Un procureur d’Ankara a ouvert une enquête contre deux députés du HDP, Hüda Kaya et Ömer Faruk Gergerlioğlu, après que ceux-ci aient exprimé des critiques concernant le bombardement par l’armée turque d’un camp de prisonniers de guerre détenus par le PKK, dans la région de Garê, au Sud-Kurdistan (Irak).
Le procureur général d’Ankara s’est hâté ce dimanche d’ouvrir une enquête contre les Députés Hüda Kaya et Ömer Faruk Gergerlioğlu. Les deux parlementaires du Parti démocratique des Peuples (HDP) sont accusés d’avoir violé les dispositions du code pénal sur la « turcité ». L’armée turque a bombardé un camp de prisonniers de guerre turcs détenus par la guérilla du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) au Sud-Kurdistan (nord de l’Irak), au cours d’une opération d’invasion lancée par la Turquie mercredi et interrompue tôt dimanche matin. Dans le camp situé dans la région de Garê étaient détenus des prisonniers de guerre appartenant aux forces de sécurité turques – membres du service de renseignement turc (MIT), soldats et policiers. Il a été intensivement bombardé par l’armée turque pendant trois jours, à la fois depuis les airs et depuis le sol. Tandis que le gouvernement turc et les médias pro-gouvernementaux ont déclenché une campagne de désinformation sur l’invasion de Garê, propageant dans la presse que « treize citoyens turcs » ont été exécutés par la guérilla kurde, le commandement des forces de défense du peuple (HPG, branche armée du PKK) a accusé aujourd’hui le ministre turc de la défense Hulusi Akar d’avoir causé intentionnellement la mort des prisonniers de guerre.
HPG : Attaque visant à détruire les prisonniers de guerre
Le commandement des HPG a déclaré que le camp avait été intensivement bombardé le 10 février, précisant que les bombardements avaient été suivis d’une attaque au sol. « De toute évidence, l’attaque n’avait pas pour but de libérer les prisonniers de guerre, mais de les éliminer », ont dénoncé les HPG. Et d’ajouter : « Le seul responsable de la mort de ces personnes est Hulusi Akar. Il a donné l’ordre de cette attaque, il est dépourvu de sentiment humain. »
Hüda Kaya : L’État déforme la vérité
La députée Hüda Kaya a réagi avec indignation à la campagne de désinformation orchestrée par l’État, postant ce message sur son compte twitter : « Les familles de ces prisonniers nous ont rendu visite des dizaines de fois et ont eu des entretiens avec notre parti. Mais chaque fois que nous avons parlé de paix, ils [le gouvernement] sont passés à l’attaque. C’est la Turquie qui a bombardé le camp et quand ils [les autorités turques] ont su que les prisonniers étaient morts, ils ont arrêté. Ceux qui ont approuvé les motions de guerre pleurent aujourd’hui les morts « , a écrit Kaya sur Twitter.
Les deux députés ont par ailleurs souligné que plusieurs initiatives avaient eu lieu dans le passé pour la libération et le retour en toute sécurité des prisonniers de guerre, auxquelles Ankara n’avait jamais répondu. « S’il y avait une atmosphère de paix, ces personnes seraient encore en vie », a déclaré M. Gergerlioğlu.
Plusieurs initiatives pour la libération des prisonniers de guerre
De nombreuses démarches ont été entreprises dans le passé pour la libération des soldats et des policiers turcs capturés par la guérilla, généralement initiées par l’Association des Droits de l’Homme (IHD). L’IHD est également intervenue concernant les prisonniers turcs se trouvant dans le camp de Garê au moment où l’armée turque a commencé à bombarder la zone. Mais les appels au gouvernement ont été vains. En mai 2019, des lettres rédigées par les prisonniers de guerre du PKK avaient été remises à l’Association des droits de l’homme pour être transmises à leurs familles. Dans ces lettres, certains soldats exprimaient leur inquiétude quant aux bombardements de l’armée de l’air turque dans les environs du camp, ainsi que leur déception face au manque d’engagement du gouvernement pour leur libération.
Enquêtes basées sur l’article 301 du code pénal
Les enquêtes contre Kaya et Gergerlioğlu ont été ouvertes sur la base de l’article 301 du code pénal turc. Jusqu’en 2008, l’article 301 pénalisait l' »insulte à l’identité turque », mais sous la pression de l’UE, la loi a été réformée. Dans sa version actuelle, l’article stipule : « Quiconque dénigre publiquement la nation turque, l’État de la République turque, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République turque et les organes judiciaires de l’État sera puni de six mois à deux ans de prison ».
Un instrument efficace contre l’opposition
Des personnalités de l’opposition et des intellectuels considérés comme dérangeants par le pouvoir sont régulièrement poursuivis en justice pour avoir prétendument dénigré la turcité. Hrant Dink, un journaliste arménien assassiné à Istanbul en 2007, a été le premier à être accusé d' »insulte à l’identité turque », ce qui lui a valu une condamnation à une peine avec sursis. Son fils Arat Dink a été poursuivi sur le même fondement. L’avocate et militante des droits humains Eren Keskin est probablement la personne ayant fait l’objet du plus grand nombre de poursuites sur la base de cet article controversé.