Dans une interview en quatre parties, Xebat Andok, membre du Conseil exécutif de la KCK, explique l’importance du confédéralisme démocratique pour la construction d’une société purgée du pouvoir et de la domination.
Nous publions ici la quatrième et dernière partie de l’interview réalisée par l’agence de presse Firat News (ANF) avec Xebat Andok, membre du Conseil exécutif de l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK), organisation faîtière du mouvement de libération kurde. Dans cette partie, Andok parle de l’expérimentation du confédéralisme démocratique, particulièrement au sein du PKK, « un parti de femmes ».
Pourquoi l’accent est mis sur la liberté des femmes?
La femme est la première esclave de l’histoire. Par conséquent, elle est la plus ancienne combattante de la liberté. Même nos ennemis disent que « le PKK est un parti de femmes ». Ce qui est vrai. Pas seulement parce que le PKK comprend un grand nombre de femmes dans ses rangs, mais parce qu’il fonde bon nombre de ses caractéristiques stratégiques et idéologiques fondamentales sur les femmes. À cet égard, c’est vraiment un parti de femmes. Il voit la solution aux problèmes dans l’intelligence émotionnelle des femmes. Les femmes et les hommes du PKK soutiennent qu’il est nécessaire de penser en dehors de l’état d’esprit masculin existant, que cette structure mentale, façonnée par l’idéologie à prédominance masculine du système au pouvoir/étatiste, doit être changée. La mentalité masculine est la raison pour laquelle il y a tant de problèmes. Il est donc nécessaire de dépasser cet état d’esprit. L’intelligence que vous allez acquérir en sortant de cet état d’esprit est l’intelligence émotionnelle des femmes. Tous les hommes et toutes les femmes du PKK ont le devoir d’adapter leur mentalité et leur façon de penser à l’intelligence émotionnelle des femmes. Dans la mesure où ils le font, ils deviennent plus humbles, démocrates, fidèles, sensibles, responsables et plus forts. C’est pourquoi le PKK est un parti de femmes. Le genre de forme sociale sur laquelle le PKK se fonde et qu’il veut créer est la société naturelle. Si elle n’est pas entravée de l’extérieur par différentes mentalités déformées, la société naturelle est une société centrée autour de la femme-mère. C’est une société qui se développe sous le leadership des femmes. Par conséquent, l’objectif du PKK est la réalisation d’une société dirigée par des femmes. Le PKK lui-même est également dirigé par des femmes. La chose la plus précieuse pour nous est la position forte des femmes qui ont découvert leur propre essence et nature. L’autonomisation des femmes signifie l’autonomisation des hommes, car elle les change et les transforme. La femme rejette les aspects étatiques et souverains existants des hommes et mène une lutte contre lui. Les femmes autonomes rendent la vie belle. Le leadership de ces femmes est une chose sur laquelle tous les hommes du PKK se fondent, croient et ont foi. De ce point de vue, le système social, la forme de société sur laquelle le PKK est basé est la société naturelle dirigée par les femmes. Le PKK s’appuie sur la nature de la société.
Compte tenu de la pratique au Rojava, à quoi ressemble la relation entre les hommes et les femmes dans le système démocratique-confédéral ?
Dans la révolution du Rojava, si vous regardez à quoi ressemblent les relations entre hommes et femmes face à toutes les attaques, vous pouvez voir à quel point les femmes sont devenues actives et à quel point les hommes ont abandonné leurs traits hégémoniques. Ils sont devenus sujets au changement et à la transformation. Nous pouvons voir comment une vie pleine de sens, des relations égalitaires et libertaires libèrent le potentiel des femmes et comment la vie devient ainsi plus belle. Dans le système démocratique-confédéral, les relations entre les hommes et les femmes sont égales et libres. Personne n’est supérieur à personne. Personne ne domine personne. Puisqu’il n’y a aucun obstacle devant qui que ce soit, vous pouvez vivre le potentiel de votre essence autant que vous le souhaitez. Il y a des possibilités illimitées. Il en est de même pour les hommes. Une vie significative, égale et libre est précisément la vie envisagée dans le système du confédéralisme démocratique. Dans sa forme la plus pure, ce genre de vie est déjà en expérimentation au sein du PKK.
Votre paradigme a aussi une dimension écologique. Pourquoi est-ce important en tant que dimension complémentaire ?
