Mehmet Eymür, un ancien haut fonctionnaire du renseignement turc, reconnaît, entre autres, la pratique de la torture comme une méthode légitime pour interroger les détenus politiques.
Dans une interview accordée au site d’information turc T24, vendredi 5 novembre, l’ancien chef du département de lutte contre le terrorisme du service de renseignement turc (MIT), Mehmet Eymür, admet avoir participé à des actes de torture. « Cela ne compte pas comme de la torture. De toute façon, c’est en soi de la torture de se trouver dans une petite cellule, les yeux bandés en permanence », déclare-t-il.
Lorsque le journaliste lui demande s’il a déjà battu un détenu ou pratiqué la torture à l’électricité, il ne nie pas avoir participé à des actes de torture, ajoutant qu’il ne le regrette pas.
Interrogé sur l’ancien chef de la police, Hanefi Avcı, qui a prétendu avoir des remords du fait des actes de torture qu’il avait commis, Eymür répond comme suit : « Je ne l’aime pas beaucoup. Il a manipulé beaucoup de Kurdes qui bénéficiaient de la loi sur le repentir. Il avait de sales boulots. Il s’attaquait à des tâches qui le dépassaient. (…) Il a tenté de créer des organisations contre le PKK [Parti des Travailleurs du Kurdistan]. (…) Il a envoyé une équipe pour éliminer Öcalan. Mais elle est revenue bredouille. »
TENTATIVE D’ASSASSINAT CONTRE ÖCALAN
Le journaliste de T24 ayant rappelé à Eymür qu’il avait également participé à une opération contre le leader kurde Abdullah Öcalan, en Syrie, en 1996, l’ancien responsable du renseignement turc dit ceci: « Nous avons été confrontés à des obstacles venant de partout. Çevik Bir, qui est en prison aujourd’hui, était alors le chef des renseignements militaires. Nous avons acheté une tonne d’explosifs. Le lendemain, un article est paru dans le journal Cumhuriyet : “Que va faire le MIT avec les explosifs ?” Nous avons reçu la permission du président et d’autres politiques. Même le sous-secrétaire du MIT ne peut agir sans autorisation. Le chef d’état-major général et le président avaient déjà donné leur accord. Nous leur avons fourni les informations dont nous disposions. (…) Ils ont dit OK. Nous avons continué. Yeşil [surnom donné à Mahmut Yildirim, ancien membre du JITEM, escadrons de la mort de la gendarmerie turque] et quelques personnalités militaires étaient là, ainsi que les fonctionnaires que nous avions secrètement envoyés sur place. En fait, l’opération ne peut être qualifiée d’échec. Nous n’avons pas pu tuer Öcalan, mais nous avons provoqué une explosion si importante que toute la Syrie a tremblé. Le commandant des forces terrestres de l’époque a fait une déclaration après laquelle Öcalan a été expulsé de la Syrie. C’était un succès puisque le bombardement a effrayé la Syrie. L’explosion a créé une fosse de 17 mètres. »
Eymür déclare également avoir participé aux opérations contre les militants de gauche Mahir Çayan et Ulaş Bardakçı, prétendant toutefois qu’il ne s’agissait pas d’exécutions.
DÉFENSEUR DE LA TORTURE
Eymür admet les mauvais traitements pratiqués dans la villa de Ziverbey, à Istanbul, réputée à l’époque comme un centre de torture. « On ne peut pas dire que la torture était pratiquée contre tout le monde. Mais il y avait de la torture. Par exemple, il y avait un coursier. Il se plaignait de ses ennuis. Il se moquait de moi en me demandant s’il y avait une thérapie électrique parce que ses rhumatismes avaient fait des siennes. La torture était appliquée s’il n’y avait pas d’autre moyen de faire parler les gens, car il y avait effectivement des gens très obstinés qu’il est très difficile de faire parler autrement ! »
Défendant la torture, Eymür insiste : « Quand il n’y a pas d’autre moyen de faire parler les gens, on peut recourir à la torture. J’en suis toujours convaincu. » Et d’avouer que la torture peut aller jusqu’à la mort.
UN CHEF DE LA MAFIA RECRUTÉ CONTRE LE PKK
Alaattin Çakıcı, figure de proue de la mafia turque et membre des Loups gris, a été recruté dans une « opération » contre le PKK en Allemagne, reconnait encore Eymür. « Nous n’avons utilisé Çakıcı que dans une opération. C’était une opération contre le PKK en Allemagne. Elle n’a pas abouti. »
ERGENEKON A ÉMERGÉ D’UNE STRUCTURE DIRIGÉE PAR PERİNÇEK
Interrogé sur son implication dans l’affaire Ergenekon, Eymür affirme que le réseau criminel est né de la structure dirigée par Doğu Perinçek. « Ces documents sont sortis de son bureau. Perinçek est un homme qui a fait beaucoup de mal à la Turquie. J’ai dit plusieurs fois à la télévision : « Vous êtes celui qui a fait tuer Hiram Abas ». Cependant, aucun procureur n’est entré en action. Au contraire, Perinçek demande réparation pour avoir été insulté. Veli Küçük [général de brigade turc à la retraite, fondateur du JITEM] est également impliqué dans cette affaire. Veli Küçük est très intéressé par ces affaires, et Perinçek aussi. J’ai parlé à Zekeriya Öz [procureur dans l’affaire Ergenekon] et lui ai dit ce que je savais. Il m’a demandé si je devais être considéré comme un suspect ou un témoin. « A vous de me le dire », lui ai-je répondu. « Mais si vous êtes vous-même amenés à répondre à ces questions dans quelques années, souvenez-vous de moi », ai-je ajouté. »