L’épicentre des tremblements de terre survenus le 6 février dans le sud de la Turquie était situé à Maraş, une région kurde-alévie
Une femme kurde-alévie assise devant les décombres de sa maison à Adiyaman, une région détruite en grande partie par le séisme

L’épicentre des tremblements de terre survenus le 6 février dans le sud de la Turquie était situé à Maraş, une région kurde-alévie où le pogrom de 1978 avait déjà provoqué un exode massif. Craignant une autre vague de migration massive, l’organisation faîtière du mouvement de libération kurde appelle cette population à ne pas quitter ses terres. 

Après les violents séismes qui ont frappé la zone frontalière entre la Turquie et la Syrie, et particulièrement des régions kurdes, il est à craindre que celles-ci ne subissent une nouvelle vague d’exode massif. L’épicentre des tremblements de terre était en effet situé à Maraş (se lit Marach), une région à forte population kurde-alévie. Interrogé par l’agence de presse Firat News (ANF), le comité des questions ethniques et religieuses de la KCK (Union des communautés du Kurdistan), l’organisation faîtière du mouvement de libération kurde, s’est exprimé sur le sujet. Attirant l’attention sur la politique génocidaire de l’Etat turc, le comité appelle la population kurde-alévie à ne pas quitter sa patrie et à préserver son identité.

L’Etat est responsable des conséquences destructrices du séisme

Concernant la catastrophe provoquée par le tremblement de terre, le comité de la KCK souligne la responsabilité de l’Etat turc : « Un tremblement de terre est sans aucun doute une catastrophe naturelle. La nature, dont nous faisons partie et dans laquelle nous vivons, est en perpétuel mouvement; elle tente d’établir son propre équilibre selon son propre langage. En ce sens, le tremblement de terre est quelque chose de naturel. Mais les conséquence dues à la gestion de ce tremblement de terre par les humains ne peuvent être qualifiées de naturelles. Pour ce qui est de la présente catastrophe, il n’est pas normal qu’elle atteigne une telle échelle de gravité, alors qu’on connaît depuis longtemps les lignes de failles et que l’on peut même prédire l’emplacement et la force d’éventuels séismes. Là encore, la responsabilité de l’État, qui a usurpé le droit à l’autogestion de la société et monopolisé tous les domaines de la vie, ne fait aucun doute. L’État est responsable de l’organisation des cités où se déroule la vie sociale. C’est pourquoi la République de Turquie est responsable des conséquences des deux tremblements de terre dont l’épicentre est situé à Maraş [Gurgum en kurde]. Si tant de personnes ont été tuées, c’est parce que les précautions nécessaires n’ont pas été prises. Le meurtrier est la République de Turquie dirigée par l’AKP/MHP [coalition islamo-nationaliste au pouvoir], un gouvernement immoral et avide d’argent. Par appât du gain, le régime turc a autorisé la construction dans des zones à risques, décrété à plusieurs reprises des amnisties pour laisser libre cours aux constructions illicites. Il n’a pris aucune précaution et ignoré les exigences prescrites dans les zones sismiques du Kurdistan et de Turquie. Il ne fait aucun doute que le gouvernement est responsable de ce bilan accablant. »

Importance de la population kurde-alévie dans la zone du séisme

Au-delà de cette responsabilité directe dans les conséquences du tremblement de terre, le gouvernement montre une fois de plus « son égoïsme et sa misanthropie en s’abstenant de fournir l’aide nécessaire aux populations sinistrées et en entravant l’aide d’organisations indépendantes. Même dans cette situation apocalyptique, le gouvernement ne se préoccupe que de son maintien au pouvoir », explique le comité.

Et de poursuivre:  « Comme on le sait, l’épicentre des tremblements de terre se trouvait dans une région à forte densité de population kurde-alévie. Le régime turc est accusé de discrimination par la population kurde-alévie qui se plaint, à juste titre, des graves défaillances et des négligences multiples d’un État qui se targue d’être l’un des plus puissants du monde. C’est un fait, car la République turque n’a mené qu’une seule politique à l’égard de ces deux identités depuis le jour de sa fondation : le génocide. Le peuple kurde est victime d’un génocide physique depuis cent ans, doublé d’un génocide culturel par dissolution au sein de la turcité. Il en est de même pour les Kurdes-alévis, l’alévisme étant perçu comme une confession qui doit être dissoute et détruite au sein de l’État-nation turco-islamiste. La raison des entraves aux aides à destination des populations sinistrées réside dans l’identité ethnique et confessionnelle de ces populations. De fait, le gouvernement voit dans les destructions et les morts causées par le tremblement de terre une occasion de détruire cette identité, dans la droite ligne de sa politique génocidaire. Le fait que l’État abandonne les personnes touchées par le tremblement de terre n’est donc pas le résultat d’une impossibilité, mais d’une politique génocidaire tout à fait consciente et planifiée.

