Dans une interview donnée au site d’information Medya Haber, la responsable kurde Besê Hozat souligne l’importance de la solidarité sociale pour contrer les tentatives du gouvernement turc d’instrumentaliser les conséquences des séismes survenus au Nord-Kurdistan et en Turquie.
Besê Hozat, coprésidente du Conseil exécutif de l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK, organisation faîtière du mouvement de libération kurde), a dénoncé dans une interview avec le site d’information Medya Haber, la responsabilité du gouvernement islamo-nationaliste turc dans les conséquences dévastatrices des tremblements de terre survenus le 6 février et sa gestion catastrophique de la crise.
« La Turquie et le Kurdistan sont des zones sismiques. C’est un fait connu », souligne Mme Hozat, qui note que le gouvernement AKP-MHP (coalition islamo-nationaliste au pouvoir) n’a jamais pris de mesure pour adapter les constructions aux normes sismiques. « Les précautions n’ont pas été prises, dit-elle, ce qui explique la grande catastrophe consécutive au tremblement de terre. Le gouvernement fasciste qualifie lui-même ce ravage de plus grande catastrophe du siècle, une expression répétée à l’envi par les médias affiliés aux cercles du pouvoir. Mais la catastrophe du siècle ne serait-elle pas plutôt incarnée par le régime AKP-MHP? Dans de nombreuses régions du monde, des tremblements de terre beaucoup plus forts que celui-ci se produisent régulièrement. L’exemple du Japon a fait l’objet de nombreuses discussions récemment. Le Japon connaît des tremblements de terre d’une magnitude de plus de 9, mais le pays n’a jamais subi de pertes aussi graves. Les bâtiments au Japon sont plus hauts que les bâtiments en Turquie, mais ils ne subissent aucun dommage. C’est le cas dans de nombreuses régions du monde. Alors, pourquoi y a-t-il tant de destructions en Turquie ? Des centaines de milliers de personnes ont perdu la vie. Des millions de personnes sont dévastées, traumatisées. Le responsable en est le gouvernement fasciste turc. La catastrophe du siècle, c’est le gouvernement fasciste AKP-MHP. »
La responsable kurde poursuit : « Erdoğan dit : ‘C’est le destin, nous devons l’accepter’. Il prend vraiment les gens pour des imbéciles, pour un troupeau. Jusqu’à présent, il a réussi à tromper une partie de la population avec ces mensonges. Ceux qui n’étaient pas convaincus, il les a rassemblés autour de lui en attisant les sentiments nationalistes, religieux et racistes. Mais maintenant, ce temps est révolu. Le dictateur fasciste Erdoğan ne peut plus tromper la société en liant les développements récents au destin. Désormais, c’est la société qui déterminera le destin d’Erdoğan.
Selon certaines informations, Erdogan aurait collecté 48 à 83 milliards d’euros depuis 1999 au titre de la taxe sismique. Certains parlent même de 100 milliards d’euros, ce qui est fort probable. Où est passé cet argent ? Laissons de côté la taxe sismique, où est tout l’argent provenant des impôt des contribuables? Cet argent est censé être utilisé dans le service à la population. Où est-il passé ? La réponse, c’est qu’il a été dépensé dans la guerre génocidaire contre les Kurdes, dans le sociocide et l’écocide. L’argent va à la Sadat [société militaire privée en Turquie] et à ses forces de procuration islamistes. Depuis 11 ans, une armée de dizaines de milliers de mercenaires islamistes a été mise en place. L’État turc, ce gouvernement fasciste, fournit toute la formation et l’équipement, la logistique, les munitions, l’entretien, les moyens de subsistance et le logement à ces gangs. D’où vient cet argent ? Des impôts payés par le peuple. La guerre génocidaire contre les Kurdes est menée avec les impôts du peuple. Chaque jour, des tonnes de bombes pleuvent sur les montagnes du Kurdistan. Le prix de chaque bombe est d’une centaine de milliers de dollars, comme l’ont d’ailleurs admis les autorités turques. Depuis le récent tremblement de terre, des milliers de bombes ont encore été larguées. Tous les impôts sont dépensés pour cela, ils vont aux chercheurs de profit, aux laquais et partisans de l’AKP. Une élite s’est formée autour du palais, une bourgeoisie s’est formée qui s’enrichit sur la base des impôts du peuple. Les membres de cette bourgeoisie détiennent chacun des milliards de dollars dans des banques à travers le monde. »
« Ce qui se passe aujourd’hui en Turquie et au Kurdistan est certainement un sociocide. Des villes entières ont disparu. Hatay, Adıyaman, Antep, Malatya, Maraş et Iskenderun, leurs districts et villages ont été effacés de la carte. En d’autres termes, toute une région a été complètement détruite. Le gouverneur de Şırnak a déclaré récemment que le nombre de morts était 5 fois plus élevé que les chiffres officiels. Au moment où il faisait cette déclaration, les autorité avaient déjà annoncé 40 000 décès. Multiplié par 5, cela fait 200 000 morts. Mais il y a aussi plus de 200 000 personnes disparues. Leurs corps sont toujours sous les décombres. Partout, les sinistrés ont été abandonnés. Nous avons toujours dit que cet État est un État génocidaire. Telle est la politique pratiquée par cet État à l’encontre des Kurdes depuis 100 ans, une politique qui s’est intensifiée au cours des 7 dernières années. Durant les deux semaines qui ont suivi le tremblement de terre, c’est la société de Turquie et du Kurdistan qui a été victime de cette politique, sous les yeux du monde entier. Cela aura de très lourdes conséquences. Il y a une mesure appelée l’amnistie à la construction. Cette amnistie signifie l’exposition de la région au pillage, à l’extorsion et au vol. Cela signifie fournir un terrain légitime aux opportunistes et aux voleurs.
