Nous publions toutes les semaines les bulletins hebdomadaires des nouvelles d’Afrin, écrits et traduits en français pour le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin. Les bulletins informent à la fois sur la situation militaire, politique et humanitaire autour d’Afrin et plus largement au nord de la Syrie, sur les initiatives de solidarité exprimées à travers le monde ainsi que les prises de positions des différents acteurs politiques, qu’ils analysent.

Créé au début de l’offensive turque sur Afrin, le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin dispose d’un compte twitter, d’une chaîne Youtube et d’un site internet, où sont publiés les bulletins mais aussi des dossiers d’information écrits directement par le centre ou par différentes institutions du Nord-Syrie (Croissant Rouge du Kurdistan, TEV-DEM…) ; des analyses politiques de la situation ; des photos et vidéo documentant les crimes de guerre, la résistance populaire et témoignant du quotidien des populations d’Afrin, maintenant pour la plupart devenues réfugiées.

La plupart des informations sont en anglais mais des traductions régulières vers le  français sont effectuées, comme c’est le cas pour tous les précédents bulletins, que vous pouvez aussi trouver sur le site.

 

Les développements à Afrin – 30 mars au 5 avril 2018

Introduction

Avec la défaite de l’Etat islamique en Syrie et particulièrement après la libération de Raqqa à l’Octobre 2017, l’Etat turc a intensifié ses menaces et attaques sur la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie. Dans ce contexte, la guerre d’invasion turque sur Afrin a commencé le 20 janvier, transgressant le droit international et la souveraineté de son pays voisin. L’armée turque a déclenché cette guerre en coopération avec des groupes djihadistes issus des rangs de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Beaucoup d’entre-eux sont des membres d’Al-Qaïda ou de l’Etat islamique. Depuis le début mars, tous les districts et la ville d’Afrin ont été sous les bombardements de l’aviation, de l’artillerie et des drones de l’armée turque, qui ont particulièrement ciblé les civils. Les 17 et 18 mars plus de 200 000 personnes ont quitté Afrin et ont été évacués de la ville afin d’éviter un génocide physique. Depuis la majorité des personnes sont réfugiées dans le canton de Shehba, sans garanties pour leur sécurité ni soutien international.

Dans cette nouvelle étape de la guerre, la confrontation entre les pouvoirs internationaux et leurs intérêts se fait plus de jour en jour plus intense.

Les développements de la semaine passée à Afrin

Après 78 jours de résistance contre la guerre d’occupation turque, des centaines de milliers de personnes du canton d’Afrin sont toujours déplacées et font face à des conditions difficiles. L’armée turque et ses alliés djihadistes mettent en œuvre des politiques de nettoyage ethnique, d’assimilation et de colonisation, préparant ainsi l’annexion de facto de la région Afrin au territoire étatique turc. En même temps, des milliers de djihadistes ont été transférés de la Ghouta à Afrin pour créer des changements démographiques et installer un ordre islamo-turc. La résistance des forces YPG-YPJ dans tous les districts du canton d’Afrin se poursuit, ainsi que la résistance des personnes déplacées d’Afrin dans la région de Sherawa et Shehba. La Turquie a maintenant étendu ses menaces à la région de Til Rifat / Shehba, Manbij et Shengal (Sinjar). En outre, les tensions entre les deux blocs Russie-Turquie-Iran et la Coalition internationale menée par les États-Unis ne font qu’augmenter.

