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Bulletin hebdomadaire des nouvelles d’Afrin #16

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3 juin 2018

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Nous publions toutes les semaines les bulletins hebdomadaires des nouvelles d’ Afrin, écrits et traduits en français par le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin. Les bulletins informent à la fois sur la situation militaire, politique et humanitaire autour d’Afrin et plus largement au nord de la Syrie, sur les initiatives de solidarité exprimées à travers le monde et analysent les prises de positions des différents acteurs politiques.

Créé au début de l’offensive turque sur Afrin, le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin dispose d’un compte twitter, d’une chaîne Youtube et d’un site internet, où sont publiés les bulletins mais aussi des dossiers d’information écrits directement par le centre ou par différentes institutions du Nord-Syrie (Croissant Rouge du Kurdistan, TEV-DEM…) ; des analyses politiques de la situation ; des photos et vidéo documentant les crimes de guerre, la résistance populaire et témoignant du quotidien des populations d’Afrin, maintenant pour la plupart devenues réfugiées.

La plupart des informations sont en anglais mais des traductions régulières vers le français sont effectuées, comme c’est le cas pour tous les précédents bulletins, que vous pouvez aussi trouver sur le site.

Les développements autour d’Afrin – du 25 au 31 mai 2018

Introduction

Avec la défaite de l’Etat islamique en Syrie et particulièrement après la libération de Raqqa à l’Octobre 2017, l’Etat turc a intensifié ses menaces et attaques contre la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie. Dans ce contexte, la Turquie a commencé sa guerre d’invasion à Afrin le 20 janvier, transgressant le droit international et violant la souveraineté de son pays voisin. L’armée turque a déclenché cette guerre en coopération avec des groupes djihadistes issus des rangs de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Beaucoup d’entre-eux sont liés à Al-Qaïda à l’auto-proclamé Etat islamique. À compter de début mars, tous les districts et la ville d’Afrin ont été sous les bombardements de l’aviation, de l’artillerie et des drones de l’armée turque, qui ont particulièrement ciblé les civils. Les 17 et 18 mars, plus de 200 000 personnes ont quitté Afrin et ont été évacués de la ville afin d’éviter un génocide physique. Depuis, la majorité des personnes sont réfugiées dans le canton de Shehba, sans garanties pour leur sécurité ni soutien international. Dans cette nouvelle étape de la guerre, la confrontation entre les puissances internationales et leurs intérêts se fait plus intense de jour en jour.

Les développements de la semaine dernière autour d’Afrin

Après 130 jours de résistance contre la deuxième plus grande armée de l’OTAN, des centaines de personnes du canton d’Afrin sont toujours déplacées de leurs terres et font face à des conditions de vie difficiles. L’armée turque et ses alliés de l’ASL appliquent des politiques de nettoyage ethnique, d’assimilation et de colonisation, empêchant la population de retourner dans leurs villages et poursuivant les préparatifs pour annexer la région d’Afrin au territoire de l’Etat turc. Actuellement, la résistance des forces YPG-YPJ dans tous les districts du canton d’Afrin continue ainsi que la résistance des personnes déplacées d’Afrin dans la région de Shehba. Des tensions entre les puissances régionales et internationales sont apparues avec des frappes aériennes des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France sur les installations syriennes.

Afrin

L’armée turque et les forces de l’ASL continuent l’occupation, leurs politiques d’assimilation et de changements démographiques. Selon le Conseil syrien des femmes : 119 femmes ont été enlevées et soumises à des abus sexuels à Afrin [1]. Les groupes de l’ASL ont occupé des maisons d’Afrin et ont demandé d’énormes sommes d’argent en échange de la libération de ces femmes enlevées. Une vidéo de l’AFP montre des personnes déplacées originaires de la Ghouta occupant des maisons d’Afrin vidées par l’armée turque et les groupes d’ASL [2]. Des sources locales ont reporté que deux groupes de l’ASL (Al-Sultan Morad et Jaish al-Sharquiya) se sont battus l’un contre l’autre afin d’occuper les lieux et de confisquer l’église Good Shepherd à Afrin. Après l’occupation de l’armée turque et de l’ASL, seulement 3 familles de chrétiens sur 250 sont restées dans la ville d’Afrin [3]. L’armée turque et les forces de l’ASL ont enlevé 8 civils du village de Chaqmaq du district de Rajo et du village Chiqla dans le district de Jinderes, où une prison a été construite. Il a été demandé une rançon de 7000 dollars aux familles pour chaque personne [4].

