« Le CPT doit dire stop aux tactiques dilatoires de la Turquie »
L’île-prison d’Imrali, en Turquie.

Ibrahim Bilmez, l’un des avocats du leader kurde Abdullah Öcalan, a commenté le rapport publié par le Comité pour la Prévention de la Torture du Conseil de l’Europe (CPT) suite à sa visite dans la prison d’Imrali en 2019.

Dans une interview accordée à l’Agence de presse kurde Firat News (ANF), l’avocat du leader kurde emprisonné depuis 1999 sur l’île-prison d’Imrali, a souligné que le rapport du CPT confirmait l’aggravation de l’isolement carcéral et déclaré qu’il serait intéressant de voir ce que le gouvernement allait répondre au CPT, celui-ci demandant des informations mensuelles sur les visites des avocats et des familles des prisonniers d’Imrali. 

Le CPT vient de publier son rapport concernant sa visite sur l’île d’Imralı en 2019. Comment interprétez-vous le contenu de ce rapport et que pensez-vous de sa publication tardive ?

La visite du CPT à Imrali en mai 2019 était la huitième depuis le 15 février 1999. Comme après chaque visite, le CPT a publié un rapport de suivi contenant des observations, des évaluations et des recommandations. Malheureusement, à chaque fois, nous avons dû attendre longtemps avant que les rapports soient publiés. Lors de nos réunions avec le CPT, nous lui avons demandé d’accélérer ce processus de publication. On peut dire que l’une des raisons des retards est liée aux procédures institutionnelles de fonctionnement du CPT.

Après chaque visite dans un État membre du Conseil de l’Europe, le CPT prépare un rapport qu’il transmet au gouvernement concerné, avant de le partager avec le public. Le CPT attend les réponses du gouvernement aux recommandations et critiques contenues dans son rapport. Le problème qui se pose ici est que le CPT ne peut pas partager ce rapport avec le public sans le consentement de l’État concerné. La deuxième raison du retard peut être liée à l’attitude et à la sincérité de l’État concerné. La Turquie est un État voyou ! Nous parlons d’un comportement auquel les avocats sont constamment confrontés. L’arbitraire, la fourberie et les méthodes dilatoires des autorités turques font partie d’une politique que la Turquie met en œuvre de manière régulière, y compris à l’égard du CPT.

Les rapports du CPT, à l’instar du dernier, contiennent toujours des conclusions importantes ainsi que des recommandations et des critiques. Mais on sait aussi très bien qu’aucune amélioration n’a eu lieu à Imrali depuis 21 ans. Au contraire, il y a une régression constante de tous les droits fondamentaux. Le gouvernement turc cherche par tous les moyens à ne pas appliquer les normes auxquelles il est lié, en particulier celles découlant des conventions internationales auxquelles la Turquie est partie. Il crée des problèmes judiciaires et administratifs sans fin qui vont approfondir le puits aveugle de sa réglementation. Il tente de noyer les affaires dans une correspondance et une bureaucratie sans fin. Le point que nous critiquons constamment est que, depuis 21 ans, le CPT ne reconnaît pas ce mode de fonctionnement ou feint de l’ignorer, ce qui encourage la Turquie à poursuivre sa politique arbitraire.

Il ne fait aucun doute que le dernier rapport contient des constatations, des critiques et même des demandes très importantes adressées par le CPT au gouvernement turc. Tout d’abord, le rapport confirme l’isolement imposé à Imrali en général et indique que cet isolement s’aggrave de jour en jour, comme nous l’avons toujours dit. Deuxièmement, le CPT demande au gouvernement, pour la première fois, des informations mensuelles sur les visites des avocats et des familles. Nous attendons de voir ce que le gouvernement dira au CPT tous les mois. Le plus important ici est que le CPT dise désormais stop aux tactiques dilatoires de la Turquie et lui montre qu’il peut la dénoncer sur la scène internationale. Parce que nous savons très bien que le gouvernement fera de son mieux pour poursuivre la politique qu’il mène depuis 21 ans. Après tout, nous sommes confrontés à un État qui ment ouvertement depuis des années, refusant chaque semaine les visites au prétexte que le bateau est en panne, que la météo ne permet pas de faire le voyage ou que le capitaine du bateau est malade. Et le CPT le sait très bien.

L’important est de savoir si le CPT permettra à ces politiques et à ce comportement de se poursuivre. Nous attendrons et verrons. Par exemple, le rapport reconnait enfin l’arbitraire des sanctions disciplinaires infligées aux détenus et l’absurdité des motifs de refus des visites familiales à M. Öcalan et à nos trois autres clients. Dans son rapport, le CPT estime par exemple inacceptables les restrictions des rencontres entre nos clients, que ce soit pour faire du sport ou simplement pour parler. 

Encore une fois, dans son dernier rapport, le CPT a de nouveau identifié et souligné la nécessité de revoir et de modifier le régime d’exécution de la peine de réclusion à perpétuité aggravée. La Cour européenne des droits de l’Homme avait déjà statué en 2014 que la peine prononcée contre M. Öcalan constituait une violation de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements prévue à l’article 3 de la CEDH et que le régime de la réclusion à perpétuité aggravée devait être modifié.

Malgré toutes les démarches faites auprès du CPT et du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour pousser la Turquie à mettre en œuvre cette décision, celle-ci n’a jusqu’à présent pris aucune mesure en ce sens. La Turquie a utilisé à cet égard les mêmes tactiques dilatoires que nous venons de mentionner.

En conséquence, comme je l’ai dit, il ne suffit plus de demander à la Turquie de mettre fin à ce comportement ; il est important de montrer une position plus ferme.

Vous avez envoyé un appel urgent au CPT concernant la situation de votre client, Öcalan, qui fait partie du groupe à risques graves en termes d’âge et de santé. Que pensez-vous du fait que le CPT ne mentionne pas la pandémie, au moins dans un article additionnel à son rapport ?

Étant donné que ce dernier rapport publié par le CPT concerne la visite de mai 2019, il peut être techniquement compréhensible que la pandémie n’ait pas été abordée. Cependant, nous attendions toujours que les informations soient incluses afin d’éliminer les préoccupations justifiées que nous avons quant au coronavirus et à la façon dont il affecte Imrali. Étant donné que l’isolement se poursuit et que nous n’avons aucune nouvelle de nos clients, notre demande adressée au CPT le 17 avril 2020 concernant l’épidémie de Covid-19 est toujours d’actualité. Dans peu de temps, nous réitérerons cette demande dans le prochain rapport que nous enverrons au CPT concernant les évolutions à Imrali. Là encore, la position du CPT sur l’exigence des rapports mensuels de la Turquie sera importante.

Avez-vous des informations sur la visite du CPT à Imrali en 2020?

Nous ne savons pas si le CPT se rendra à Imrali en 2020. Mais 15 mois s’étant écoulés depuis la dernière visite, on peut dire qu’une nouvelle visite devrait avoir lieu, notamment au vu de la situation pandémique actuelle.

Voulez-vous ajouter quelque chose ou avez-vous un appel à émettre ?

L’isolement à Imrali est une iniquité qui concerne toute la société turque. Nous rappelons que la démocratisation de la Turquie est indissociablement liée à la résolution du problème kurde. Par conséquent, nous appelons tous les démocrates à être sensibles à l’isolement à Imrali, et nous exhortons chacun à réagir pour mettre fin à cette situation.

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