Pendant une semaine, plusieurs rencontres-débats d’introduction à la Jineolojî ont été organisées au local syndical de Solidaires et au Centre de la communauté démocratique kurde de Marseille, ainsi qu’au Théâtre Verdure et à Radio Zinzine d’Aix-en Provence. Le but de ce tour de présentations était de partager les perspectives théoriques et pratiques développées par la science sociale des femmes, depuis plus de dix ans maintenant.
Mercredi 29 septembre, avec le soutien du Syndicat Solidaires, c’est le Collectif de Solidarité Marseille Kurdistan (SMK) qui a organisé la première soirée de présentation. Le débat s’est concentré, entre autres, sur la relation entre économie, travail et libération des genres dans le processus de recherches et d’expérimentation scientifique révolutionnaire.
« Nous pensons que la solution aux problèmes actuels se trouve dans la culture ancestrale des mères du néolithique qui ont été capables de créer une société éthique et créative dans le respect de la nature », explique Sarah Marcha, intervenante ce jour-là. « La Jineolojî ne prône pas une sorte de retour en arrière qui rejetterait la civilisation humaine dans sa totalité, mais cherche plutôt à développer une vision dirigée vers l’avenir qui puisse lier l’apprentissage historique, l’analyse de la modernité et les besoins de l’humanité. Notre objectif est de rétablir l’équilibre femme-société-nature qui a été rompu lors du développement de la civilisation dominante. En ce sens, par exemple, la Jineolojî joue un rôle important dans les projets du village des femmes (Jinwar) et du système de coopératives au Rojava », a-t-elle précisé. Entre domination et libération, la question du genre et de la sexualité ont aussi été des axes de discussion importants lors de cette première présentation qui fut « dense mais riche », comme l’ont souligné les participantes en allant chercher les livres et les brochures mises à leur disposition. Un matériel précieux qui permet d’approfondir les fondements et les travaux de la Jineolojî, ainsi que le paradigme d’Abdullah Öcalan d’où elle est née.
Jeudi 30 septembre, aux côtés de membres du Collectif d’Échanges Citoyens du Pays d’Aix et d’autrices du livre « Nous vous écrivons depuis la Révolution », c’est à Radio Zinzine que le tour d’introduction à la Jineolojî s’est poursuivi et qu’une discussion autour de l’internationalisme a été enregistrée.
« Qu’est-ce que nous pouvons apprendre de la révolution au Kurdistan et de la Jineolojî pour notre contexte en France qui semble si différent ? » C’est la question que beaucoup de gens se posent et à laquelle Lola et Sarah ont essayé de répondre à travers leur expérience. « La guerre existe partout où il y a le capitalisme, mais elle prend différentes formes selon la réalité de chaque territoire et selon les conditions du moment », commence Sarah. « Au Kurdistan, la guerre militaire est omniprésente, l’autodéfense populaire armée est donc primordiale. Mais il y a aussi des attaques politiques, économiques et écologiques très fortes de la part de l’État turc, de l’OTAN et d’autres forces impérialistes, comme la Russie par exemple. Car ce qu’ils veulent détruire, c’est l’idéologie de la libération qui porte la réussite du projet démocratique de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie. Mais il faut surtout prendre conscience du besoin urgent d’une organisation de résistance des peuples et des femmes au niveau international contre cette politique. De plus, au-delà des frontières mentales qui opposent souvent l’Orient et l’Occident, nous pensons que le projet de Confédéralisme démocratique proposé par Abdullah Öcalan peut répondre aux attaques du capitalisme qui détruit la nature et la société partout dans le monde ».
Lola ajoute : « Ce qui est le plus important et que j’ai appris au Kurdistan, c’est la question de l’amour et de la camaraderie, et aussi le lien avec les personnes qui ont donné leur vie pour défendre leur pays et leur peuple. Dans la guerre d’autodéfense, il faut, d’un côté, bien connaître son ennemi et, de l’autre, donner beaucoup d’amour autour de soi. C’est la base de la lutte, sans cela on ne pourra pas avancer ensemble et on restera toujours divisées. »
Les deux enregistrements seront diffusés sur les ondes prochainement et les podcasts partagés en ligne.
