Jeudi 29 mars, le président français Macron reçoit à l’Elysée une délégation “haut niveau” du Rojava ou de la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie (1). Qu’est-ce qu’il a réellement dit à la délégation ? Rojinfo a posé la question à Patrice Franceschi, écrivain engagé auprès des Kurdes depuis le début de la guerre en Syrie. Il a accompagné la délégation auprès de l’Elysée.

Qu’est-ce que Emmanuel Macron a réellement dit à la délégation kurde ?

Je répète ce que la délégation kurde a déjà déclaré hier: Macron a assuré les Kurdes du soutien de la France, que la Turquie n’irait pas plus loin et qu’il ferait tout au niveau diplomatique que la Turquie quitte Afrin et que les habitants d’Afrin puissent revenir là-bas. C’est donc un vrai message de soutien. Il était ferme pour dire qu’il allait empêcher la Turquie d’aller plus loin. Afrin n’est pas oublié. Il s’agit de stopper Erdogan, mais aussi de faire revenir les habitants d’Afrin, devenus réfugiés, à Afrin. Il faut donc réinstaller les gens chassés dans leur pays. Cela implique que les troupes turques partent. C’est le sens du communiqué de l’Elysée, sauf qu’on ne le dit pas dans ces mots en langue diplomatique.

Macron a dit plus: “La France ne vous considère pas comme des terroristes, comme le dit la Turquie, puisque je vous reçois à l’Elysée en délégation.” C’est un point fort contre Erdogan, qui l’utilise comme rhétorique pour justifier son intervention. Autre point: Macron dit d’une certaine manière: “Je vous reconnais comme légitimes dans le combat que vous menez contre le terrorisme en vous recevant dans mon palais de l’Elysée.” Ce n’est pas rien pour un pays qui est membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Macron dit donc indirectement à Erdogan que ces Kurdes ne sont pas des terroristes. En plus, Macron exprime son admiration pour le combat que les Kurdes ont mené pendant des années contre le terrorisme et “je vous promets le soutien de la France”. C’est ce qu’il a dit textuellement. Un soutien pour des gens en guerre, ça veut dire quoi ? Ce n’est pas simplement un soutien moral.

Mais c’est justement là-dessus qu’il y a débat. Est-ce que ce soutien de la France implique aussi un soutien militaire pour la défense de Membij contre une intervention de la Turquie ?

Il faut bien lire les détails de l’entretien. En lisant la presse française, on avait l’impression que la France allait envoyer aujourd’hui 10.000 soldats en Syrie, mais il ne s’agit pas de ça. Il s’agit d’un déplacement de forces militaires qui se trouvent déjà sur place. Macron a dit qu’il empêcherait la Turquie d’avancer. Il peut déplacer des troupes dont il dispose déjà maintenant sur le terrain là où il faudra les mettre. C’est ce qu’il a dit, ni plus ni moins. Si ensuite la presse en déduit que la France va envoyer des troupes, c’est de la mauvaise communication par des gens qui veulent dénaturer la communication.

Entretemps, la Russie vient de se retirer de Tell Rifaat et de l’offrir à la Turquie sur un plateau. Est-ce que la France fait le poids dans ce grand jeu dans lequel les Kurdes risquent de nouveau être les grands perdants ?

A l’ouest de l’Euphrate, la Turquie et la Russie sont toujours en mode guerrier. A l’est, c’est la coalition internationale qui contrôle l’espace aérien, avec les USA dans un rôle dominant. On a l’impression que les Kurdes ne comptent pas dans ce grand jeu. Mais Macron a dit une chose importante: “Les Kurdes sont un excellent rempart contre le terrorisme.” C’est ce qu’il faut retenir de cette rencontre, alors que personne ne défendait les Kurdes auparavant. Le président Macron a dit qu’il fera ce qu’il devrait faire si la Turquie progresse. On peut l’interpréter comme on veut, mais c’est ce qu’il a dit littéralement.

Est-ce que Macron n’essaie pas être gentil avec tout le monde ? Avec les Kurdes aujourd’hui, avec Erdogan à l’Elysée hier, avec la gauche et avec la droite pendant sa campagne électorale ?

Si demain Erdogan avec le soutien russe attaque le Rojava avec 3000 chars, je ne sais pas ce que fera Macron, évidemment, mais il fait un travail diplomatique avec Erdogan, et ils s’engueulent souvent. Et au même temps il reçoit cette délégation kurde de haut niveau, quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire s’il voulait plaire à Erdogan. Ni l’Allemagne, ni le Royaume Uni a reçu une délégation kurde à ce niveau-là. Macron n’était pas obligé de le faire. Il l’a fait quand même. C’est le sens de la rencontre. Macron a reçu la délégation en tant que président de la république, et pas à titre personnel comme l’avait fait François Hollande avant lui. Cela implique une reconnaissance de facto. Le seul pays au monde qui reçoit les Forces Démocratiques Syriennes FDS aujourd’hui, c’est la France. C’est un signe politique extrêmement fort. C’est ça ce qu’il faut retenir.

(1) Une délégation d’officiels du Rojava et de la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie a  rencontré ce jeudi 29 mars à l’Élysée le président français Emmanuel Macron ainsi que l’Amiral Roger, chef d’état-major des armées. La délégation du Nord de la Syrie était composée de la co-présidente du TEV-DEM Asya Abdullah, de la co-présidente du conseil exécutif du canton d’Afrin Hêvîn Resîd, du co-président du conseil des Affaires étrangères du canton de Cizirê Siham Qiryo, de l’élue du conseil exécutif de la région de Cizirê Faner Gaêt, du responsable des relations extérieures des Forces Démocratiques Syriennes Rêdûr Xêlîl, de la porte-parole des YPJ (Unités de Défense des femmes) Nesrin Abdullah et du représentant de l’Auto-administration du Nord de la Syrie en France, Khaled Issa.

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