Avec Osman Baydemir et Selma Irmak, ce sont 11 députés du Parti Démocratique des Peuples (HDP) qui ont été destitués et démis de leur fonction. De plus, des requêtes du procureur général d’Ankara visent Feleknas Uca, Sibel Yiğitalp, Dilek Öcalan, Mizgin Irgat, Nadir Yıldırım, Alican Ünlu et Garo Paylan, tous et toutes accusés de faire de la propagande en faveur du terrorisme, d’humilier la nation turque, d’insulter le Président turc ou de violer la loi sur les partis politiques. Neuf élus, dont les co-présidents du groupe, sont déjà incarcérés et dans l’impossibilité d’exercer leur mandat (Selahattin Demirtaş, Figen Yüksekdağ, Abdullah Zeydan, Burcu Çelik Özkan, Çağlar Demirel, Gülser Yıldırım, Ferhat Encu, İdris Baluken, Selma Irmak) et trois ont choisi le chemin de l’exil. La manœuvre est claire : il s’agit d’éradiquer la seule vraie opposition parlementaire au président-dictateur avant la tenue de nouvelles élections organisées de façon telle qu’elles viendront conforter sa politique hégémonique. Et pour ce, sachant qu’il peut tirer profit de la vague nationaliste provoquée par l’invasion turque au Rojava, il vient de décider arbitrairement de bouleverser le calendrier électoral : des élections anticipées, présidentielle et législatives, auront lieu le 24 juin prochain, soit un an et demi avant la date prévue. L’objectif et de faire taire toute opposition parlementaire. Déjà tous les co-maires HDP ont été destitués – la plupart incarcérés – et remplacés par des administrateurs à la solde du président. Et d’aucuns voudraient encore nous faire croire que la Turquie est un Etat de droit !
Selma Irmak
Selma Irmak, députée de Hakkari, condamnée pour « propagande terroriste », a été démise de ses fonctions. Née en 1971 à Kiziltepe (province de Mardin), Selma Irmak fait partie de ces femmes qui, très jeunes, ont commencé à militer dans les organisations étudiantes et au Centre culturel de Mésopotamie (MKM). Elle connaîtra la prison dès 1994 durant 3 ans et 9 mois. Animatrice de l’Institut kurde d’Istanbul, elle adhère au HADEP, puis au DTP dont elle devient une des vice-présidentes. Elle est arrêtée et incarcérée, ainsi que nombre d’autres élus, deux semaines après les élections municipales de mars 2009 où elle s’était portée candidate. En juin 2011, elle est élue députée de Sirnak et exerce ses fonctions du fond de sa prison de Diyarbakir, alors qu’elle aurait dû bénéficier de l’immunité parlementaire. Avec Faisal Sarıyıldız, autre député de Sirnak incarcéré, elle lance en février 2012 la grande grève de la faim qui sera suivie par des centaines de détenus. Elle n’est libérée que le 4 janvier 2014 et réélue au Parlement dans le cadre des élections les 7 juin et 1er novembre 2015. Une délégation des Amitiés kurdes de Bretagne avait pu s’entretenir avec Selma Irmak, le soir des élections municipales, le 30 mars 2014 à Sirnak. Il y a actuellement 22 procès intentés contre elle.
Osman Baydemir
Osman Baydemir, maire de Diyarbakir de 2004 à 2014, condamné à 17 mois de prison, a perdu son immunité parlementaire et a été démis de ses fonctions. Il avait été élu député d’Urfa en 2015 et désigné comme porte-parole du HDP. Le motif de sa condamnation est “insulte à la police ». Les faits qui lui sont reprochés remontent à 2012, lors de la grande grève de la faim dans les prisons, alors qu’il se heurtait à un cordon de police l’empêchant d’organiser un meeting de solidarité envers les grévistes.
Nous connaissons particulièrement Osman Baydemir, qui a été reçu plusieurs fois à Rennes en tant que maire de la ville métropolitaine de Diyarbakir, les deux villes entretenant des liens de coopération depuis des décennies. Le maire de Rennes était allé à Diyarbakir, le 25 octobre 2010, témoigner de sa solidarité envers son collègue maire et assister à une audience de l’un des nombreux procès intentés contre lui.
Mais nous connaissons en fait Osman Baydemir depuis 1994, alors qu’il était président de la section de Diyarbakir de l’Association turque des droits de l’homme (IHD). Nous lui avions servi, en quelque sorte, de gardes du corps, alors que la répression faisait rage dans les rues mêmes de Diyarbakir lors des fêtes non autorisées des Newroz? 1994 et 1995. Les journalistes kurdes du journal Özgür Gündem et les militants de l’IHD étaient particulièrement visés. Nous devions également nous retrouver en 2002, à l’occasion d’un concert, autour de Feridun Celik, maire de Diyarbakir, son prédécesseur, avec Bernard Garcia, ambassadeur de France à Ankara et une délégation de musiciens bretons, dont Erik Marchand, alors que venait d’être interpellé en direct Koma Asmin, un groupe amateur de 11 jeunes filles du Centre culturel de Mésopotamie d’Istanbul, accusées d’avoir chanté une chanson en kurde très populaire et d’avoir provoqué les autorités en s’habillant en costumes traditionnels kurdes. En 2002, comme dans les années précédentes, Osman Baydemir, avocat expérimenté et pugnace, avait été d’un précieux conseil. Il fut par la suite, en tant que maire métropolitain, président du GABB (Union des municipalités du sud-est anatolien), puis député, une des cibles du pouvoir étatique. Il est aujourd’hui un interlocuteur écouté, dont les dernières déclarations font réfléchir :
Comme dans les années 90, le terrorisme d’État porte la marque du nationalisme turc mais la relative laïcité du XXème siècle a cédé la place à l’islamisme politique d’Erdoğan. Un tournant religieux assumé par l’autocrate d’Ankara qui attise un choc des cultures et des civilisations dans un voisinage régional déjà instable. La collaboration AKP/MHP [1] avec des groupes terroristes tels que Daech ou al-Nosra constitue une grande menace pour le monde entier. Le manque de réalisme et de précautions vis-à-vis de l’Allemagne dans les années 30 a conduit à un désastre pour l’humanité. Malheureusement, l’histoire se répète aujourd’hui. La Turquie porte une part de responsabilité dans les attaques de Daech en Europe (…). Le président français a critiqué l’attaque turque sur Afrin et deux jours plus tard, vous êtes attaqués en France, à Carcassonne. Ces deux faits ne sont pas indépendants et nous devons stopper cela. Si on n’arrête pas le fascisme turc, le monde entier court à sa perte.
Par André Metayer