1978 : Le pogrom de Maraş

Il s’agit d’une politique étatique vieille d’un siècle. On sait qu’immédiatement après la création du PKK en décembre 1978, un pogrom de grande ampleur a été organisé pour nettoyer Maraş de sa population kurde-alévie. Plus d’un millier de personnes ont été brutalement massacrées. Déjà à l’époque, la population locale était invitée à quitter le Kurdistan par des menaces, du chantage et des pressions. Cela s’est fait à la fois par des facilités de départ accordées par l’État turc et par la volonté d’accueil de certains États européens qui coopéraient avec la Turquie. Ce qui s’est effectivement passé, c’est la mise en œuvre d’un plan Gladio. Il s’agissait d’empêcher notre mouvement en développement de prendre pied dans les régions kurdes alévies. Dans ces régions, une politique de génocide et de dépeuplement a été mise en œuvre, qui, dans une certaine mesure, a été couronnée de succès. Une très grande partie de la population vivant dans cette région a émigré de son pays d’origine, le Kurdistan, vers les métropoles de Turquie, mais aussi et surtout vers l’Europe.

Le tremblement de terre est une occasion pour le gouvernement de vider la région de sa population kurde-alévie

Les événements actuels montrent que les autorités turques cherchent à parachever cette politique inachevée de génocide et d’expulsion. Dans la situation actuelle, tout est fait pour que la population kurde alévie quitte durablement la zone du séisme. En s’abstenant d’aider et en empêchant l’aide non gouvernementale, on envoie un signal aux gens : ‘Il n’y a plus de vie ici’. On veut ainsi parachever la politique séculaire d’émigration forcée. Pour ce faire, il faut dépeupler les zones où vivent les kurdes-alévis pour y installer une nouvelle population, celle des ‘migrants’ instrumentalisés par l’Etat turc. Le tremblement de terre est l’occasion de mener à bien cette politique de changement démographique et de génocide. »

Le tremblement de terre a montré à quel point la société est vivante et solidaire

Le comité de la KCK appelle la population kurde alévie à déjouer cette politique, l’invitant pour ce faire à ne pas quitter ses terres ancestrales, à préserver sa culture et à résister. « Il incombe, ajoute-t-il, à l’ensemble du peuple kurde et à tous les milieux démocratiques de soutenir cette résistance. »

Le tremblement de terre a montré « à quel point l’État est antisocial, à quel point le gouvernement AKP/MHP est immoral et avide d’argent, et à quel point la société est solidaire et résiliante ». D’un côté, il y a « une infâmie qu’aucun mot ne peut décrire », de l’autre, « une vertu dont toute l’humanité peut être fière. D’un côté, il y a des créatures qui se font passer pour des êtres humains, mais qui ne le sont plus depuis longtemps, et de l’autre, les plus admirables manifestations de solidarité humaine. »

Renforcer l’esprit de solidarité et d’unité

« Il est maintenant temps de renforcer l’esprit de solidarité et d’unité, de panser les plaies dans les régions touchées par le tremblement de terre et d’intensifier la mobilisation pour surmonter les problèmes », insiste le comité : « La solidarité devrait être suffisamment forte pour que les gens ne soient pas obligés de quitter leur foyer. La solidarité est nécessaire pour reconstruire les habitations détruites. À cette fin, on peut mettre en place des collectifs de travail et fournir les aides financières nécessaires pour une reconstruction adaptée aux normes de sécurité. Il n’y a rien que la société ne puisse faire lorsqu’elle unit ses forces. Car le plus grand pouvoir est la société elle-même. Il suffit de se libérer de la vie individualiste que nous impose la modernité capitaliste et de l’exploitation par le régime colonialiste-génocidaire qui éloigne les peuples les uns des autres. Après le tremblement de terre, des personnes de toutes origines sociales ont accouru dans la zone sinistrée pour apporter leur solidarité. Cela a montré une fois de plus l’échec de la modernité capitaliste et du régime, et la puissance de la société. Tout le monde a vu à quel point les dirigeants sont impuissants, faibles et égoïstes et, inversement, à quel point la société est solidaire, sensible et communautaire. On a pu constater une fois de plus à quel point la nature communautaire et sociale des êtres humains est vivante malgré toutes les attaques. Nous pouvons soulager toutes les douleurs et surmonter toutes les difficultés en nous appuyant sur la communauté sociale et en la faisant grandir. Il ne fait aucun doute que la politique démocratique a beaucoup à faire à cet égard. Car il est primordial d’organiser ce réseau de solidarité. La politique démocratique consiste à résoudre les problèmes de la société. Le rôle de la politique est d’organiser la solidarité et le sentiment d’appartenance à la société. La sensibilité et la détermination dont nous avons fait preuve jusqu’à présent montrent que cela est possible. C’est pourquoi nous devons, en tant que forces sociales, tout faire nous-mêmes, sans rien attendre des dirigeants et de l’État qui sont hostiles à la vie, à la nature, à la société et à l’être humain.

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