Guerre et situation humanitaire

Les conditions de vie des personnes déplacées d’Afrin dans la région de Shehba sont toujours très précaires et très peu sûres. Cependant, les travaux de construction des camps et des distributions de provisions et d’aide humanitaire sont organisées par l’Auto-Administration démocratique du nord de la Syrie et le Croissant-Rouge du Kurdistan. Deux camps de réfugiés ont été construits dans le district de Sherawa et dans la région de Shehba. Selon le recensement des administrations d’Afrin et Shehba, les réfugiés sont ainsi repartis : 24 000 à Til Rifat, 40 000 dans le camp de Fafînê (maintenant baptisé « Camp de la Résistance »), plus de 37 000 à Ehres, 10 000 dans le district de Kefernayê, 30 000 dans le district de Sherawa d’Afrin, plus de 25 000 dans le sous-district de Nûbûl-Zehra d’Alep. Et elles estiment à 100 000 le nombre des personnes déplacées dans le centre d’Alep. Les gens du camp de réfugiés de Fafinê (région de Shehba) ont fait appel à l’ONU : «Accomplissez vos devoirs et respectez vos propres lois et principes ! Protéger les gens d’Afrin contre le génocide. Mettez fin à l’occupation de la Turquie et des groupes djihadistes de l’ASL et assurez le retour en toute sécurité des gens d’Afrin dans leurs maisons! « . Le 31 mars, le Croissant-Rouge kurde a livré un convoi d’aide, composé de 26 camions, à la région de Shehba avec des vivres. Un autre convoi composé de 18 camions, apportant également des fournitures collectées dans le sud du Kurdistan (état irakien) est arrivé le 4 avril. Jusqu’à présent, 5 convois humanitaires sont arrivés à Til Rifat (Du Croissant-Rouge du Kurdistan, 35 camions sont arrivés le 25 mars – dont trois de matériel médical, 26 camions le 31 mars et 18 le 4 avril ; un convoi de la Croix-Rouge syrienne et du Croissant-Rouge syrien a atteint Til Rifat le 20 mars et un deuxième du Croissant-Rouge syrien et de différentes agences des Nations Unies est arrivé le 25 mars). Jusqu’à présent, le Croissant-Rouge du Kurdistan a construit 7 dispensaires mobiles de santé pour fournir des soins de santé aux réfugiés, 2 dans le district de Sherawa (canton d’Afrin) et 5 dans le canton de Shehba.

Selon ce qui a été prévu par l’accord russo-turc, qui consiste à remettre Til Rifat à la Turquie et à ses groupes islamistes alliés, les troupes russes ont quitté la zone, mais la région est toujours sous le contrôle de YPG / YPJ. Le régime syrien est également présent dans la région depuis mars. En outre, après l’accord avec la Russie, la Turquie a amené le groupe « Jaysh Al-Islam » depuis la Ghouta orientale jusqu’à Jarablus. De même, des combattants djihadistes et leurs familles d’E. Ghouta et d’Idlib ont été installés à Afrin.

L’armée turque et les djihadistes de l’ASL continuent de piller des propriétés, de menacer et de kidnapper des civils. Selon des informations, des dizaines de filles et de femmes ont été enlevées dans la ville d’Afrin. Il a été spécifiquement constaté qu’un commandant de la division Hamza avait parcouru les quartiers pour rassembler des jeunes femmes, qui sont détenues dans des maisons près de la rue Vilayat, dans le centre-ville. Là-bas, les femmes sont victimes de violences sexuelles de la part de soldats turcs et de miliciens de l’ASL [1]. Les gens sont forcés de quitter leurs maisons et de les laisser aux milices de l’ASL [2]. En particulier, les yézidis sont menacés par l’ASL, qui demande qu’ils se convertissent à l’islam, et doivent obéir à leurs « codes religieux ». La photographe kurde Dilşan Qereçol a été arrêtée par la brigade Sultan Murad (groupe islamiste soutenu par la Turquie) dans la région d’Afrin et déportée dans le district d’Azaz [3].

La Turquie essaie de mettre en place un nouveau gouvernement d’occupation à Afrin. Le soi-disant «Congrès de Libération d’Afrin» coordonne l’administration du canton depuis Antep en Turquie. Il est composé de 35 hommes et est placé sous sous le contrôle de l’armée et du gouvernement turc, ainsi que celui de l’ASL. Hasan Shindi – connu pour sa collaboration avec le MIT (services secrets turcs) et une attaque terroriste à Afrin – est le porte-parole du conseil. Il a déclaré qu’Afrin appartiendrait à la province d’Antakya en Turquie. Des gouverneurs de district turcs, des chefs de police et des commandants de gendarmerie seront aux commandes comme à Azaz, Jerablus et Mare. Les hommes de l’ASL seront affiliés à une force de police de 450 personnes [4]. A ce sujet, le TEV-DEM a déclaré: « Le conseil Dilok (Antep) des services secrets turcs et des personnes comme Fuad Aliko et Ibrahim Biro ont été la raison qui a permis que 1500 personnes, dont moitié sont des civils, aient été tués à Afrin. Nous appelons l’ENKS et YEKÎTÎ à prendre une position claire et à se séparer d’eux.  » [5]

Au cours de la dernière semaine, les YPG / YPJ ont mené plusieurs actions contre les forces d’occupation : sur la colline de Mame Gur (district de Bilbile, 30 mars), à Dayr Sawan (district de Shera, 31 mars), dans le centre-ville d’Afrin (2 actions, 1er avril). En conséquence, 5 soldats turcs et 37 miliciens de l’ASL ont été tués, 1 char détruit. Le 2 avril, l’armée turque a mené une opération contre les forces YPG / YPJ dans les environs de Rajo et dans le triangle Bilbilê, Shera, Mabeta en utilisant également des bombardements aériens. Les YPG / YPJ n’ont enregistré aucune perte pendant cette opération.

