Le journaliste a été arrêté fin juillet, accusé de « participation à un groupe terroriste ». Sa situation, inédite, traduit un nouveau pas d’Erdogan contre la liberté d’informer.

Après avoir muselé la presse turque, Erdogan chercherait-il à intimider la presse étrangère ? Le 26 juillet dernier, un journaliste français, Loup Bureau, 27 ans, a été arrêté dans le sud-est du pays au poste frontière de Habur, situé entre l’Irak et la Turquie. Il a été incarcéré à Sirnak, le 1er août, et est sous le coup d’une accusation grave : participation à un groupe terroriste. En cause, dans l’ordinateur du jeune homme, un reportage, pourtant diffusé par TV5 Monde en 2013, où il donne la parole à des combattants kurdes de l’YPG, considérés comme « terroristes » par le pouvoir. La situation de Loup Bureau est inédite et dangereuse, alertent ses avocats et son comité de soutien : il risque des années de prison. Pis : cette semaine, les autorités ont annoncé leur décision de l’envoyer dans une prison à Van, à neuf heures de route de Sirnak, ce qui rendrait sa défense difficile, voire impossible à préparer. Le tout dans un silence (très) prudent des autorités françaises, dénoncent ses appuis.

Il a été arrêté lors d’un contrôle de routine

« Caméra en main, je voudrais raconter l’histoire des populations oubliées, opprimées, qui n’intéressent plus grand monde », raconte Loup Bureau en présentation de sa page du Bruxelles Bondy Blog. Passionné par le grand reportage, il ne cesse de se former depuis ses 18 ans : après un BTS audiovisuel à Montaigu, puis un IUT à Lannion, il est actuellement étudiant en master à l’Institut des hautes études des communications sociales, à Bruxelles. Depuis cinq ans, raconte son père, Loïc Bureau, dans Ouest France, « il part l’été sur une zone de conflit pour réaliser des reportages en free lance ». Le 17 juillet dernier, il est allé à nouveau à la rencontre des Kurdes. Pour son avocat, Me Martin Pradel, joint par téléphone, « il a sans doute voulu retourner sur les lieux de son reportage de 2013, pour retrouver les personnes filmées et voir ce qu’elles sont devenues ». Il a été arrêté lors d’un contrôle de routine. Et incarcéré, juste sur la foi de ces images, pourtant très factuelles, diffusées voilà quatre ans. « Manifestement, le simple fait de parler de cette situation, même sans critique, revient aux yeux de la Turquie à faire l’apologie du terrorisme, s’agace l’avocat. Ce qui, au passage, laisse comprendre à quel point les journalistes turcs aujourd’hui emprisonnés sont en très grand danger. » Car il n’est reproché à Loup Bureau « ni d’avoir franchi illégalement la frontière, ni d’avoir séjourné illégalement, ni d’exercer sans carte de presse ». Ce qui n’était pas le cas d’Olivier Bertrand, le cofondateur du site les Jours, incarcéré en Turquie en novembre dernier, ni même du photoreporter Mathias Depardon, en mai, qui, devenus indésirables sur le sol turc, « étaient détenus en centre de rétention avant leur expulsion », sans « être poursuivis pour des faits criminels et délictueux ».

Grâce à son père, qui s’est directement inquiété de son silence sur les réseaux sociaux et de l’absence de mouvements sur son compte bancaire, le Quai d’Orsay a été vite alerté. Et trois avocats assurent sa défense. Martin Pradel note que « ses conditions de détention ne sont pas mauvaises ». Il reçoit la visite, tous les deux jours, de son avocat turc, son seul contact extérieur, qui lui amène médicaments (il est asthmatique) et livres. Cela pourrait être gravement remis en cause si le transfert vers la prison de Van devait s’effectuer, contribuant à l’isoler.

Au cœur de l’été, un comité de soutien, composé d’« amis très proches » et de camarades de ses trois formations, s’est constitué, raconte Clémentine, qui en est membre. Le collectif a mis en ligne deux pages sur Facebook : « La page officielle où nous relayons toute l’actualité et les différents articles concernant notre ami et une page reprenant toutes les idées des internautes, amis, volontaires. C’est une mine d’informations car elle permet une dynamique de tous les instants. On travaille aussi en lien avec ses avocats et sa famille. Nous avons aussi des contacts chez Reporters sans frontières et les syndicats de journalistes pour organiser des actions », dit-elle. Depuis l’annonce de son transfert, le comité a lancé sur Twitter une action « destinée aux ministres et aux députés français, qui n’ont fait aucune communication officielle à ce sujet », grâce au #FreeLoupTurkey. Dix députés et huit personnalités ont répondu. La pétition en ligne (1) a recueilli 18 000 signatures en quelques jours, et le comité espère les 25 000 d’ici à la fin de la semaine. « Elle sera remise en temps voulu aux autorités turques, au ministre de l’Intérieur turc, Süleyman Soylu, et au ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian », précise Clémentine.

Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères belge, Didier Reynders, a saisi son homologue français, a-t-on appris hier par un communiqué officiel. Me Pradel a aussi été contacté par des députés belges. « Les citoyens voient très bien qu’il se passe quelque chose de très grave. Leur capacité à se mobiliser en plein mois d’août est remarquable », insiste-t-il. Il regrette en revanche le silence du gouvernement français, et dénonce « une espèce de timidité vis-à-vis de la Turquie. Il n’est pas question de tourner le dos à ce pays, qui reste un partenaire commercial, diplomatique, militaire, géopolitique de la France. Mais nous n’avons pas à renoncer à nos propres valeurs. Pour le moment, nous sommes otages de nos accords commerciaux ». Ce vendredi, s’achève la seconde semaine de détention de Loup Bureau.

Source : L'Humanité

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