Deuxième et dernière journée de la conférence de Jineolojî à Derîk

La première conférence de Jineolojî de la Fédération démocratique du Nord de la Syrie s’est terminée ce soir à Derîk, où plus de 200 déléguées sont réunies depuis hier pour travailler à la libération des femmes de la région. En cette deuxième journée de débats, elles ont dressé un état des lieux de la « condition féminine » et discuté des perspectives pour les prochaines années. 

Un an de recherche sociologique sur l’histoire et la vie des femmes

La journée a commencé avec la lecture d’un document présentant les principaux résultats d’une recherche menée en 2016-2017, par des membres des académies de recherche « jineolojîque ». Celles-ci ont sillonné la région du Rojava (Kurdistan de l’Ouest) et du Nord de la Syrie pour rencontrer des femmes de toutes les nations, religions et situations sociales. Jeunes femmes, vieilles femmes, mères, femmes divorcées, non-mariées, veuves, étudiantes, écrivaines, artistes, agricultrices, membres des forces d’auto-défense ou des coopératives de travail, c’est au total plus de 300 femmes qui ont été interviewées et qui ont raconté leur(s) histoire(s) et leur vie. Le résultat est un portrait très détaillé de la condition des femmes, pointant à la fois les progrès accomplis depuis de la début de la Révolution et les difficultés auxquelles elles sont toujours confrontées. Pendant le temps de débat qui suit la lecture du rapport, une déléguée venue d’Efrîn exprime, dans ce sens, le constat : si les femmes sont maintenant présentes dans toutes les institutions politiques et endossent de nombreuses responsabilités, quand elles rentrent à la maison le soir, la situation n’est pas si différente qu’auparavant. « Le problème est dû aux mentalités », affirme t’elle, qu’il faut « réussir à transformer en profondeur ». Une autre femme, de Kobanê, explique elle : « Auparavant il n’y avait pas de place pour les femmes en « politique », nous étions même exclues des pièces où les hommes discutaient de ces sujets ! ». Pour elle, les premiers « politiciens » sont pourtant les femmes, qui sont celles qui maintiennent la paix, dans la famille comme dans la société.

De nouvelles perspectives de travail

Dans les débats, des propositions pour la suite du travail de la Jineolojî, individuelles ou issues des différents comités régionaux fusent. Par exemple celle d’ouvrir un centre de recherche dans la région de Kobanê, où dans beaucoup de villages des formes d’organisation sociale sont restées celles d’une plus grande égalité dans la répartition du travail entre les hommes et les femmes. La même déléguée d’Efrîn file aussi son idée sur le mariage, affirmant que plutôt que créer des lois rigides sur celui-ci, il faudrait ouvrir des académies pour former les gens qui souhaitent se marier et déconstruire les mentalités patriarcales. Une participante, turkmène, venue du canton de Shehba, insiste sur l’importance de faire parvenir la Jineolojî dans les régions récemment libérées de l’emprise de Daesh, Shehba donc, mais aussi Tabqa et Raqqa.

Un document préparé par les membres des académies de Jineolojî présente aussi un programme de travail plus détaillé. Il envisage en effet la création de « l’Académie de Jineolojî du Nord de la Syrie », qui permettrait de coordonner le travail à effectuer dans tous les secteurs de la société, de l’économie à l’éducation en passant par la santé et la vie des couples et familles. Il est aussi question d’écrire plusieurs livres sur la résistance récente du Rojava et l’histoire de la liberté des femmes. Une déléguée fait le point sur la situation actuelle : « Jusqu’à maintenant il a beaucoup été question des principes de la Jineolojî, « qu’est-ce que c’est ? », « comment on doit travailler » mais maintenant il faut que nous réussissions à toucher l’essence, le contenu de ce qu’est vraiment la Jineolojî ». 

Libérer toutes les femmes

« Tango della feminista, tango della ribellion », les paroles du morceau en italien, chanté par deux internationalistes participant à la conférence résume bien l’esprit qui marque le discours de fin de la conférence. Juste avant celui-ci, une dernière intervention invective les femmes présentes : « Beaucoup de camarades ont pendant deux jours dévalorisé leur travail, n’ont parlé que des problèmes, mais c’est aussi le produit de la mentalité patriarcale d’envisager les choses comme cela. Ayez confiance en vous et reconnaissez la valeur de ce que vous avez construit jusqu’à présent ! ». N’en reste-il pas moins le constat que le travail doit être intensifié jusqu’à que chaque femme ait entendu parler de la Jineolojî et ait pu trouver des réponses à ses questions et problèmes. Le discours de clôture continue ainsi : « Dans la société, nous avons beaucoup de problèmes comme le racisme, le sexisme, l’intégrisme religieux, les mariages forcés des enfants… Daesh était le résultat de ces mentalités. Nous avons toutes vu et vécu cette période et cela ne doit plus jamais arriver […] Il y a plusieurs années, Abdullah Öcalan a donné cette question aux femmes en demandant « Comment voulez-vous vivre ? », et maintenant les femmes donnent et construisent leur réponse : « Nous voulons vivre libres ! »». 

Laisser un commentaire