Alors qu’une résolution du conseil de sécurité de l’ONU appelle à un cessez-le-feu d’un mois en Syrie, l’Etat turc refuse son application et continue ses attaques sur le canton syrien d’Afrin.

Le conseil de sécurité de l’ONU a adopté hier la résolution 2401(2018), demandant un arrêt immédiat des combats sur tout le territoire syrien. Si le conseil de sécurité a beaucoup insisté sur la question particulièrement dramatique de la Goutha orientale – où les frappes aériennes du régime syrien ont fait de nombreuses victimes civiles ces deux dernières semaines – la résolution s’applique donc aussi à l’enclave d’Afrin, assiégée depuis maintenant 36 jours par l’armée turque et les groupes djihadistes qui lui sont affiliés.

Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations Unies, Mark Lowcock, a aussi affirmé dans une déclaration que « les Nations Unies et [ses] partenaires humanitaires sont sur le terrain et prêts au cours des prochains jours à envoyer des convois d’aide vitale à tous les endroits assiégés […] à travers le pays, en commençant par Ghouta orientale, Rukban et Afrin ».

ll a néanmoins été spécifié dans la résolution que cette trêve ne s’appliquait pas aux combats contre les organisations désignées comme terroristes par l’ONU – à savoir l’Organisation de l’Etat Islamique, le Front Al-Nosra et Al-Qaïda. A Afrin, le commandement général des Unités de Protection du Peuple (YPG) a annoncé dès ce matin dans un communiqué de presse s’engager à respecter la résolution, en cessant ainsi tous combats, exceptés ceux contre « les terroristes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant ». Le communiqué précise néanmoins que les forces de défense d’Afrin « se réservent le droit de riposter, qui est un droit de légitime défense en cas d’agression de l’armée turque et de ses factions alliées ». Affirmant leur volonté de tout mettre en oeuvre pour faciliter l’accès des convois humanitaires aux zones qui sont sous leur contrôle, les YPG ont aussi appelé toutes les parties engagées dans les combats en Syrie à « respecter la décision de cessez-de-feu […] et à [les] suivre dans le soutien et la mise en place de cette décision ».

Néanmoins, ce n’est pas cette attitude qu’à choisi d’adopter l’Etat turc. Si celui-ci affirmait  par l’entremise du porte-parole présidentiel Ibrahim Kalin que « le monde entier devrait communément mettre un stop aux massacres [commis par le régime syrien dans la Goutha orientale] », un communiqué émis hier par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hami Aksoy, déclarait son intention de continuer son opération à Afrin « contre les organisations terroristes qui menacent l’intégrité territoriale et l’unité politique de la Syrie ». L’état turc désigne en effet par le terme « organisations terroristes » les forces armées de la Fédération démocratique du nord de la Syrie (FDNS), qu’il qualifie régulièrement par l’expression « YPG/PYD/PKK/KCK ». Cette appelation fait ainsi l’amalgame entre les YPG, forces de défense armées, à majorité kurdes, et des organisations civiles comme le PYD (Parti de l’Union Démocratique) – syrien – et le KCK (Union des Communautés du Kurdistan) qui rassemble des représentant.e.s des sociétés civiles kurdes. Ces organisations sont par ailleurs toutes distinctes du PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, qui est la seule inscrite sur la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne, malgré des demandes répétées de son retrait de la part de nombreuses organisations et représentant.e.s politiques à travers le monde. Dans les communiqués émis au nom de l’opération « Rameau d’Olivier » menée par la Turquie, cette liste de sigles est systématiquement accompagnée de la mention « et Daesh », pour qualifier les combattants « neutralisés » par l’armée turque. Pourtant, si les YPG/YPJ et maintenant les FDS combattent depuis plusieurs années l’OEI en Syrie, de nombreuses enquêtes ont dévoilé les liens entretenus par l’Etat turc et cette organisation, qui a accueilli et aidé des dizaines de ses membres. Plusieurs institutions de la FDNS ont récemment alerté les médias, preuves à l’appui, sur la présence de combattants de l’OEI et d’Hay’at Tahrir al-Sham – considérée comme l’émanation d’Al-Qaïda en Syrie – au sein des forces attaquant maintenant Afrin.

Dans ce contexte et alors que, selon les chiffres du Comité de la Santé du canton d’Afrin, ce sont plus de 170 civils qui ont été tués par les frappes aériennes et bombardements de l’opération turque de « sécurisation de [sa] frontière », celle-ci a continué ses attaques.

Frappes aériennes aujourd’hui sur le village d’Hesan Dêra, district de Meydankê, Afrin. ANHA

Selon le bilan publié aujourd’hui par les FDS, l’armée turque bombarde ainsi depuis la nuit dernière de nombreux villages comme ceux de Senarê et Enqelê du district de Shiyê et a attaqué ce matin la ville d’Afrin par des tirs d’artillerie. Elle a aussi pilonné le canton de Cindirêsê en début d’après-midi, détruisant la mosquée de Şerqê. Plus tard, c’est le village de Hesen Dêra du district du Meydankê, qui a été la cible de bombardements aériens. Plusieurs maisons ont été fortement endommagées. Faces à ces attaques, les combattant.e.s des Forces Démocratiques Syriennes ont engagé des combats et mené plusieurs actions contre les forces d’occupation turques et ses alliés.

Dans le même temps, l’information de l’arrestation hier soir à Prague de Salih Muslim, ancien co-président du PYD en Syrie, a été rendue publique. La Turquie avait émis contre lui un mandat d’arrêt, offrant une récompense d’un million de dollars à qui le capturerait. Les accusations de terrorisme qui lui sont adressées, semblables à toutes celles prononcées à l’égard des opposants aux politiques du pouvoir en Turquie, n’ont été assorties d’aucunes preuves ou traces de crimes concrets qui auraient pu être commis par le diplomate. Sa défense acharnée d’une solution démocratique pour l’ensemble de la Syrie ainsi que les dénonciations des crimes de guerre de la Turquie à Afrin seront peut-être les éléments à charge invoqués par les juges d’Erdogan ? Paradoxalement, à l’heure où la Turquie enfreint sciemment une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies au prétexte de la lutte contre une organisation terroriste, en s’attaquant à une personnalité kurde mondialement connue, elle dévoile ainsi à la lumière médiatique ses intentions d’annihilation du projet démocratique porté par la Fédération du nord de la Syrie.

Par Maria Couture, correspondante (Nord-Syrie)