportées par le candidat de l’opposition, Ekrem Imamoglu.
Beaucoup ont alors insinué qu’Ocalan aurait accepté de négocier avec l’État turc sur le sort d’Istanbul. Cependant, les recommandations émises par Ocalan le 12 janvier avaient un objectif clair : se débarrasser de l’AKP.
C’est à dessein que L’AKP a fait intervenir la décision de l’YSK le même jour que la conférence de presse donnée par les avocats. Il a voulu de cette manière susciter le sentiment que le HDP allait le soutenir lors des nouvelles élections prévues à Istanbul le 23 juin prochain.
Ocalan n’a jamais négocié avec l’État turc concernant ses conditions de détention. Il s’est toujours concentré sur les moyens d’instaurer la paix au Kurdistan et en Turquie. Le cadre des entretiens avec Ocalan dépasse largement la simple question d’Istanbul sur laquelle les Kurdes suivront la même stratégie.
L’isolement est-il levé ?
Comme l’ont déclaré les grévistes de la faim le soir-même de la conférence de presse donnée par les avocats d’Ocalan le 6 mai, le fait que celui-ci ait été autorisé à recevoir une visite, après 8 ans de privation, ne signifie pas la fin de l’isolement. En effet, bien que le stade atteint soit très important, on ne peut pas dire que l’isolement ait été rompu. Pour cette raison, les milliers de grévistes de la faim et les 15 prisonniers politiques qui ont entamé un jeûne de la mort le 30 avril ont décidé de poursuivre leur action jusqu’à ce que leur demande soit satisfaite.
Il est important de relever que la Turquie traverse une période cruciale et que la stratégie suivie par les Kurdes les place au rang d’acteurs principaux dans le processus actuel.