Selon le journaliste turc Mete Sohtaoglu, 620 membres de l’ASL ont été déployés à Afrin en tant que forces de polices après avoir été entrainés par l’Etat turc à Mersin au Kurdistan du Nord/Turquie. Deux autres équipes de la Police Syrienne seront envoyées à Afrin pour y « apporter la sécurité et un contrôle du trafic ».

Selon le compte twitter Afrin activists, le 26 mai des personnes inconnues ont attaqué le quartier général du groupe Ahrar al-Sharqiya dans la ville d’Afrin [6].

De plus, l’armée turque et les forces de l’ASL ont attaqué le village de Sinku pour la troisième fois cette semaine et ont kidnappé des civils ; à Kord, ils ont enlevé six civils et poignardé deux autres, qui étaient gravement blessés. Ils s’appellent Mustapha Mohammed Surk et Marwan Ali Surk [7]. Ils ont également reporté que Walid Jamil Sourani et Hussain Abdul Rahman Sager ont été kidnappés le 18 mars. Ils étaient du village de Jekali Gum (du district de Cindirêsê). Ils ont été torturés à l’intérieur de la prison. De plus, ils ont reporté qu’un convoi composé de plus de 200 véhicules et de 1500 déplacés venant de la région de Shahba et du Nord d’Alep essayent de retourner à Afrin depuis trois jours. Près du village de Gilbara, le premier group de ces réfugiés a été attaqué par les forces de l’ASL, qui ont kidnappé 50 civils et volé un nombre important de véhicules [8].

De plus, le physicien kurde Dr. Lazkin Saleh, qui a refusé d’abandonner Afrin après l’intrusion par les forces turques, a été kidnappé par les forces de l’ASL [9]. Le 26 mai, des sources locales ont rapporté que Hamid Musa du village de Bircike (du district de Cindirêsê) a été sévèrement torturé par le groupe Ahrar al-Sharqiya car il s’est plaint de l’occupation turque. Sa condition est très critique.

Toujours selon des sources locales, la statue de Zarathoustra, le fondateur de la philosophie Êzîdî, située devant le centre d’Afrin a été totalement détruite, tout comme le centre Êzîdî lui-même [10].

Shehba et Syrie du Nord

Shehba, la région qui a accueilli des milliers de réfugiés venant d’Afrin a manifesté contre l’occupation turque lors de la Journée Globale d’action pour Afrin le 26 mai. Ils ont promis à la communauté internationale de prendre des mesures contre les crimes de guerre turcs et de renouveler leur promesse de résistance [11]. Au camp de Berxwedan – Fafin à Shehba, une aire de jeux est en train d’être installée pour plus de 1 000 enfants.

Des sources locales ont signalé que l’approvisionnement en diesel a été bloqué à Shehba. Le diesel est une ressource essentielle pour fournir de l’énergie aux pompes à eau, aux boulangeries et à la distribution de voitures pour les personnes déplacées d’Afrin [12]. Selon le Croissant-Rouge kurde, il y a une flambée de maladies dues à l’utilisation de l’eau polluée parmi les réfugiés d’Afrin dans la région de Shehba [13]. . En outre, dans la région de Shehba, la production agricole chute de 50% par rapport à l’année dernière, ce qui laisse craindre une faible production de blé et d’orge en raison du manque de précipitations et d’engrais mais aussi la perte des entrepôts d’Afrin [14]. Le 30 mai, les habitants du camp de réfugiés de Berxwedan ont manifesté leur désaccord avec les visiteurs russes dans la région de Shehba et les ont forcés à repartir [15].

Le Conseil militaire de Manbij a déclaré avoir capturé plusieurs cellules dormantes turques à Manbij. Elles sont considérées comme étant derrière une attaque d’engins explosifs improvisés qui s’est produite à la fin du mois dernier. Le 30 mai, le porte-parole du Conseil militaire de Manbij, Shervan Derwish, a nié le prétendu retrait de Manbij et a déclaré : « Il y a ceux qui veulent déstabiliser la région et donc qui veulent répandre des mensonges ».