Actuellement, nous sommes confrontés à de graves sécheresses. Tout le monde en parle, mais on sait que les sécheresses ne sont pas un réflexe naturel. C’est une conséquence de la modernité capitaliste. Dans ce contexte, les gens parlent de l’effet de serre ou de la combustion de combustibles fossiles. Il y a tellement de catastrophes environnementales et de problèmes écologiques. Tous sont causés par l’être humain hégémonique et insatiable. Les gouvernants sont la principale cause des catastrophes écologiques et des problèmes environnementaux. Autrement dit, les forces de la modernité capitaliste. Il y a une guerre contre la nature. La nature agonise littéralement. Aujourd’hui, on en est au point où on se demande combien de temps la nature pourra résister. Il y a des problèmes comme la famine, la sécheresse, etc. Parce qu’ils sont des hommes hégémoniques, ces factions étatiques dirigeantes, qui sont les pionnières du système étatique hiérarchique, sont hostiles à tous les groupes de la société d’une part, et aux femmes d’autre part. Ils sont hostiles à la nature parce qu’ils la voient comme un don fait à l’être humain et non comme une entité vivante autonome. Ils abordent la nature comme si elle était une machine, un objet et une ressource.
Tout au long de l’histoire, les gouvernants ont été hostiles à la société, aux femmes et à la nature. Hostiles à tous les opprimés. Il y a la première nature et la seconde nature, dans lesquelles les êtres humains et la société ne font qu’un. Les femmes, la nature et la société sont toutes opprimées. Dans le système du confédéralisme démocratique, ont traite la nature comme une mère. Nous venons tous de la nature. Nous définissons la nature comme la première nature. Nous nous considérons comme faisant partie de la nature, comme sa progéniture. Tout comme une progéniture ne doit pas commettre de crimes contre sa mère, nous, en tant que seconde nature, ne devons pas commettre de crimes contre la première nature, qui est notre mère. Il est important pour nous de savoir que nous vivons entourés d’êtres vivants. En altérant le système de ces êtres vivants, nous éliminons également nos propres conditions d’existence. Nous voyons la nature comme étant vivante. C’est l’approche de la nature au sein du PKK. Au moins, nous nous efforçons de faire prévaloir cette approche. Nous menons notre lutte interne sur cette base. Nous sommes une communauté qui ne nuit pas à la nature. Nous sommes une communauté qui essaie de vivre selon ce que la nature nous offre. Si nous diffusons cette attitude à un niveau plus large au sein des peuples, au sein de toute la société, l’humanité ne commettra plus de crimes contre la nature.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la question de la « troisième nature » ?
La troisième nature est le rapprochement des êtres humains et de la nature de la bonne manière. Cela signifie que les êtres humains participent à la nature comme il se doit. Tout au long de l’histoire du système étatique hiérarchique, tant de crimes ont été commis contre la nature que son équilibre a été altéré. En repoussant la mentalité étatique dominante, en brisant son hégémonie sur la vie, en ouvrant un espace à la démocratie, à la liberté, à l’égalité et à l’ouverture d’esprit, et en développant l’organisation sociale appropriée, vous améliorez également la communication avec la nature. Vous créez une génération plus sensible à la nature, une espèce humaine/réalité sociale qui a une position plus sensible, responsable et démocratique envers la nature.
La déviation qui a émergé avec l’impérialisme et la pensée à dominante masculine s’est transformée en État. Elle a donné naissance à la formation des classes et a survécu jusqu’à aujourd’hui. Les êtres humains, la société, les femmes et la nature ne peuvent pas vivre avec cela. Les luttes partout dans le monde montrent clairement qu’ils ne peuvent plus vivre comme ça. Le système étatique hiérarchique, le système de pouvoir, est une déviation. Il ne peut pas être vécu avec. La version actuelle de celle-ci, c’est-à-dire la modernité capitaliste, ne peut pas du tout être vécue. Son seul but est le profit et l’égoïsme. Son âme est pleine d’égoïsme.
Le confédéralisme démocratique est-il la véritable alternative à ce système ?
Comme alternative à cela, le confédéralisme démocratique constitue un système de vie communautaire conforme à la nature des êtres humains et de la société. C’est un système conforme à la mentalité qui se fonde sur la nature communautaire des êtres humains et de la société qui luttent pour une vie en harmonie avec la nature. En tant que mouvement, nous voulons et luttons pour la réalisation du confédéralisme démocratique en tant que système au Kurdistan, au Moyen-Orient et dans le monde entier. Les pouvoirs dominants et hégémoniques partout dans le monde aujourd’hui se sont établis en tant que système à travers l’organisation des États. De même, le confédéralisme démocratique est un système dans lequel les peuples opprimés du monde entier, tous les groupes sociaux soumis à l’oppression et aux attaques de ce système peuvent se rassembler, unir leurs luttes et s’organiser. D’un côté, il y a le confédéralisme démocratique, et de l’autre, il y a l’État. Le système des pouvoirs dominants, étatiques, c’est l’État. Fondamentalement, c’est l’État-nation aujourd’hui. Le système de tous les groupes de la société est le confédéralisme démocratique. Il peut s’appeler la KCK au Kurdistan et autre chose ailleurs, mais son essence ne change pas. L’essentiel est d’établir un système non étatique conforme à la nature des êtres humains et de la société.