La Turquie a fermé le barrage de l’Euphrate, coupant l’approvisionnement en eau de Manbij, ce qu’elle n’a jamais fait pendant les années du régime terroriste de l’Organisation de l’Etat Islamique à Manbij. De plus, des attaques par engins explosifs ont été menées dans la ville : 1 soldats états-unien et un soldat britannique, membres des troupes de la Coalition Internationale ont été tués dans une explosion. Deux autres engins explosifs ont été retrouvés et démantelés le 1er avril. Malgré l’annonce de Donald Trump de retirer les troupes états-uniennes de la Syrie dans un court délai, l’armée état-unienne a renforcé sa présence à Manbij et construit de nouvelles bases à la périphérie de la ville. De plus, les forces spéciales de l’armée française sont arrivées dans la ville.

Le 2 avril, deux agresseurs inconnus ont fait exploser deux grenades de choc sur des motos à Raqqa. En conséquence, 17 personnes ont été blessées.

La Turquie s’efforce d’étendre sa guerre d’agression et d’occupation également sur le territoire irakien. Le 1er avril, des avions militaires turcs ont bombardé les villages d’Alia Resh, Besta, Marado (district de Jarawa), Khakork, Lolan, Torta, Bert (zone de Bradost) et le village de Bokriska au sud du Kurdistan (État irakien). Après que les unités des HPG et des YJA Star (PKK) se soient retirées de Shengal (Sinjar) Erdogan a commencé à menacer les troupes irakiennes arrivées pour assurer la sécurité de la région de Shengal avec les Unités de Résistance de Shingal YBŞ et YJŞ.

Solidarité avec Afrin

Au 11ème jour de la grève de la faim devant l’ONU à Genève pour appeler à une intervention de la communauté internationale contre l’invasion d’Afrin par la Turquie, les activistes du PYD ont pris leur tour. Un député du HDP de la région de Sirnak a dit : « (l’ONU) sait que la Turquie commet des crimes de guerre à Afrin mais ils ne font rien (…) ».

Le Commandement général des HSNB (Forces de Protection des Femmes Beth Nahrin) et le Conseil militaire syriaque ont célébré le 1er avril la fête des peuples chaldéens, syriaques et assyriens Akitu et ont appelé à soutenir la lutte pour la paix, l’égalité et la démocratie [6].

Le 31 mars, lors des marches de Pâques en Allemagne (Hanovre, Hambourg, Francfort et Stuttgart), des manifestations ont éclaté contre l’occupation d’Afrin par la Turquie. De nouvelles manifestations de solidarité ont eu lieu dans de nombreuses villes européennes comme Berlin (Allemagne), Lorient (Bretagne), Paris et Montpellier (France), Stockholm, Göteborg (Suède) et Lavrio (Grèce) ainsi qu’en Amérique latine comme à Huanchaco (Pérou). Pendant la marche à Londres (Royaume-Uni), la police a arrêté des manifestants, tandis que les gens ont tenté de les libérer. À Bilbao (Pays Basque), le 2 avril, des dizaines de femmes ont mené une action de protestation contre l’occupation d’Afrin. Lors de la manifestation mixte, la banderole de tête affichait : « Afrin = Gaza ! Stop aux génocides au Moyen-Orient » et « Arrêtez de prendre nos terres et de tuer la nature ».

Une nouvelle campagne « Boycott du tourisme contre l’occupation d’Afrin par la Turquie » a commencé. L’objectif est d’appliquer une pression économique, car le secteur du tourisme est une source importante de revenus pour la Turquie.

Une délégation du Royaume-Uni a atteint Rojava le 4 avril, composée de Lloyd Russell-Moyle (député / travailliste), Lord Maurice Glasman (travailliste), de Simon Dubbig pour le syndicat Unite et de Ryan Flecher et Ibrahim Dogus (Kurdish Progress). La délégation est ici pour mener des discussions et se faire une impression de Rojava. [7]

Déclarations et analyses

Le 29 mars, le parlement portugais a approuvé une déclaration condamnant l’invasion turque d’Afrin et la qualifiant d ‘ »illégale ». Le 31 mars, le ministre turc des Affaires étrangères a condamné la déclaration du parlement portugais sur Afrin et fait pression pour qu’elle soit retirée. [8]

Après l’assassinat de 15 Palestiniens à Gaza, Erdogan et Netanyahu se sont confrontés, se qualifiant l’un l’autre d’« envahisseur de la terre des autres » et de « terroristes ». Nous pouvons considérer qu’ils ont tous deux le droit de s’exprimer ainsi, puisque les actions d’Israël et de la Turquie ont en commun des décennies de politiques de répression et de massacres des peuples.