Ramon Maria Rull Linhoff, volontaire internationaliste des YPG, a perdu la vie après avoir marché sur une mine à Deirezzor lors de l’opération de libération du village de Baghous des mains de l’Etat islamique le 13 mai. Ses funérailles ont eu lieu à Derik le 27 mai.

Selon la BBC, le ministère russe de la Défense a déclaré le 27 mai que deux conseillers militaires russes sont morts et que deux autres membres du personnel militaire russes ont été tués et trois autres blessés dans la province de Deir-Ezor [16].

Turquie, Irak, Syrie, Iran

Un comité sénatorial américain a adopté le 24 mai sa version d’un projet de loi sur la politique de défense de 716 milliards de dollars, incluant une mesure visant à empêcher la Turquie d’acheter des avions de combat interarmées Lockheed Martin F-35. “Il y a une énorme hésitation à transférer des avions et des technologies F35 sensibles à une nation qui a acheté un système de défense aérienne russe conçu pour abattre ces avions“, a déclaré le sénateur Shaheen [17]. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a déclaré que la Turquie irait ailleurs si les Etats-Unis ne lui permettaient pas d’acheter les avions F-35 de Lockheed Martin [18].

Le 23 mai, le Conseil suprême des élections (YSK) de la Turquie a rejeté une demande de Selahattin Demirtaş, le candidat à la présidence emprisonné du Parti démocratique des peuples (HDP), de participer par téléphone au programme de la télévision Fox “Leaders in Fox” [19]. Après un appel au rassemblement au parc Gezi d’Istanbul pour le 5ème anniversaire de la résistance de Gezi, la police a fermé le parc avec des barricades. Certaines routes menant à Taksim étaient également fermées à la circulation automobile [20].

Le 27 mai, à Lesbos (Grèce), un groupe de demandeurs d’asile kurdes a déclaré qu’ils avaient été attaqués au camp de réfugiés de la Moria par des Arabes de Syrie, d’Irak, du Yémen et d’Algérie, les accusant d’être des infidèles. En conséquence, dix réfugiés kurdes ont été grièvement blessés [21].

Le 30 mai, des affrontements entre Ahrar al-Sharqiyah et la soi-disant police libre ont éclaté dans la ville d’Al-Bab contrôlée par la Turquie. Selon des sources locales, à la suite de ces affrontements, un certain nombre de civils ont été blessés, dont certains grièvement [22].

Un ancien général irakien de la province de Kirkuk met en garde contre une augmentation des activités de l’Etat islamique dans le sud-ouest de la province de Kirkouk [23].

Selon les sources de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, les forces russes et iraniennes sont en désaccord sur la région de Tal Rifaat et les territoires environnants, qui ont été pris à l’ASL et aux factions islamiques début 2016. Le désaccord est survenu après qu’une offre russe ait été faite pour remettre la région de Tal Rifaat aux forces turques en échange du retrait de l’ASL et des factions islamiques du triangle de l’Ouest Jesr al-Shughur – Sahl al-Ghab – la campagne nord-est de Lattaquié [24].

Solidarité avec Afrin

Le 21 mai, la jeunesse kurde et des sympathisants ont occupé un bâtiment vacant à Londres. Cet espace récemment occupé, ‘Kurdistan Place’’, a été squatté par les amis d’Anna Campbell pour promouvoir la solidarité avec la lutte du peuple kurde [25].

Le 25 mai était la journée de l’Action Mondiale pour Afrin. À Melbourne, en Australie, des manifestants ont manifesté contre l’occupation turque à Afrin [26]. Des manifestations ont également eu lieu à Göteborg (Suède), Berne (Suisse), Oslo (Norvège), Bilbao (Pays basque), Copenhague (Danemark), Londres (Royaume-Uni), Liège (Belgique), Portland (États-Unis) et au Pakistan.

A Hanovre, des manifestants ont dénoncé la collaboration germano-turque comme la compagnie allemande Rheinmetall produisant des chars pour l’armée turque. A Badenwürttemberg, plusieurs militants se sont rassemblés devant le siège du SPD pour dénoncer, une fois de plus, l’implication des principaux partis allemands. Une manifestation a également eu lieu à Munich [27].

