Inutile de présenter Selahattin Demirtaş, incarcéré depuis le 4 novembre 2016 à Edirne en Turquie, aux confins de la Grèce et de la Bulgarie. Il encourt une peine de 183 ans de réclusion parce qu’il croit en la liberté, la démocratie et la paix. Mais Selahattin Demirtaş n’est pas seulement un homme politique,
il est aussi le père attentif de deux filles qui grandissent à présent loin de lui, nées de son mariage en 2002 avec Basak, institutrice, rencontrée à l’université, qui entreprend un voyage de trois mille kilomètres, chaque semaine depuis le début de l’incarcération de son époux, dans le seul but de passer une heure au parloir avec lui et de l’encourager à poursuivre son combat avec les armes de la littérature. Car c’est la prison qui a fait de lui un écrivain. (Georgia Makhlouf, L’Orient littéraire)
Selahattin Demirtaş, après « L’Aurore » écrit en prison et paru en 2018 aux éditions Emmanuelle Collas, a continué d’écrire dans une geôle de douze mètres carrés et d’affirmer sa foi dans l’avenir. Ses avocats se sont battus pour qu’il ait du papier et un crayon et depuis, il écrit. Des nouvelles, mais aussi des tribunes qu’il lance à la face du monde comme on jette une bouteille à la mer. Dans l’une d’elles il écrit : depuis ma jeunesse, et aujourd’hui encore, chaque fois que je contemple un champ de tournesols en fleur, j’ai l’impression de voir une foule de jeunes gens serrés côte à côte dans le cortège d’une manifestation.
Poésie et politique sont chez lui indissociables.
Et tournera la roue
Elles se nomment Sevtap, Zeynep ou Esmer. Ils s’appellent Devran, Serhat ou Cemsid. Tous, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, on les reconnaît, ces gens ordinaires dont le destin se mêle à celui d’un pays, la Turquie. Emmanuelle Collas, éditrice de son nouveau recueil de nouvelles, “Et tournera la roue”, qui voue une admiration à Selahattin – admiration partagée – attire notre attention sur ces histoires dont la fiction est tellement proche de la réalité. Parlant de l’auteur, elle a ces mots : vous le retrouverez lui, bien présent dans son humour et sa bienveillance. Humaniste, progressiste et féministe, homme politique d’envergure pour l’avenir, prisonnier au mépris des lois en Turquie, il a choisi la littérature pour dire son attachement à son pays et sa foi en la démocratie et la paix. Auteur de L’Aurore, prix Montluc Résistance et liberté et prix Lorientales 2019, finaliste du prix Médicis 2018, Demirtaş est sélectionné pour le prix Médicis 2019, nominé pour le prix Nobel de la Paix 2019 et vient d’être proposé pour le prix Sakharov 2019. 14 histoires merveilleuses qui vous feront voyager, rêver, comprendre, rire ou pleurer. On y retrouve l’atmosphère turque continentale, celle du Kurdistan, de la montagne, de la neige, des villages et des familles, mais aussi d’Istanbul du côté de l’Istiklal ou de Karaköy. En tant qu’éditrice, je suis admirative que, du fond de sa cellule, il trouve encore la force de se glisser dans la peau de tant de personnages de fiction, vulnérables et attachants, tous rebelles, pour nous dépeindre la Turquie du nord au sud, d’ouest en est, et notamment ces terres dont le nom est aujourd’hui imprononçable, le Kurdistan. Mais ce n’est sans doute pas un hasard si son inspiration littéraire, comme son engagement politique, va puiser aux sources mêmes de son attachement pour son pays.
Il sera difficile de rester indifférent à “Et tournera la roue”. D’une grande puissance d’évocation, ce livre, qui nous rappelle que toujours “la roue finira bien par tourner”, est une invitation à résister et à ne jamais perdre espoir.