Le 31 mars, des représentants de TEV-DEM et de la Fédération démocratique du Nord de la Syrie ont rencontré le président français E.Macron. Au cours de la réunion, ils ont discuté du soutien français dans la lutte contre l’Etat islamique, et de protéger les progrès réalisés en Syrie, qui sont aujourd’hui menacés par les agressions de la Turquie à Afrin et sur l’ensemble du territoire du nord de la Syrie. Dans un communiqué de presse, l’état français a salué les Forces Démocratiques Syriennes dans leur lutte contre l’OEI au nord de la Syrie, a condamné l’occupation d’Afrin par la Turquie et offert une médiation entre la Turquie et les FDS afin de ramener la stabilité. Selon différentes évaluations, le président Macron a pris cette décision afin d’avoir un rôle dans la reconstruction de la Syrie, de combler le vide qui seraient laissé si les troupes américaines se retiraient de la Syrie ainsi que pour « assurer la sécurité intérieure de la France contre les attaques de l’OEI ».

Le 27 mars, la fondation d’un nouveau parti politique, le «Parti de la Future Syrie» a été annoncée à Raqqa, dans lequel différents peuples, cultures et religions syriennes sont représentés. Le parti a déclaré que son objectif fondamental était de contribuer à une solution politique et à la fondation d’une «Syrie démocratique, pluraliste et décentralisée».

Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et plus de deux douzaines de membres de l’OTAN ont expulsé des agents de renseignement russes après l’assassinat d’un ancien agent russe et de sa fille au Royaume-Uni le 4 mars. En réponse, la Russie a également commencé à expulser des dizaines de diplomates occidentaux. Ce sont des expressions de la confrontation stratégique globale entre les blocs USA / UE et la Russie qui se reflètent également dans la guerre en Syrie et ont eu un impact important sur l’établissement d’une alliance turco-russe dans la guerre contre Afrin [9].

Le 4 avril, la Russie, la Turquie et l’Iran se sont rencontrés pour discuter de l’avenir de la Syrie. A cette occasion, l’objectif du renforcement des liens économiques entre la Russie et la Turquie (nouvelle centrale nucléaire, système anti-aérien, gazoduc …) était de nouveau évident. Selon l’accord de Til Rifat, la Turquie et ses mandataires pourraient prendre le contrôle d’une partie importante du territoire syrien. La Russie tente ainsi d’équilibrer la situation et d’utiliser l’Iran et la Turquie l’un contre l’autre au Moyen-Orient, tout en gagnant en influence hégémonique. En outre, la Russie s’efforce d’aggraver les contradictions internes à l’OTAN à travers les menaces turques sur la région de Manbij et de l’est de l’Euphrate. Aux États-Unis, de violentes contradictions entre le gouvernement, la CIA et le Pentagone, à propos des politiques de sécurité et des stratégies militaires, ont également été évoquées. Alors que le président américain Trump a annoncé que les troupes américaines se retireraient très bientôt de Syrie (et qu’il ait gelé les fonds destinés aux FDS), les commandants de l’armée américaine ont souligné la nécessité de poursuivre le combat contre l’OEI et de maintenir des positions en Syrie afin de peser sur le futur du pays et contrôler les ressources énergétiques. En outre, l’Arabie saoudite a déclaré qu’elle serait disposée à contribuer économiquement à la présence permanente de l’armée américaine en Syrie, afin de contrer l’influence iranienne au Moyen-Orient

 

Sources et références

[1] https://anfenglishmobile.com/features/dozens-of-girls-missing-in-afrin-25829

[2] https://twitter.com/HosengHesen/status/980168418035978240

[3] http://www.rudaw.net/kurmanci/kurdistan/0104201819

[4] https://ahvalnews.com/afrin/congress-makes-afrin-part-turkish-province

[5] https://www.hawarnews.com/kr/haber/bang-li-enks-yekt-hat-kirin-ku-ji-gurupa-dlok-veqetin-h762.html

[6] https://twitter.com/HSNB_/status/980149034953428992

[7] https://anfenglish.com/latest-news?page=4

[8] http://www.hurriyetdailynews.com/turkey-condemns-portuguese-parliaments-statement-on-afrin-operation-129580

[9] https://www.nytimes.com/2018/03/29/world/europe/russia-expels-diplomats.html

 

Le bulletin est téléchargeable ici en version PDF.

Photo : Manifestation à Bilbao, Euskal Euria (Pays Basque) par les femmes participantes à une conférence de jinéologie (Ecuador Etxea)

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