Vendredi 1er octobre, c’est au Théâtre Verdure, un amphithéâtre à ciel ouvert à Aix-en-Provence, que toute l’équipe de la radio s’est retrouvée aux côtés des autres membres du Collectif d’Échanges Citoyens et du SMK pour une nouvelle présentation publique.
« Je suis d’accord avec vous, mais pas sur tout », intervient un voisin qui était là par hasard, mais qui a suivi de près les discussions. « La femme représente tout, s’il n’y avait pas les femmes, il n’y aurait rien, pas de société. Mais il y a plein de problèmes entre hommes et femmes. Tenez, prenez la question de l’amour par exemple, monsieur, est-ce que vous aimez votre femme qui est assise à côté de vous ? Comment la voyez-vous ? », interpelle-t-il. « C’est une très grande question qui dépend, avant tout, de ce que l’on entend par le verbe aimer », reprend Sarah dans la continuité de son intervention. « Quand on dit aimer sa mère, plus que tout au monde, mais qu’on veut qu’elle nous appartienne et qu’elle soit à nos soins pour toujours, ou quand on dit aimer son épouse ou sa meilleure amie, mais qu’on veut qu’elle soit seulement disponible pour nous et pour personne d’autre, est-ce que c’est vraiment de l’amour ? Cette mauvaise définition de l’amour donne lieu à beaucoup de violence. Et ce n’est pas uniquement une question de relations familiales ou amicales. La Jineolojî aborde la question de l’amour du point de vue de la libération des femmes, de la société et de la nature. L’amour pour sa terre, pour sa société, pour son existence. L’amour pour la lutte, la vie et pour l’univers tout entier. On parle de l’amour pour la vérité, la justice et la beauté. C’est quoi une belle vie ? Si on parle d’amour et de liberté, comment est-ce que l’on veut vivre ensemble ? », continue-t-elle en laissant cette réflexion ouverte.
La rencontre s’est ensuite poursuivie sur la manière de mener des recherches sociologiques en mettant la femme et le vivant au centre des réflexions et des actions collectives, que ce soit en mixité ou en non-mixité. Gilets jaunes, familles matriarcales contemporaines, cosmovision zapatistes… Les liens évidents entre la révolution au Kurdistan et les différentes luttes marquant l’actualité politique en France ont émergé dans le débat qui s’est terminé par la promesse de se revoir bientôt pour continuer ces discussions lors d’autres événements.
Enfin, dimanche 3 octobre, la semaine de présentation en terre provençale s’est clôturée au Centre de la communauté kurde de Marseille. L’objectif était de faire connaître le travail de recherches sociologiques, le matériel pédagogique et scientifique publié et le processus de création des structures autonomes de la Jineolojî, au Kurdistan et dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Europe. Les liens entre recherche, formation et transformation de la société ont été mis en avant, notamment autour des questions de la démocratisation de la famille, la libération des femmes et la transformation des hommes au sein des différentes structures du confédéralisme démocratique, telles que les assemblées populaires locales par exemple.
« Comment faire de la Jineolojî et des résultats de ses recherches une science au service des femmes et de la société, qui puisse être proche des gens et répondre aux problèmes spécifiques d’une communauté ou d’un territoire? » Voici la question posée et un défi pour la Jineolojî à travers le monde. La science des femmes a besoin pour cela de continuer à se développer localement afin de pouvoir analyser plus profondément les différences sociologiques, tout en s’amplifiant au niveau international pour unir la force des femmes et développer des connaissances communes.
En attendant d’autres événements autour de la Jineolojî, les autrices du livre « Nous vous écrivons depuis la révolution. Récits de femmes internationalistes au Rojava » vous invitent le vendredi 8 octobre, à 19h, à la librairie l’Hydre à Mille Têtes de Marseille.