Des femmes de Bologne (Italie) ont manifesté contre le patriarcat et l’invasion turque d’Afrin. Elles comprennent cette invasion comme une atteinte à l’autonomie des femmes. À Riace et Cosenza, des réunions contre l’occupation turque à Afrin et au Kurdistan du Sud (Iraq) ont eu lieu. Des banderoles apposées sur l’usine d’armement Leonardo à Gorizia ont dénoncé la participation de cette compagnie dans les crimes de guerre de l’Etat turc à Afrin [28]. Des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes du nord de la Syrie comme Derik et Girke Lekê. Le 26 mai, des centaines de résidents d’Amude et des membres des institutions civiles ont également manifesté.

Le 26 mai, une conférence s’est tenue dans la ville de Den Haag (Pays-Bas). Le 27 mai, l’organisation internationaliste basque Askapena a montré sa solidarité avec la résistance kurde.

Lors de la Journée Mondiale d’Action pour Afrin, des dizaines d’ONG en Inde ont publié une déclaration appelant à la fin de l’invasion turque d’Afrin et de toutes les terres du Kurdistan [29].

Déclarations et analyses

Deux prisonniers politiques kurdes, Zanyar Muradî et Ramin Hossein Panahi, ont envoyé une lettre ouverte et lancé un appel public pour une prise conscience sur l’ordre d’exécution à leur encontre par le régime iranien. Un autre prisonnier, Mohammad Salas, est déjà condamné à l’exécution en Iran.

Le 29 mai, les partis politiques opérant sous le toit du Mouvement pour une Société Démocratique (TEV-DEM) ont publié un communiqué de presse sur la violence et les attaques brutales menées par l’armée turque et les forces de l’ASL à Afrin [30].

Une délégation allemande au nord de la Syrie a déclaré : “Ici, les gens de toutes les religions et de tous les milieux peuvent vivre démocratiquement et se gouverner eux-mêmes. Ils ont besoin du soutien de la communauté internationale contre les attaques de la Turquie qui son en violation du droit international. » [31].

Le père d’Anna Campbell, Hêlîn Qereçox, a accusé le gouvernement britannique de “faire marche arrière” alors qu’il tente de rappatrier le corps de sa fille dans son pays [32].

30 partis politiques kurdes, des associations, des organisations culturelles et juristes kurdes ont envoyé une lettre au secrétaire général des Nations Unies, António Guterres et au haut-commissaire aux droits de l’homme Zeyd Raad al-Hussein, pour souligner l’occupation illégale d’Afrin [33].

Dans une interview à Russia Today diffusée le 24 mai, le président syrien Bachar al-Assad a déclaré que “le seul problème qui reste en Syrie est les Forces Démocratiques Syriennes” et il a ajouté qu’il n’hésiterait pas à utiliser la force pour reprendre le tiers du pays qu’ils contrôlent [34].

Le ministre turc Veysel Eroglu a déclaré lors d’un discours de campagne: “Je vous jure que nous dépasserons la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. Nous gagnons du terrain, et ils sont en déclin. Allah est avec la nation turque. Ne vous inquiétez donc pas, nous y parviendrons avec l’aide de Dieu ” [35].

La Turquie a affirmé avoir conclu un accord avec les Etats-Unis à propos de Manbij, mais cela a été démenti par les autorités américaines. Les Etats-Unis ne veulent pas quitter la Syrie dans le but de contrer l’influence de l’Iran dans la région. Les tensions entre la Turquie et les États-Unis ont augmenté après la proposition du Sénat américain d’empêcher la Turquie d’acheter des avions F-35. Les désaccords entre la Russie et l’Iran sont également de plus en plus forts. La Russie et le régime syrien cherchent à prendre le contrôle de tous les territoires syriens sans concessions à d’autres parties. La situation est en stand-by en raison des intérêts contradictoires des différents acteurs. Il n’est pas possible de prédire comment la situation évoluera, mais toute imposition par l’un de ces acteurs peut mener à une guerre ouverte entre les grandes puissances mondiales.