La Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen a organisé hier une conférence sur le rôle des femmes, en particulier dans les processus de paix, à laquelle ont participé notamment la Députée HDP d’Izmir Serpil Kemalbay et l’ex-Députée HDP Besime Konca. Invitée à prendre la parole au cours de l’après-midi, Serpil Kemalbay a parlé de la lutte qu’elle mène contre le régime autoritaire en Turquie et lu une lettre envoyé par la Députée kurde Leyla Güven en grève de la faim depuis le 7 novembre 2018 pour exiger la levée de l’isolement imposé au leader kurde Abdullah Öcalan.
Kemalbay a souligné le rôle de premier plan joué par les femmes dans cette lutte, citant l’exemple de la députée du HDP Leyla Güven. «Il est essentiel de lever l’isolement de M. Abdullah Öcalan pour parvenir à une solution pacifique à la question kurde. Pour cette raison, Leyla Güven est en grève de la faim depuis 146 jours. ”,
Rappelant que plus de 5000 prisonniers avaient rejoint le mouvement de grève de la faim à compter du 1er mars, Kemalbay a mis l’accent sur la santé critique des prisonniers qui mettent leur vie en danger pour exiger la fin de l’isolement.
« Leyla Güven ne veut pas que les grévistes de la faim sortent des prisons dans des cercueils. Elle veut la fin de l’injustice en Turquie », a souligné Serpil Kemalbay avant que Türkan Özcan, membre de l’assemblée des femmes kurdes Roj, ne lise une lettre envoyée par celle qui est à l’initiative du mouvement de grève de la faim pour rompre l’isolement d’Ocalan auquel participent aujourd’hui plus de 7000 personnes dans les prisons turques, au Kurdistan et dans la diaspora kurde à travers le monde, notamment à Strasbourg où 14 militants kurdes ont cessé de s’alimenter à compter du 17 décembre 2018.
Voici la traduction de cette lettre :
«Chères femmes,
Comme vous le savez, je suis en grève de la faim avec des milliers d’autres personnes. Vous devez avoir du mal à comprendre notre moyen d’action. Vous pensez peut-être que nous aurions pu exprimer nos demandes d’une autre manière et devez vous demander pourquoi nous avons choisi de nous faire du mal. Vous pouvez être sûrs que nous avons déployé beaucoup d’efforts pour lutter contre l’isolement de M. Ocalan, mais personne ne nous a entendus. Dans le pays dans lequel nous vivons, il n’y a pas de liberté d’expression, encore moins de liberté de manifester. Pour cette raison, des milliers de politiciens, intellectuels, écrivains et journalistes kurdes sont en prison. Nous sommes jugés pour des motifs tragicomiques tels que le fait de demander la fin de l’isolement carcéral, de prononcer le mot «Kurdistan» ou de soutenir l’autonomie démocratique. C’est pourquoi, beaucoup d’entre nous sommes derrière les barreaux et beaucoup d’autres en exil.
Dans un tel contexte, en tant qu’élue, je n’ai pu trouver d’autre moyen que de me soumettre à la faim. Si, au XXIème siècle, des parlementaires, des politiciens, des femmes et des jeunes se privent de nourriture pour se faire entendre, je pense que la communauté internationale devrait les écouter. Mes amis et moi aimons la vie, mais la vie libre et équitable. J’ai été informée que vous, les membres de la Commission des femmes du Parlement européen, alliez vous réunir. Je tiens à saluer votre réunion et vous remercie pour votre invitation. J’aurais voulu vous exprimer mes pensées en personne. Mais la détérioration de ma santé ne me le permet pas. Mon moral est élevé, mais je ne peux pas subvenir à mes besoins quotidiens sans l’aide de ma fille et de mes amis.
Quand j’ai commencé ma grève de la faim, je savais que le gouvernement fasciste de l’AKP n’allait pas changer facilement. C’est pourquoi, je me suis préparée à toutes les éventualités. Je pensais que, tout comme Bobby Sands, élu député par le peuple irlandais alors qu’il était derrière les barreaux, je pourrais aussi donner ma vie pour répondre aux demandes de mon peuple. Comme vous le savez, c’est le 146ème jour de mon jeûne, et vous, chères femmes, avez entendu ma voix. Des femmes du monde entier ont manifesté leur solidarité. Cette solidarité a été très significative et m’a donné beaucoup de force. Cependant, afin de préserver ma vie ainsi que celle de mes milliers d’amis, nous avons besoin d’une voix plus forte. Parce que nos demandes légitimes et justes ne sont pas satisfaites, des prisonniers politiques sortent des prisons dans des cercueils. Nos camarades sacrifient leur vie pour attirer l’attention sur le caractère inhumain de l’isolement carcéral et pour nous maintenir en vie. Ma santé et celle de mes camarades ont atteint un seuil critique. Je crois que si le gouvernement de l’AKP ignore totalement les accords internationaux auxquels il est partie, c’est parce qu’il y est encouragé par le silence de l’UE.
Nous pouvons élever ensemble la lutte contre les injustices et les maux créés par le système mondial patriarcal. Nous pouvons créer un monde pacifique dans lequel les droits humains bénéficient à tous de manière égale. Nous pouvons porter plus loin le drapeau qui nous a été transmis par les Clara, Rosa et Sakine du monde. Je crois en la tradition de la résistance des femmes. Oui, un autre monde est possible et je pense qu’il sera construit par les femmes. Je vous salue toutes avec cette conviction et cet espoir. »