La région frappée par le tremblement de terre est historiquement une zone d’habitation kurde, arabe et alévie. Ils [le gouvernement AKP-MHP] mettront en œuvre une politique migratoire très sérieuse sur ce territoire après le tremblement de terre. Nous savons qu’ils ont déjà commencé à la mettre en œuvre. Ils voudront mener à bien le plan de génocide ici en changeant progressivement la démographie. C’est l’une des premières régions où a été mis en oeuvre le plan de réforme de l’Est [Şark Islahat Planı]. Le massacre de Maraş [en décembre 1978] a également été mené sur cette base. Le principal objectif du massacre de Maraş était de déraciner complètement les Alévis kurdes de l’ouest de l’Euphrate. Le but était de tuer ceux qui y vivaient et de contraindre les survivants à migrer, de purger la région de sa population kurde et alévie. Cette politique a également été menée contre les Alévis arabes au fil des ans. Avec le tremblement de terre, sa mise en oeuvre va s’accélérer. On en voit déjà les signes avec les déplacements forcés. Les villes et villages majoritairement Alévis n’ont reçu aucune aide. Les gens là-bas ont été complètement abandonnés. Il s’agit d’une politique d’État vieille de 100 ans. Le gouvernement AKP-MHP s’efforce de l’achever, à la faveur du tremblement de terre. Mais notre peuple en est conscient. »
« Nous menons depuis décennies une grande lutte contre cette politique de génocide. Il y a une prise de conscience sérieuse de notre peuple à ce sujet. Notre peuple ne doit pas quitter ses terres. Il peut éprouver des difficultés et de la douleur. Mais il ne doit pas quitter la région. Dans les zones où il pourrait migrer, il fera face à une douleur dix fois plus grande, à la perte de ses valeurs, de sa mémoire et de son histoire. Par conséquent, Quelles que soient les difficultés et les souffrance actuelles, notre peuple ne doit pas se séparer de ses terres. Qu’ils se trouvent dans le pays ou à l’étranger, les Kurdes doivent soutenir les populations sinistrées, développer des projets sérieux et reconstruire toutes les zones touchées. Les villages kurdes et alévis peuvent facilement être reconstruits. Les bâtiments d’un ou deux étages peuvent être construits très facilement au printemps. Jusqu’à présent, avec le soutien de notre peuple, il y a eu une aide sérieuse, à la fois de l’intérieur et de l’extérieur du pays. Si cette solidarité et ce soutien se poursuivent, nous pourrons vraiment reconstruire nos villages. Nous pouvons reconstruire nos villes et très solidement. Avec la solidarité, un esprit commun et un soutien financier, nous pouvons à nouveau transformer ces lieux en espaces de vie. C’est ainsi que le plan de génocide sera vaincu. C’est aussi une lutte, c’est aussi de la résistance.
Ce sont essentiellement notre peuple, les institutions civiles et les structures démocratiquement organisées qui sont intervenus dans les zones sismiques. Il n’y a pas eu une telle intervention de la part de l’État. Au contraire, l’État a entravé la solidarité du peuple et des organisations de la société civile. L’intervention de ce gouvernement fasciste, cet État fasciste, était principalement dirigée contre les structures qui étaient solidaires de la société. Grâce à cette solidarité, certaines des blessures de la société ont été guéries et la société a pu rester sur ses pieds. Il est important de continuer comme cela. Cela doit être transformé en une forme d’organisation permanente. Ce tremblement de terre a révélé à quel point l’auto-organisation est importante, à quel point le besoin d’auto-administration est grand, à quel point tout cela est nécessaire. D’une certaine manière, ce tremblement de terre a également conduit à l’effondrement du système fasciste des États-nations. Il a montré à quel point ces systèmes fascistes centralisés d’États-nations sont inutiles, à quel point ils sont antisociaux, à quel point ils sont anti-humains, anti-société. Il a révélé à quel point l’auto-administration, les structures autonomes démocratiques, les systèmes confédéraux démocratiques et l’auto-organisation sont essentiels. En ce sens, cela a également été un test de la nation démocratique, du système autonome démocratique et du système confédéral démocratique pensé par le Leader Apo. La solidarité sociale a révélé à quel point ces projets résonnent avec la société en Turquie et à quel point les motifs en sont solides. Et il a également révélé que la Turquie ne sera plus la vieille Turquie. En d’autres termes, la Turquie ne peut pas être gouvernée par un système et une administration d’États-nations aussi rigides, centralisateurs et fascistes. La construction d’une république démocratique basée sur l’auto-administration peut soutenir la Turquie et la maintenir en vie. C’est également vrai pour le monde entier. C’est une tendance mondiale. En Turquie, cette réalité s’impose comme une condition sine qua non. Il est nécessaire d’organiser le peuple sur cette base. »