Quelque jours avant le sommet de l'OTAN, le gouvernement grec a fait évacuer le camp de réfugiés de Lavrio
La cour du camp de réfugiés de Lavrio brutalement évacué par la police grecque le 5 juillet à l'aube

Quelques jours avant le sommet de l’OTAN à Vilnius, le gouvernement de droite nouvellement constitué en Grèce a fait évacuer le camp de réfugiés autogéré de Lavrio près d’Athènes. Cette opération est considérée comme un « cadeau » de l’OTAN à la Turquie à l’approche du sommet.

Le camp de Lavrio a une longue histoire. D’innombrables révolutionnaires kurdes et turcs y ont transité au cours des 43 dernières années. Le bâtiment qui date de 1947 a été brutalement évacué par la police grecque le 5 juillet à l’aube. Les policiers déployés en grand nombre ont  forcé les portes et les fenêtres, et rassemblé les quelque 50 réfugiés kurdes, dont des enfants, dans la cour, avant de les disperser dans d’autres camps.

Déportation vers « l’enfer des réfugiés »

La plupart des réfugiés ont été transférés dans le camp d’Œnophyta, à environ 60 kilomètres d’Athènes. Ce camp, situé dans une usine, est connu pour les conditions de vie inhumaines qui y règnent. Fermé une fois en 2017 en raison de son insalubrité, il a rouvert en mars 2018 pour répondre à l’afflux de réfugiés. Des journalistes qui ont visité le camp après sa réouverture ont constaté que les conditions y étaient encore pires que lors de sa fermeture initiale. Le centre est décrit comme un « enfer » pour les réfugiés.

En 2021, le camp d’Œnophyta a fait la une des journaux suite à des manifestations de réfugiés en provenance du Rojava (nord de la Syrie). Les résidents avaient alors bloqué l’entrée du camp pour protester contre les conditions de vie inhumaines, la privation de liberté et les rejets systématiques des demandes d’asile. Selon les autorités grecques, seuls les réfugiés kurdes seront désormais envoyés dans ce centre qui se trouve au bord d’une autoroute, loin de tout transport public. Un moyen de couper les réfugiés du monde extérieur et de les priver de la solidarité habituellement manifestée à leur égard au sein de la société grecque. 

Pas une action humanitaire, mais une « opération militaire »

Leyla fait partie des réfugiés transférés de Lavrio à Œnophyta. Elle réfute les déclarations des autorités selon lesquelles il s’agirait d’une « évacuation humanitaire », dénonçant au contraire une « opération militaire ». Leyla est arrivée en Grèce avec son mari et ses trois enfants il y a environ un an, après avoir fui la persécution exercée par le régime turc. À propos du camp de Lavrio, elle déclare: « Je ne me suis jamais sentie comme une réfugiée là-bas. Je ne m’y suis jamais sentie seule, ni culturellement ni socialement. C’était un camp kurde. C’était comme notre maison. »

Des centaines de policiers pour une cinquantaine de personnes

Leyla raconte que la police est entrée dans le camp vers cinq heures du matin: « 200 à 300 policiers ont entouré le camp. Dix policiers lourdement armés sont entrés dans le bâtiment. Ils ont pointé des fusils sur nous. Mes enfants étaient terrorisés. J’ai deux filles et un fils. Mes filles ont quatre et cinq ans. Comment vont-elles surmonter ce traumatisme ? Nous avons vu nos amis menottés dans le dos. Des centaines de policiers ont été déployés pour une cinquantaine de personnes. »

Et la jeune femme de poursuivre : « Ils ne nous ont même pas permis de nous changer. J’ai demandé aux policiers de sortir de la chambre afin que je puisse me changer. Mais ils ont refusé. J’ai dû me changer derrière un rideau pendant qu’ils étaient à l’intérieur. C’est exactement le traitement qui nous était infligé en Turquie, pays que nous avons fui ». Leyla voit dans cette opération une tentative de disperser et d’isoler les réfugiés du Kurdistan. « Ils pensent qu’ils vont pouvoir disperser notre communauté de cette manière, mais ils se trompent », assure-t-elle.

Résultat d’un accord avec la Turquie

Welat, un autre réfugié évacué de Lavrio, dénonce une opération planifiée et coordonnée au niveau national. Contrairement à ce qu’affirment les autorités grecques, il souligne que les réfugiés n’ont jamais demandé à être évacués du camp. « Le gouvernement grec a agi conformément aux demandes de l’État turc », dit-il, convaincu que l’opération relève d’un deal entre les deux pays. 

Le Centre culturel kurde de Grèce (DKTM) a également rejeté l’affirmation du ministère grec de l’Asile et de la Migration selon laquelle les réfugiés avaient volontairement quitté:  « Le camp a été  évacué de force par la police anti-émeute », a déclaré un représentant de l’association. Le DKTM a organisé mercredi une manifestation devant le Parlement grec à Athènes pour protester contre l’évacuation forcée. Attirant l’attention sur la proximité du sommet de l’OTAN qui doit se tenir les 11 et 12 juillet à Vilnius, les manifestants ont dénoncé une attaque qui s’inscrit dans le cadre d’un accord entre l’OTAN et la Turquie.

L’Initiative de solidarité avec les réfugiés politiques kurdes à Lavrio a souligné, quant à elle, que l’État grec tentait d’évacuer le camp depuis 2017. Ainsi, la camp avait été privé du soutien de la Croix-Rouge et des aides de l’État. Malgré cet embargo, les résidents de Lavrio ont résisté pendant six ans en subvenant à leurs besoins par le biais de réseaux de solidarité. Constatant que le nouveau gouvernement de droite tentait de se rapprocher d’Erdogan, l’Initiative a déclaré : « La fermeture du camp est le fait de la Turquie. Depuis des années, celle-ci qualifie le camp de ‘nid de terroristes du PKK’. »

Laisser un commentaire