Le journaliste kurde Sinan Aygül dénonce les dangers auxquels sont confrontés les travailleurs de la presse en Turquie et au Kurdistan. « Il est impossible de parler de liberté de la presse ici », dit-il
Sinan Aygül enquête depuis un certain temps sur la corruption dans la municipalité AKP (Parti de la Justice et du Développement du président turc Erdogan) de Tatvan. Le 17 juin, il a été victime d’une agression violente après la publication de son dernier article.
Grâce aux images de la vidé-surveillance et à la pression publique, les assaillants, Yücel Baysal, garde du corps du maire de Tatvan, et Engin Kaplan, officier de police, ont été arrêtés et écroués pour coups et blessures volontaires avec arme.
« Nous ne nous tairons pas »
Sinan Aygül a révélé récemment des irrégularités liées aux appels d’offres immobiliers de la municipalité de Tatvan située dans la province kurde de Bitlis. « La révélation de cette corruption a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En tant que journaliste, j’avais déjà fait l’objet de menaces auparavant. Cette agression visait à faire passer un message clair : le vol et la corruption vont continuer et personne ne peut s’y opposer », dit le journaliste, avant d’ajouter : « Ce message m’était destiné. Je vais reprendre mon travail de journaliste exactement là où je l’ai laissé, et avec encore plus de détermination. Cette attaque avait pour but de nous faire taire, mais nous ne nous tairons pas. Nous ferons entendre nos voix encore plus fort et poursuivrons notre travail sans faillir ».
Le contexte de l’agression
Rappelant que Tatvan est une petite ville où tout le monde se connait, Aygül poursuit: « Comment ont-ils osé mener cette agression de manière aussi flagrante? Par le passé, j’ai couvert des affaires de corruption bien plus importantes et plus graves. Mais je n’ai jamais été attaqué de cette manière. Ils [les agresseurs] ont fait une erreur. Ils n’étaient pas conscients des conséquences de leurs actes. C’est un premier aspect. L’autre aspect est que ceux qui étaient derrière eux leur ont donné des assurances. Les agresseurs ont reçu l’assurance qu’ils ne seraient pas inquiétés. »
« Ils ont attaqué avec l’intention de tuer »
Pour Aygül, l’agression n’était pas un simple acte de violence, mais une tentative de meurtre. Il décrit l’incident de la manière suivante : « Ils m’ont frappé à la tête par derrière avec un pied-de-biche. Leur objectif était clairement de me tuer. Il ne s’agissait en aucun cas d’un acte d’intimidation, mais d’une tentative de meurtre. L’attaque a eu lieu juste après la publication de mon dernier article sur la municipalité. Les instigateurs de cette attaque étaient les gardes du corps du maire, ses plus proches collaborateurs et ses proches. La personne à l’origine de cette attaque doit être extrêmement influente, car l’un des auteurs était un officier de police et l’autre un employé de la municipalité. Ces personnes mettent leur propre vie et leur statut professionnel en danger. » Et le journaliste d’en déduire que l’instigateur de l’attaque est « une personnalité importante ».
« Un enfer pour les journalistes »
En ce qui concerne la liberté de la presse en Turquie et au Nord-Kurdistan, Aygül déclare : « Ce n’est pas un problème nouveau. Au cours des 20 dernières années, les restrictions à la liberté de la presse et à la liberté d’expression ont atteint des niveaux comparables à ceux d’autres pays dictatoriaux. Il s’agit de restreindre, de contrôler et de censurer la presse. Le droit de la population à l’information doit être érodé. La dernière loi sur la censure est particulièrement problématique. S’il existait une presse libre dans un environnement véritablement démocratique, de tels agissements ne seraient pas possibles. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Travailler en tant que journaliste en Turquie et au Kurdistan ressemble à un parcours du combattant. Des dizaines de collègues ont été assassinés dans le passé. Des centaines de collègues ont subi des violences en pleine rue. Des centaines sont derrière les barreaux. On ne peut pas parler de liberté de la presse ici. Ce pays est un enfer pour les journalistes. »