Accueilli en tant que représentant du peuple kurde, Eyyup Faruk Doru était l’invité d’honneur de l’assemblée générale des Amitiés kurdes de Bretagne, samedi 10 septembre, à laquelle a assisté Mme Ghania Boucekkine, présidente de la Maison internationale de Rennes. Mme Flavie Boukhenoufa, adjointe à la maire de Rennes, chargée des relations internationales et de l’odonymie, était excusée. Faruk, adhérent des AKB depuis la première heure, était en quelque sorte dans son jardin et, après avoir brossé le tableau de la situation des Kurdes dans les quatre parties du Kurdistan, a répondu longuement à la question qui taraude les esprits : les élections législatives et présidentielles qui vont se dérouler en 2023 en Turquie, vont-elles changer la donne ?

Le président R.T. Erdogan et le gouvernement néo fasciste AKP-MHP qui ont amené le pays à la ruine vont tout faire pour garder le pouvoir. Nous nous attendons à un coup de force du pouvoir en place qui veut dissoudre notre parti, le HDP (Parti démocratique des peuples), deuxième force d’opposition au Parlement, avec confiscation des biens, et rendre inéligibles les responsables actuels. Mais nous sommes déjà prêts à la riposte.

Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place

Ahmet Türk, militant et élu politique kurde depuis 1973, l’avait déjà annoncé :

« Le HDP, ce n’est pas le premier de nos partis qui se retrouve face à une menace de fermeture, huit de nos partis ont été fermés. Aujourd’hui, il y a déjà sans doute près de 10 000 membres en prison. Des députés, mais aussi des présidents de sections régionales, ou d’arrondissements, des militants… De nombreuses personnes sont en prison. Mais bien que de nombreux responsables du parti soient mis en prison, ils sont vite remplacés. Le pouvoir vide le parti, mais il y a à chaque fois tout de suite de nouveaux membres qui prennent leur place et poursuivent les activités. »

Faruk confirme et analyse calmement la situation, avec la force de conviction d’un militant et cadre de haut niveau, déterminé mais lucide :

« Nous sommes la 3° force politique en Turquie et nous allons former une alliance entre le HDP et 5 formations de gauche en vue des élections générales turques de 2023 : le Parti de la liberté sociale (TÖP), le Parti du mouvement ouvrier (EHP), la Fédération des assemblées socialistes (SMF), le Parti des travailleurs de Turquie (TİP) et le Parti travailliste (EMEP). »

Dans un communiqué, les six formations politiques ont notamment déclaré, à l’issue d’une rencontre qui s’est tenue le 25 aout dernier :

« Nous sommes conscients de notre responsabilité historique et sommes déterminés à agir en conséquence. Notre alliance est composée de ceux qui résistent aux politiques anti-sociales du gouvernement AKP-MHP. Notre alliance travaillera pour une démocratie forte basée sur la souveraineté populaire, pour une solution pacifique et démocratique à la question kurde, pour l’égalité et la liberté des femmes, des jeunes et des groupes défavorisés. Nous lutterons ensemble pour la protection de la nature et de nos biens culturels. »

« Nous allons envoyer au Parlement 100 à 120 députés »

Avant de glisser en aparté « nous allons envoyer au Parlement 100 à 120 députés, » Faruk, qui croit en la victoire des forces démocratiques, met en garde l’opinion internationale : « Le président Erdogan et le gouvernement néo fasciste AKP-MHP, qui ont besoin d’une grand victoire militaire et politique pour espérer garder le pouvoir, vont tout faire pour créer des alliances douteuses, pour déstabiliser le Rojava, l’Irak, voire d’autres pays comme la Grèce. Les dernières provocations turques contre ce pays ont d’ailleurs amené la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, à déclarer que la France respectera son accord de défense mutuelle et viendra en aide à la Grèce en cas d’attaque. Le langage de la fermeté est celui qui convient quand on a affaire à un dictateur. »

Rencontre avec Frédéric Mathieu, député

Frédéric Mathieu, nouveau député élu de la 1ère circonscription d’Ille et Vilaine, celle où se trouve le siège social de l’association, a répondu à notre invitation de partager le pot de l’amitié à l’issue de cette assemblée générale. Ce fut l’occasion de le remercier de son intervention à la commission de la Défense de l’Assemblée nationale le 26/07/2022 (« En préalable, en ce qui concerne le chantage turc sur les Kurdes, on ne peut pas se contenter de dire que le PKK est sur la liste des organismes terroristes. Le mouvement politique auquel j’appartiens milite pour le retrait (du PKK) de cette liste. On ne peut pas scinder les choses suivant le côté de la frontière, on est sur un continuum de peuple, de revendications politiques, de combats, et on ne peut pas, on ne peut pas rejeter le Kurde dès qu’il est d’un côté de la frontière, en Turquie, et l’applaudir lorsqu’il se bat avec nous, contre Daesh. Non, ce n’est pas possible. »). Frédéric Mathieu a pris le temps de voir et d’écouter : une exposition de photos, commentée par Tony Rublon et Gaël Le Ny, président et vice-président de l’association, a donné une image de nos activités et de nos préoccupations. Le stylo « Hülya Alökmen Uyanık » remis au député nous a permis d’évoquer le grave problème anti-démocratique qui perdure en Turquie et le flyer « Une rue pour Rojbin » a donné l’occasion à Eyyup Faruk Doru de rappeler la mémoire de cette militante sauvagement assassinée à Paris. Faruk nous avait écrit :

« Mon amie ‘Rojbîn’ Fidan Dogan et ses collègues Sakine Cansiz et Leyla Söylemez ont été sauvagement tuées par les services secrets turcs à Paris. Rojbîn avait travaillé avec moi à Paris et à Bruxelles, en particulier au Parlement européen et au Conseil de l’Europe. C’était une personne très proche, d’une grande humanité, se consacrant aux problèmes sociaux de notre communauté dans la capitale française et une grande défenseuse des droits des femmes. Elle était notre représentante en France. J’étais à Bruxelles le 9 janvier 2013 quand je lui ai parlé au téléphone, 15 minutes avant qu’elle ne soit tuée… son dernier appel de son vivant. Le 17 janvier, le jour de son anniversaire, son corps est arrivé à Diyarbakir ; plus de deux cent mille personnes l’attendaient. »

« La France reste convaincue qu’une solution politique à la question kurde est la seule qui soit viable à long terme », a écrit le 15 juillet 2021 JY Le Drian, alors ministre des Affaires étrangères. Nous avons redit à Frédéric Mathieu que nous sommes d’accord avec cette position, en ajoutant : « pour une paix juste et durable », mais que nous sommes las des tergiversations du quai d’Orsay qui se retranche hypocritement derrière cette fausse allégation que le PKK serait une organisation terroriste. Notre position est claire : la paix passe par une négociation entre belligérants ; nous exigeons que la France fasse pression sur Erdoğan pour le contraindre à ouvrir les négociations que les Kurdes appellent de leurs vœux depuis de nombreuses années.

Nous avons redit à Frédéric Mathieu que nous avons été surpris d’apprendre qu’une personnalité kurde comme M. Remzi Kartal, président de Kongra-Gel, organisation considérée comme l’aile politique du PKK, dont la place est incontournable à la table d’une négociation, n’avait jamais été reçu par les autorités françaises.

Eyyup Faruk Doru a redit à Frédéric Mathieu sa disponibilité pour favoriser toute initiative allant dans le sens d’une paix juste et durable.

André Métayer

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