Au milieu de la Place de la Liberté de la ville d’Afrin, plusieurs dizaines de femmes se tiennent debout sous le soleil. Le moment comme le lieu semblent être parfaitement choisi puisqu’elles sont rassemblées ce matin pour marquer le lancement d’une campagne de solidarité féministe et internationaliste. « Women rise up for Afrin », « Jin rabin ser piyan ji bo Efrînê ». En arabe, anglais et kurmancî, au nom du Kongreya Star d’Afrin et de toutes les femmes du canton, elles appellent « les femmes du monde entier à se lever pour défendre Afrin et les valeurs de l’humanité ».
Cet enclave à l’extrême nord-est de la Syrie est la cible depuis maintenant 19 jours d’une offensive militaire de l’État turc et de ses combattants affiliés. L’alliance de la seconde armée de l’OTAN et de ces groupes islamistes expérimentés par des années de guerre en Syrie représente un danger certain pour les habitants et habitantes du canton : « de jour comme de nuit, nos villes et villages, nos camps de réfugiés, nos sites historiques et sacrés sont bombardés par les avions de guerre et l’artillerie turcs dans le but de dépeupler et d’occuper la région » déclarent les femmes d’Afrin. Malgré la résistance des combattants et combattantes des Forces Démocratiques Syriennes, qui doivent couvrir près de six fronts différents dans le canton tout en poursuivant le combat contre Daesh à Deir Ezor, 148 civils ont trouvé la mort et près de 400 ont été blessés.
Depuis le début de l’offensive, des centaines de manifestations et actions de soutien ont lieu partout dans le monde ; la couverture médiatique des développements militaires et de la situation humanitaire générale est assurée, bien que peu de journalistes aient pu accéder à la zone.
Mais au-delà du contexte général de la guerre et des intentions génocidaires connues du gouvernement turc, les manifestantes souhaitent attirer l’attention sur leur statut de femmes au milieu des combats. Le monde a été touché par la vidéo de Barîn Kobanê, la combattante des YPJ assassinée et mutilée par les membres des groupes affiliés à l’État turc. Les femmes qui tombent dans les mains de l’ennemi sont victimes « de viols, d’agressions sexuelles cruelles et de mutilations de leur corps », dénonce l’appel. Avec Barîn Kobanê, ce sont trois autres combattantes des YPJ qui ont été capturées. Elles ne sont malheureusement sûrement pas les seules.
Si le gouvernement turc a clairement annoncé qu’il souhaitait, avec cette offensive, détruire le système démocratique et confédéral instauré au sein de la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie, les attaques sont aussi vues par le Kongreya Star comme une volonté « d’effacer les traces de l’histoire des femmes et de la culture matriarcale et égalitaire dans notre région ». Le bombardement aux premiers jours de l’opération du site archéologique d’Ain Dara a été vécu comme la matérialisation cruelle de cette intention. Le temple, vieux de trois mille ans, trace de la culture hittite tardive, était dédiée à la déesse-mère Ishtar. Plus de 60 % du site a été réduit en poussière, lions ailés aux visages féminins et empreintes de la déesse partis en fumée. C’est en mémoire de ce lieu hautement symbolique et représentatif de l’histoire des femmes que le Kongreya Star a repris des empreintes de pas comme symbole de la campagne. Elles indiquent à la fois la voie de la réappropriation d’une histoire qui leur a été volée et celle de la défense coûte que coûte de leur révolution. « Aujourd’hui, dix mille femmes ont pris les armes pour défendre leur terre, leur vie et leur avenir à Efrin » clame l’appel. Leur résistance « s’inscrit dans le cadre d’une résistance mondiale des femmes contre toute forme d’oppression, d’exploitation, de féminicide et de fascisme ». Pour internationaliser la lutte, l’appel déjà été traduit en 8 langues et ne demande qu’à être diffusé.
Les empreintes de la déesse comme affirmation de leur détermination, « on vit ici, on reste ici » semblent clamer les femmes d’Afrin tandis qu’elles attendent maintenant les images des manifestations et actions de solidarité qui ne devraient pas tarder à affluer du monde entier.
Appel à la Campagne mondiale de solidarité: Les femmes se lèvent pour Efrîn
Par Maria Couture, correspondante, Rojava/Fédération Démocratique du Nord de la Syrie