Les présidents turc Recep Tayyip Erdogan et russe Vladimir Poutine à Sotchi, dans le sud de la Russie, le 3 mai 2017-AFP/Archives / Alexander NEMENOV

La Turquie et la Russie s’approchent d’un accord pour le premier achat d’armes majeur d’Ankara à Moscou, inquiétant les alliés de la Turquie au sein de l’Otan, même si cet accord pourrait bien ne jamais aboutir.

Selon des responsables turcs et russes, tout est prêt pour la signature d’un accord sur l’achat par la Turquie de systèmes de défense antiaérienne S-400 à la Russie, le plus important jamais conclu par Ankara avec un pays extérieur à l’Otan.

Mais malgré des déclarations confiantes, l’accord n’a toujours pas été officiellement signé.

Les observateurs restent sceptiques sur la probabilité que la Turquie reçoive réellement ces armes, certains estimant que le message envoyé à l’Occident par ces négociations compte plus que l’acquisition elle-même.

Le Pentagone a déjà tiré la sonnette d’alarme, affirmant sobrement que « généralement c’est plutôt une bonne idée pour des alliés d’acheter du matériel qui opère ensemble ».

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a pointé du doigt son voisin grec, également membre de l’Otan, qui dispose de S-300 russes, initialement achetés par Chypre à la fin des années 1990 puis transmis à Athènes pour éviter toute escalade de tensions sur l’île divisée.

Mécontentement 

Dmitry Shugaev, patron du Service fédéral de la coopération militaro-technique russe, a déclaré au quotidien Kommersant que l’accord était « presque conclu » avec seulement quelques « subtilités » à résoudre.

Les Etats-Unis « peuvent s’indigner mais la Turquie est un Etat indépendant et peut décider par elle-même », a-t-il estimé.

Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, se dit « très sceptique » sur l’aboutissement de l’accord.

Moscou est mal à l’aise avec le transfert de technologie et de lieux de production demandés par la Turquie, affirme-t-il, ajoutant que la Russie connaît une accumulation de demandes à la fois pour ses propres forces et pour son important client chinois.

« Moscou et Ankara utilisent cette histoire politiquement pour montrer leur mécontentement respectif à l’Occident », explique Delanoë.

Les relations de la Russie avec l’Otan sont en crise depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et le soutien apporté à des séparatistes pro-russes en Ukraine.

Et tandis que la Turquie reste un membre-clé de l’Otan, ses liens avec les Etats-Unis sont particulièrement tendus du fait de la décision américaine de soutenir des milices kurdes syriennes considérées comme « terroristes » par la Turquie pour lutter contre le groupe Etat islamique (EI).

« Ankara est tenté d’utiliser (la question des S-400) parce qu’il a été profondément contrarié par la coopération américaine avec les Kurdes syriens », estime M. Delanoë.

Pour Timur Akhmetov, expert de la Turquie au Conseil russe des affaires internationales, les discussions sont un moyen efficace pour la Russie de promouvoir ses systèmes d’armement et éroder la confiance entre membres de l’Otan, tandis qu’ils permettent à la Turquie de montrer qu’elle a le choix dans ses relations stratégiques.

« Plus les discussions sur les S-400 durent, mieux c’est pour les intérêts respectifs de la Turquie et de la Russie », estime M. Akhmetov.

Défiance mutuelle 

La tenue même de telles discussions est lourde de sens sur l’évolution des relations entre Moscou et Ankara: celles-ci se sont sensiblement réchauffées ces derniers mois, après une grave crise diplomatique causée par la destruction d’un bombardier russe par Ankara au-dessus de la frontière syrienne en novembre 2015.

Moscou et Ankara restent, du moins sur le papier, opposés dans le conflit syrien, puisque la Russie soutient le régime de Damas tandis que la Turquie soutient les rebelles.

Mais les deux Etats compartimentent leurs relations sans laisser leur rivalité régionale vieille de plusieurs siècles polluer des domaines de coopération potentiellement fructueux.

Cependant, les analystes considèrent que les discussions sur les S-400 sont loin d’indiquer une alliance stratégique majeure.

« La seule chose qui rapproche la Turquie et Moscou est leur intention de faire pression sur leurs relations respectives avec l’Occident », estime M. Akhmetov.

M. Delanoë, lui, estime que « les deux partenaires ne se font pas confiance », mais qu’en admettant leur défiance mutuelle, « ils ont construit un partenariat géo-économique principalement fondé sur l’énergie » avec des travaux en cours sur le gazoduc TurkStream afin d’extraire du gaz russe de la mer Noire.

Selon une étude de Can Kasapoglu du Center for Economics and Foreign Policy (Edam), la Turquie souhaite également obtenir ces armes pour renflouer sa défense aérienne et compenser la pénurie de pilotes qualifiés du fait des purges qui ont suivi le putsch manqué du 15 juillet 2016.

Si la Turquie obtient les S-400, deux membres de l’Otan, la Grèce et la Turquie fonctionneraient avec des armes russes, risquant le même « cercle vicieux » dans lequel sont plongés les ennemis arménien et azerbaïdjanais, tous deux armés par la Russie, selon Kasapoglu.

Source : AFP

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