Avec « Sur mes yeux », l’auteur Elie Guillou et ses collaborateurs nous offrent une fenêtre sur le Kurdistan, ses troubles et les différentes façons de les aborder par ceux qui les subissent. Une fable, un conte orchestré, fictif, qui plonge ses racines dans la réalité des évènements passés, toujours d’actualité.

 Comment on se retrouve à écrire une pièce de théâtre sur le Kurdistan ?

Je suis parti au Kurdistan en 2012, pour rencontrer les dengbejs, les chanteurs-conteurs kurdes. C’était à Diyarbakir, en Turquie. Je ne connaissais rien de la situation politiques des Kurdes. Une fois sur place, j’ai assisté à la violente répression de l’Etat turc sur la population. Ce que j’ai vu m’a choqué. En revenant en France, j’ai voulu partager mon émotion, mon urgence. Mais lorsque je parlais, quelque chose ne passait pas. Je voyais, dans les yeux de mes amis, une sorte… d’indifférence. Pour eux, c’était une tragédie de plus à ranger dans la case “nouvelle terribleaux côtés de tout ce que l’on voit à la télé, dans les journaux. Pour soulever chez eux une émotion comparable à la mienne, il fallait mettre en forme, donner de la chair aux histoires : il fallait écrire. Seulement j’ai mis quatre ans avant de me mettre à écrire. Pendant ces quatre ans, j’ai voyagé en Irak, en Turquie, en Syrie. Il fallait plonger dans le voyage pour comprendre et pour tenter d’écrire quelque chose de juste.

On retrouve beaucoup de retenue, de suggestion dans le spectacle…

Il y a plusieurs raisons à ça. Mon tempérament, d’abord. Je suis bavard mais pudique. Ensuite, il me semble que l’imagination du spectateur est l’outil le plus puissant qu’un artiste ait à sa disposition, surtout un conteur. Il n’est pas nécessaire de peindre tout le tableau. Juste les lignes principales. Par exemple, quand je décris la cour de Jiyan, je dis juste qu’il y a un mûrier et une fontaine. Et chacun imagine une cour très précise dans sa tête. Chacun une différente. Une femme m’a dit, « J’ai tout vu ! J’ai senti des odeurs. J’ai vu le désert. » Bon, il n’y a pas de désert à Diyarbakir mais peu importe ! Cette appropriation des éléments par le spectateur les implique émotionnellement dans ce que je raconte. Ils sont auteurs à leur tour. La dernière raison à cette retenue, c’est le sujet même du spectacle : la guerre et la paix. Qu’est-ce que la guerre au Kurdistan peut dire à la paix dont nous sommes issus, en France ? Mes retours de voyage étaient toujours difficiles parce que je traversais ce tourment-là. Tu es dans un endroit plombé par le malheur, tu prends un avion et quelques heures plus tard, tu es place de la République où de petits jeunes bien peignés boivent des sodas en ayant l’impression de lutter contre Daesh. Au début, je leur en voulais. Car notre paix, sur le plan politique est d’un égoïsme honteux. Ce que l’on fait aux migrants… On est l’un des pays les plus riches au monde et nous ne sommes pas capable d’apporter un peu d’aide à ceux qui fuient la guerre ? C’est criminel. Si c’est ça, la paix… Bref, peu à peu, j’ai appris à accepter cette réalité : dans un endroit il y a guerre, dans l’autre il y a la paix. C’est comme ça. Ces jeunes qui boivent des sodas en pensant lutter contre Daesh, ils sont complètement largués. Mais c’est tant mieux. Il y a une beauté à cette innocence. Leur sottise est magnifique. Au fond, la paix, même égoïste, vaut mieux que le reste. Pour rejoindre la question que tu m’as posé, la suggestion, c’est que je veux ouvrir les yeux du spectateur mais pas lui déverser sans filtre cette glue stérile qui s’appelle le malheur.

Qu’est-ce que ça représente pour toi ce spectacle ?

Beaucoup de choses évidemment. Sur le plan esthétique, déjà, je suis très content de cette sobriété collective que l’on a trouvé avec tous les collaborateurs. Ensuite, sur le plan politique, j’ai l’impression que le public ressort ému et concerné. C’était le but. J’espère qu’en lisant les nouvelles sur les bombardements à Afrin, les gens qui ont vu le spectacle seront un peu plus attentifs. Ça n’est pas grand-chose mais c’est ma contribution.

Ce qui t’as le plus marqué au Kurdistan ?

Tant de choses ! Des grandes et des petites. La grande, c’est que je n’ai jamais entendu personne me dire « les Turcs, on veut leur peau ! » Pas une seule fois. Les gens disent « on veut être tranquille, on veut la paix. » L’autre grandeur, c’est la rencontre avec de jeunes femmes combattantes en Syrie. Elles se sacrifiaient sans n’avoir rien connu de la vie. Ou si peu. Elles allaient vers la mort pour une idée vague : la liberté, la paix, l’égalité. C’est dur à comprendre pour un Français. Et en même temps, j’ai vu dans ce sacrifice quelque chose de très élevé. Que peut-on faire de plus ? Moi qui ne regardait jamais les monuments aux morts dans les villages français (ça faisait partie du paysage, c’était de la pierre avec des noms), j’ai commencé à comprendre la dette que l’on avait envers ces gens qui se battent pour nous. J’ai écrit un texte là-dessus qui s’appelle « Au front ». Il se termine par ces lignes : « Ces jeunes femmes et hommes ne se battent pas pour la gloire – il n’y a plus aucune gloire à ramasser dans cette guerre là – ils se battent en silence, perdus dans la plaine syrienne, pour que d’autres regards, dans l’arrière-pays, conservent à jamais la vacuité des jours de paix.»

Elie Guillou : auteur – conteur | Babx : compositeur | Grégory Dargent : compositeur  El Geretly : Regard extérieur – mise en scène | Pierrick Hardy : guitare – clarinette | Julien Lefèvre : violoncelle | David Neerman : piano | Noémie Zabrano : assistante à la mise en scène | François Legeait : photo affiche | Christophe Hamery : graphiste | Cécilia Galli : scénographe | Juliette Romens : création lumière | Dylan Guillou : Production, administration.

Pendant toute la durée des spectacles, une exposition de François Legeait est accrochée dans la galerie du théâtre. En 22 clichés noir et blanc, le photographe retrace l’évolution de la situation kurde au Moyen-Orient entre 2012 et 2016.

Les prochaines représentations auront lieu :

Le jeudi 25 janvier à 20h au théâtre Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure 94200 Ivry sur Seine

Le vendredi 26 janvier à 20h au théâtre Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure 94200 Ivry sur Seine

Le samedi 27 janvier à 20h au théâtre Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure 94200 Ivry sur Seine

Le mercredi 7 février à 20h à la Maison du développement culturel, 16 rue Julien Mocquard 92230 Gennevilliers

Le jeudi 8 février à 20h à la Maison du développement culturel, 16 rue Julien Mocquard 92230 Gennevilliers

A noter que le vendredi 26 janvier, la journaliste Laura-Maï Gaveriaux (Le Monde Diplomatique, Orient XXI, France Inter, Les Echos, actuellement en processus d’écriture d’un livre…) interviendra après le spectacle pour parler de la situation des Kurdes aujourd’hui.

http://theatredivryantoinevitez.ivry94.fr/

http://www.ville-gennevilliers.fr/313/maison-du-developpement-culturel-mdc.htm

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