Le silence de la communauté internationale face à la nomination d’Abu Hatim Shaqra, chef du groupe armé Ahrar al-Sharqiya, à la tête de la 86ᵉ division par Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), constitue une insulte à la justice et un affront aux victimes de crimes de guerre en Syrie.
Née dans le chaos de la guerre civile syrienne, la milice Ahrar al-Sharqiya s’est rapidement imposée comme l’un des groupes les plus violents de la galaxie des factions armées pro-turques. Affiliée à l’Armée nationale syrienne (ANS), soutenue par Ankara, cette organisation s’est rendue coupable de massacres, d’exécutions sommaires, de déplacements forcés et d’une politique de terreur contre les minorités ethniques et religieuses.
Hevrîn Khalaf, symbole d’un crime impuni
Le crime le plus connu d’Ahrar al-Sharqiya est l’assassinat de Hevrîn Khalaf, secrétaire générale du Parti de l’avenir de la Syrie, exécutée sur l’autoroute M4 le 12 octobre 2019. Son assassinat, documenté par Amnesty International, Human Rights Watch et l’ONU, a été qualifié de crime de guerre et d’exécution extrajudiciaire. Malgré cela, le responsable direct, Abu Hatim Shaqra, vient d’être nommé commandant de la 86ᵉ division de HTS, en charge de Raqqa, Deir ez-Zor et Hesekê.
Une milice sous commandement turc
Créé à Deir ez-Zor en 2016, Ahrar al-Sharqiya est devenu un outil de l’armée turque dans ses offensives contre les régions autonomes kurdes, notamment à Afrin (2018) et Serêkaniyê-Tell Abyad (2019). Shaqra, de son vrai nom Ahmed Ihsan Fayad al-Hayes, est accusé de liens directs avec Daech et de l’intégration d’anciens djihadistes dans ses rangs.
Malgré les sanctions imposées par les États-Unis en 2021 et une condamnation judiciaire aux Pays-Bas, le groupe continue de bénéficier d’un soutien logistique et politique de la Turquie.
Crimes documentés et impunis
Les crimes d’Ahrar al-Sharqiya vont bien au-delà du meurtre de Hevrîn Khalaf :
- Pillages massifs à Afrin : maisons, magasins, terres agricoles volés puis redistribués à des proches des milices.
- Occupation de logements appartenant à des Kurdes déplacés de force, documentée par l’ONU en 2019.
- Attaques ciblées contre les populations chrétiennes de Tell Abyad : menaces, enlèvements, églises vandalisées, croix arrachées.
- Massacres de civils alaouites et druzes entre mars et avril 2025, dans les régions sous contrôle de HTS. Des centaines d’exécutions sommaires ont été recensées, motivées par l’appartenance confessionnelle.
Complicité et silence
Malgré les preuves accumulées, la communauté internationale reste muette. Aucun mandat d’arrêt international n’a été lancé. L’Union européenne, en raison de ses accords migratoires avec la Turquie, n’a émis aucune condamnation. Le Conseil de sécurité de l’ONU reste paralysé par les vétos, notamment de la Turquie via ses alliés. Même la Cour pénale internationale (CPI) n’a engagé aucune procédure, bien que la compétence universelle le permette.
Légitimation d’un criminel de guerre
La nomination d’Abu Hatim Shaqra à la tête d’une division militaire en 2025 est perçue comme une récompense accordée à un criminel de guerre notoire. Elle marque un tournant dangereux, car elle légitime l’impunité et banalise les violences contre les populations civiles. Elle est vécue comme une provocation par l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, dont les représentants ont dénoncé une tentative de restaurer, par des moyens nouveaux, les anciennes méthodes du régime Baas.
Tant que des hommes comme Shaqra pourront accéder à des postes de pouvoir sans en rendre compte devant la justice, la paix restera hors de portée.