Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a décrété mardi l’état d’urgence dans dix provinces touchées par le tremblement de terre. Il est à craindre que cette mesure empêche l’entraide civile et limite fortement la liberté de la presse.
Les séismes survenus le 6 février ont frappé dix provinces de Turquie et fait des milliers de morts, tandis que nombre de personnes coincées sous les décombres est encore inconnu. Plus de deux jours après ces tremblements de terre dont les épicentres sont situés dans les districts de Pazarcik et Elbistan, à Maras, de nombreuses zones sont encore privées de secours. Les habitants tentent de sauver les personnes coincées sous les décombres par leurs propres moyens. Entre temps, les autorités turques ont décrété mardi l’état d’urgence (OHAL), entravant ainsi l’aide civile aux victimes de la catastrophe.
« L’ampleur de la catastrophe sismique et ses conséquences nous obligent à prendre des mesures exceptionnelles », a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdoğan dans un discours à la nation, au lendemain du séisme. Et de poursuivre: « Nous avons décidé, sur la base des pouvoirs qui nous sont conférés par l’article 119 de la Constitution, de décréter l’état d’urgence dans les dix provinces les plus touchées par le séisme pour une durée de trois mois, afin de garantir que les opérations de recherche et de sauvetage et les travaux ultérieurs puissent être menés rapidement. »
Il est à craindre qu’Erdoğan ne profite du tremblement de terre et de l’instauration de l’état d’urgence pour empêcher surtout les forces d’opposition d’organiser l’entraide nécessaire et urgente dans les régions touchées. Par ailleurs, la catastrophe humanitaire pourrait servir de prétexte à l’organisation des élections dans des conditions d’état d’urgence dans les régions kurdes.
Forte limitation de la couverture médiatique des zones sinistrées
En outre, il faut également s’attendre à ce que l’état d’urgence ne soit utilisé pour limiter fortement la couverture médiatique des zones touchées par le séisme, ceci afin de dissimuler les défaillances de l’État dans l’organisation des secours d’urgence. Dans les régions kurdes en particulier, l’expérience du grave tremblement de terre de Van en 2011 a suscité une méfiance à l’égard de l’aide publique en cas de catastrophe, et il s’avère, même après le séisme de lundi, que l’engagement des équipes de secours est insuffisant et que la mise à disposition de l’aide matérielle est douteuse.
La Turquie est en pleine campagne électorale, c’est pourquoi il est important pour Erdoğan et son gouvernement AKP/MHP (coalition islamo-nationaliste au pouvoir) de faire taire les voix critiques. Les informations diffusées par les autorités et les médias turcs divergent fortement des témoignages directs, notamment en ce qui concerne l’ampleur des destructions et le nombre de victimes. Alors que le gouvernement fait mine de maîtriser la situation, dans beaucoup de zones sinistrées, les habitants disent n’avoir reçu aucune aide après deux jours. Les images et les informations communiquées par les personnes qui se trouvent sur place, ainsi que par les ONG et les partis d’opposition devraient désormais être soumises à une forte censure en application des règles d’état d’urgence.
Un tremblement de terre est une fatalité, mais ses conséquences dépendent de l’homme
Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dénoncer la mauvaise qualité des bâtiments construits dans cette région dont on connait depuis longtemps la position géographique propice aux tremblements de terre. Les critiques portent sur la qualité médiocre des bâtiments construits ces dernières années, dont la plupart se sont écroulés comme des châteaux de cartes lors séisme. Il semble que les bâtiments de l’entreprises publique TOKI chargée de la construction des logements sociaux soient les plus touchés.
L’entraide civile empêchée
Le ministre de l’environnement, de l’urbanisation et du changement climatique, Murat Kurum, a déclaré : « Nous ne permettrons pas d’autres coordinations que celle assurée par l’aide publique en cas de catastrophe ». De même, les dons en nature et en argent ne pourront être collectés que par l’intermédiaire de l’organisme public de gestion des catastrophes (AFAD). Ainsi, le matériel de secours collecté par les ONG pour venir en aide aux victimes du séisme sera confisqué.
Le HDP lance un appel urgent à la solidarité
Dans un communiqué publié mardi, le Parti démocratique des Peuples (HDP) a lancé un appel urgent à la solidarité, en direction des États et des organisations internationales, demandant à tout le monde de « tendre la main pour surmonter cette douleur incommensurable et reconstruire les vies et les communautés brisées. »
« Nous envoyons ce message à un moment de douleur et de tristesse profondes. Le monde entier a été abasourdi par les images terrifiantes qui ont suivi le tremblement de terre de magnitude 7,8 survenu lundi matin en Turquie, l’un des pires de l’histoire de la région », déclarent Feleknas Uca et Hişyar Özsoy, co-porte-paroles du HDP pour les affaires étrangères.
« Notre parti a cessé toute activité afin de pouvoir consacrer son énergie au travail de sauvetage et de survie », poursuit le communiqué qui appelle notamment les habitants dont le maisons n’ont pas été endommagées à accueillir les personnes qui se retrouvent sans abri. Et d’ajouter: « Notre plus grande force est notre solidarité humaine. »