350 avocats de 22 pays ont adressé au ministère turc de la Justice une lettre pour demander à rencontrer Öcalan dans la prison d’Imrali.
Conférence de presse mercredi au Press club de Bruxelles pour présenter la campagne de soutien aux avocats d'Öcalan et des autres prisonniers d'Imrali

350 avocats de 22 pays ont adressé au ministère turc de la Justice une lettre par laquelle ils demandent l’autorisation de rendre visite au leader kurde Abdullah Öcalan dans la prison d’Imrali.

Alors que le leader kurde Abdullah Öcalan et ses trois codétenus, Ömer Hayri Konar, Hamili Yıldırım et Veysi Aktas, sont soumis à un isolement carcéral strict depuis des années dans la prison insulaire d’Imrali, des centaines d’avocats de différents pays ont signé une pétition adressée au ministère turc de la Justice pour demander le droit de leur rendre visite.

Lors d’une rencontre avec la presse à Bruxelles mercredi, les représentants de quatre associations de juristes – Hélène Debaty, présidente du Syndicat des Avocats pour la Démocratie (SAD), Selma Benkhelifa du réseau Progress Lawyers Network à Bruxelles, Stéphane Boonen, administrateur de l’ordre des barreaux francophones et germanophones de Belgique, et Maurice Krings, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Bruxelles – ont présenté les résultats de cette campagne destinée à soutenir les avocats des prisonniers d’Imrali dans leur lutte contre l’isolement carcéral. 

Signée par 350 avocats de 22 pays, la pétition note que les autorités turques ont imposé une « forme spéciale et discriminatoire d’isolement » aux quatre prisonniers qui sont, de fait, privés de tout contact avec leurs avocats depuis des années. Si Öcalan a pu voir ses avocats à cinq reprises entre mai et août 2019, après 8 ans d’interdiction, souligne le document, les autres prisonniers sont empêchés de contacter leurs avocats depuis leur transfert sur l’île-prison en 2015. 

Parmi les signataires de la pétition figurent Hasan Tarique Chowdhury, avocat à la Cour suprême du Bangladesh, l’avocat brésilien Luis Carlos Moro, secrétaire général de l’Association américaine des juristes, le professeur anglais Bill Bowring, président de l’Association européenne des juristes pour la démocratie et les droits de l’homme dans le monde (EJDH) et l’avocat français Christian Charrière-Bournazel, ancien président du Conseil national des barreaux.

Abdullah Öcalan, cofondateur du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), a dirigé le mouvement de libération kurde de 1977 à 1999, avant d’être enlevé par les service secrets turcs au Kenya et enfermé sur l’île prison d’Imrali en Turquie.

LETTRE AU MINISTÈRE TURC DE LA JUSTICE

Hélène Debaty a donné lecture de la lettre adressée au Ministère de la Justice turc:

« Abdullah Öcalan, Ömer Hayri Konar, Hamili Yıldırım et Veysi Aktaş, qui sont détenus dans la prison de haute sécurité de type F de Imrali, sont illégalement empêchés de voir leurs avocats. Abdullah Öcalan n’a pas été autorisé à voir son avocat depuis le 7 août 2019. Quant à Veysi Aktaş, Hamili Yıldırım et Ömer Hayri Konar, ils n’ont eu aucune rencontre avec leurs  avocats depuis qu’ils ont été transférés sur l’île d’Imrali en 2015.

Une forme spéciale et discriminatoire d’isolement est pratiquée dans la prison d’Imrali depuis le 15 février 1999. L’interdiction des visites d’avocats a été appliquée de manière continue pendant une première période de 8 ans, du 27 juillet 2011 au 2 mai 2019. En 2019, 5 visites d’avocats ont pu avoir lieu. Mais l’interdiction continue a repris après la dernière visite, le 7 août 2019.

Nous sommes également témoins de l’inquiétude de la famille d’Öcalan et de nos confrères qui sont sans nouvelles de lui depuis un bref appel téléphonique le 25 mars 2021. En tant qu’avocats suivant de près les affaires en Turquie, nous sommes bien conscients de l’impact politique et social de cette situation.

Dans un rapport publié le 5 août 2020, suite à une visite effectuée dans la prison d’Imrali en 2019, le Comité pour la Prévention de la Torture (CPT) estime que le fait d’interdire à Öcalan et à ses trois codétenus tout contact avec le monde extérieur constitue une forme d’emprisonnement au secret. Le CPT ajoute qu’un tel état de fait est inacceptable, parce que contraire aux normes internationales pertinentes en matière de droits humains.

L’entrave continue aux droits de la défense et l’état d’isolement imposé à Öcalan et à ses codétenus ont suscité la réaction de plusieurs organisations internationales de juristes, telles que l’EJDH, les Avocats Européens Démocrates et Lawyers for Lawyers, sans parler des réactions critiques au sein d’un large réseau d’avocats, ce qui montre à quel point cette question est importante et largement suivie.

Nous aimerions vous rappeler que le 10 juin 2022, 775 avocats inscrits dans 29 associations de barreaux, y compris des représentants d’institutions et des bâtonniers, ont déposé une demande auprès du bureau du procureur général de Bursa afin d’obtenir une autorisation pour rencontrer MM. Abdullah Öcalan, Hamili Yıldırım, Ömer Hayri Konar et Veysi Aktaş.

L’interdiction des visites d’avocats à la prison d’Imrali viole clairement l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies (Règles Nelson Mandela) mis à jour en 2015, les recommandations du CPT et la loi turque sur l’exécution des peines (loi n° 5275). Les États ont l’obligation de veiller à ce que les détenus et les prisonniers puissent exercer leurs droits, quelles que soient leur identité et la nature de leur peine.

Il s’agit également d’une violation des droits des avocats tels que définis dans les Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau, en particulier les Principes de base 8 et 16.

Le principe de base 8 est très clair : « Toute personne arrêtée ou détenue ou emprisonnée doit pouvoir recevoir la visite d’un avocat, s’entretenir avec lui et le consulter sans retard, en toute discrétion, sans aucune censure ni interception, et disposer du temps et des moyens nécessaires à cet effet. Ces consultations peuvent se dérouler à portée de vue, mais non à portée d’ouïe, de responsables de l’application des lois. » De même, le principe fondamental 16 stipule que les gouvernements veillent à ce que les avocats puissent exercer toutes leurs fonctions professionnelles sans intimidation, entrave, harcèlement ou ingérence indue, et à ce qu’ils puissent voyager et consulter leurs clients librement, tant dans leur propre pays qu’à l’étranger.

Comme on le sait, en vertu de l’article 25 du règlement turc sur les visites aux personnes détenues et emprisonnées, les avocats étrangers ont le droit – même sans procuration – de rencontrer une personne emprisonnée en Turquie, à condition de respecter les conventions internationales auxquelles la République de Turquie est partie et le principe de réciprocité.

Considérant que les efforts constants de nos confrères en Turquie contre l’isolement et la violation des droits de la défense s’inscrivent essentiellement dans une lutte pour la mise en œuvre des droits protégés dans les conventions internationales auxquelles la Turquie est partie, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, je vous soumets une requête afin de rencontrer Abdullah Öcalan et les autres prisonniers détenus à Imrali dans le cadre de l’article 25 du règlement susmentionné. »  

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