Désormais le moment est venu de faire la paix entre les Kurdes et l'État turc. Ne le gâchons pas
Cemil Bayik, Coprésident du Conseil exécutif de l'Union des Communautés du Kurdistan (KCK).

Nous sommes à un moment critique du conflit entre l’État turc et le peuple kurde. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de passer d’un désaccord de longue date à une solution durable. Si nous gaspillons cette chance, celle-ci pourrait ne plus se représenter à toute une génération. 

Depuis la création de la République turque en 1923, les Kurdes se sont battu.es pour être reconnu.es comme des citoyen.nes à part entière. Ils ont dû faire face à une myriade de discriminations et d’oppressions, sous toutes leurs formes. Après avoir essayé en vain d’améliorer notre situation au sein du cadre politique pendant plus de cinq décennies, nous n’avions pas eu d’autres choix que de recourir à la résistance armée. Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), né en 1978, a déclanché une guerre de guérilla en 1984. Alors que l’État turc essayait d’utiliser le nationalisme et l’islam politique pour balayer notre lutte, notre parti demandait depuis ses débuts la liberté pour toutes les composantes ethniques et religieuses de Turquie. 

Plus tard, en 2012, le PKK a déclaré un cessez-le-feu que nous avons maintenu en dépit d’obstacles importants. Le PKK a relâché à cette époque tous les soldats turcs et officiers de police qu’il détenait en captivité pendant que nos forces débutait un retrait progressif de Turquie, ouvrant ainsi la voie aux négociations. 

Le 28 février 2015, après deux ans de discussions, les représentant.es du peuple kurde et de l’État turc parvenaient à un accord exprimant nos espoirs partagés de paix. Toutefois, lorsque Erdogan s’est rendu compte que les pourparlers n’étaient plus bénéfiques au futur électoral de son parti, il a une fois de plus choisi la confrontation. Les réunions régulières qui avaient eu lieu entre les délégué.es de l’État turc et notre leader Ocalan ont pris fin. Les chars et avions de combat de l’État turc ont écrasé dix villes kurdes. L’appareil militaire turc a brutalement tué des milliers de civil.es dont des femmes, des enfants et des personnes âgées. Bien souvent, les forces de sécurité empêchaient les familles de recueillir les corps de leurs proches. 

Une fois de plus, l’État cherchait à porter un coup fatal au peuple kurde. En maniant le pouvoir par l’extrémisme religieux et le racisme, négligeant la démocratie et les vies des civil.es, l’AKP est dans sa forme de gouvernance actuelle un danger non seulement pour les Kurdes, mais pour le Moyen-Orient et le monde entier. 

Aujourd’hui, Erdogan perçoit le révolution démocratiques des Kurdes en Syrie et la défaite de l’État islamique comme une menace pour sa mainmise autoritaire sur le pouvoir et la politique kurde de l’État turc. Notre organisation souhaite voir la libération de tous les peuples de Syrie et une démocratisation véritable du pays. Les Kurdes, les Arabes et les Assyrien.nes du nord-est de la Syrie ont déjà mis l’autonomie démocratique, développée par Ocalan durant ses années d’incarcération, en pratique. 

Nous avons commis nos propres erreurs en faisant face à ces défis. Nous avons été naïves et naïfs de penser que nous pouvions résoudre la question kurde seulement par le dialogue avec le parti d’Erdogan. En essayant de trouver des solutions à un conflit si complexe et tant connecté à d’autres enjeux, nous aurions dû mettre plus d’ardeur pour inclure toutes les forces démocratiques de Turquie. De la même manière, nous aurions dû mobiliser les forces pro-démocratie au Moyen-Orient et du monde entier pour contribuer à la démocratisation de la Turquie et à la résolution de la question kurde.   

Au cas où il y aurait quelque ambiguité à ce sujet : nous affirmons une fois de plus que nous tenons à négocier une solution politique à la question kurde en Turquie.  

Nous répèterons ce que nous avons dit auparavant : Ocalan est notre négociateur principal. Nous sommes d’accord avec l’ensemble des points soulevés par Ocalan dans ses communications les plus récentes et précisons que pour assurer un cessez-le-feu durable, l’aptitude d’Ocalan à travailler et à contribuer librement à un processus de paix est indispensable à nos yeux. Pour être plus précis, il doit être transférer de la prison d’Imrali à un logement sûr où sa sécurité soit garantie. 

Il est dans l’intérêt du monde entier de supporter nos objectifs. Aujourd’hui, la crise en Turquie est fondamentallement politique. Cette crise découle de la faillite de la République turque dans sa politique kurde, vieille d’un siècle. Ce problème est au cœur des défis actuels intérieurs, régionaux et globaux de la Turquie. À cet effet, elle a désespéremment besoin d’une nouvelle grille de lecture de la « nation » qui puisse ouvrir un espace pour les différentes identités ethniques et culturelles. Une telle approche doit être pensée par un nouveau système administratif reflétant notre diversité historique régionale, libéré du carcan centralisateur d’Ankara. 

En résolvant sa question kurde, la Turquie pourrait jouer un rôle décisif dans l’enracinement de la démocratie, de la stabilité et de la paix au Moyen-Orient. Cependant, l’État turc refuse d’agir de la sorte. Nous, de l’autre côté, continuons de lutter pour la démocratisation du Moyen-Orient à travers la démocratisation de la Turquie. 

Tribune écrite par Cemil Bayik, l’un des cinq fondateur du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), et publiée dans le Washington Post.

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