Incarcéré depuis 18 ans sur l’île-prison d’Imrali au nord-ouest de la Turquie, le dirigeant du PKK, Abdullah Ocalan a été mis au secret depuis plus d’un an par le gouvernement d’Erdogan. Au moment où va être lancée une nouvelle campagne internationale pour sa libération, entretien avec son avocat, Me Ibrahim Bilmez.

Imrali, au sud de la mer le Marmara. C’est sur cet ilot totalement isolé de 8 kms de long sur 3 de large, qu’est détenu depuis 1999 le fondateur et chef du Parti des travailleurs du Kurdistan ( PKK ), Abdullah Ocalan, après qu’il ait été enlevé au Kenya au cours d’une opération menée par les services secrets turcs, américains et israéliens. Condamné à mort en le 29 juin 1999 pour avoir dirigé une organisation armée, Ocalan verra sa peine commuée en prison à vie en 2002 lorsque la Turquie abolit la peine de mort dans la perspective des négociations pour son adhésion à l’Union européenne. Depuis, Erdogan parle régulièrement de la rétablir. Plusieurs rapports d’Amnesty International et du Comité européen pour la prévention de la torture ont régulièrement dénoncé ses conditions de détention et les agressions psychologiques dont Abdullah Ocalan serait l’objet.

Entretien avec son avocat, Ibrahim Bilmez.

Qui a vu pour la dernière fois Abdullah Ocalan et comment se porte-t-il ?

Ibrahim Bilmez. La dernière fois que nous avons pu le rencontrer, c’était en 27 juillet 2011. Depuis aucun de ses avocats n’a pu le voir. En septembre 2016, son frère, Mehmet Ocalan, a pu lui rendre visite, mais avec ses avocats, il n’y a pas eu de rencontre depuis plus de 6 ans. Entre 2011 et 2016, une délégation du HDP ( Parti démocratique des peuples, ndlr ) a pu lui rendre visite dans le cadre du processus de négociation et de paix qui était en cours entre Abdullah Ocalan, le PKK et l’Etat turc. A ce moment là, il y avait aussi une délégation de l’Etat turc ainsi que des dirigeants et des hauts fonctionnaires des services de renseignement turcs, qui allaient le voir régulièrement pour parler du processus de paix, et parmi eux, le plus haut fonctionnaire des renseignements.

Mais depuis 13 mois, personne n’a pu rencontrer Abdullah Ocalan et nous n’avons aucune information sur lui.

Selon vous, est-ce que les conditions de détention d’Ocalan se sont aggravées depuis un an ?

I.B. Oui, bien sûr. Le fait que plus personne ne puisse lui rendre visite ni sa famille, ni le HDP, ni ses avocats, est déjà une aggravation considérable de ses conditions de vie. De 2013 à 2015, quand le processus de dialogue était en cours, la délégation du HDP pouvait voir Ocalan et se rendre ensuite au Q.G du PKK ( Parti des travailleurs du Kurdistan, groupe armé kurde en guérilla contre la Turquie depuis 1984, ndlr ) pour faire avancer les discussions. A ce moment là, la délégation du HDP, l’Etat turc et Ocalan étaient autour de la même table pour que le processus de paix avance le mieux possible. Mais à partir de fin 2015, ça a commencé à dérailler petit à petit.

Ce qui est très important, c’est que ce processus de négociations n’était pas secret. Toute l’opinion turque, la presse turque, la presse internationale, étaient au courant du déroulement des négociations entre l’Etat et le PKK. L’opinion publique turque soutenait ce processus et il n’y avait vraiment pas d’opposants à ce dialogue. C’était une solution, et tout le monde était bien conscient que le problème entre le PKK et la Turquie pouvait se résoudre de cette manière là.

Dans quelle situation juridique se trouve aujourd’hui Abdullah Ocalan ?

I.B. Il est condamné à la prison à perpétuité. Donc durant toute sa vie, il sera en prison, et il n’a pas du tout la possibilité de pouvoir transformer sa peine en autre chose, ou de pouvoir sortir. Normalement, la peine de prison à vie n’existait pas en Turquie. C’est après 1999, quand Ocalan a été incarcéré sur l’île d’Imrali, que la loi instituant la prison à vie est entrée en vigueur. Avant son arrestation, il y avait une condamnation qui était appelée « à vie », mais à cette époque là, on ne restait en fait que 30 ans en prison. Après l’enlèvement d’Ocalan et son retour en Turquie, cette peine a été réellement transformée en peine de prison à vie.

En quoi l’île prison d’Imrali déroge aux principes européens des droits de l’homme ?

I.B. Ce que nous attendons de l’Europe, c’est que le Comité de prévention de la torture ( CPT )(1) aille visiter à nouveau Ocalan. Depuis 1999, ils y sont allés 7 fois, et à chaque fois, ils ont fait des rapports dans lesquels ils ont bien précisé que les conditions de détention d’Abdullah Ocalan n’étaient pas conformes aux normes internationales. Par exemple, sa cellule ne voyait pas le soleil et elle était trop petite ( 13 M2 .) Ils ont également dit qu’il fallait que ses avocats et que sa famille puissent lui rendre visite régulièrement.

Le seul problème, c’est que la Turquie n’a jamais appliqué les rapports du CPT.

La dernière visite du Comité de prévention de la torture, c’était il y a un an et demi, et le règlement veut que pour que le Comité puisse rendre public son rapport, il faut l’accord de la Turquie. Et pour le moment la Turquie refuse de donner son accord. C’est pour cela que depuis un an et demi, nous ne savons pas ce que contient ce rapport, ni ce que sont les conditions de vie d’Abdullah Ocalan. Nous, nous pensons que dans ce rapport, il y a beaucoup de critiques contre les conditions de détention d’Ocalan, ce qui explique pourquoi la Turquie ne veut pas qu’il soit rendu public.

Une nouvelle campagne pour la libération d’Abdullah Ocalan va être lancée au niveau international. Que va-t-elle mettre en avant ?

I.B. La chose la plus importante à comprendre, c’est que pour résoudre la question kurde, pour trouver une solution au conflit, il faut que ça passe par la libération d’Ocalan. Abdullah Ocalan est un leader kurde, c’est un représentant du peuple kurde et pour trouver une solution pacifique à cette question, il faut le libérer. La libération d’Ocalan et la question kurde sont liées. »

(1) Le Comité de prévention de la torture est un organe du Conseil de l’Europe qui vise à prévenir les cas de torture et autres traitements inhumains ou dégradants dans les Etats qui sont signataires de la Convention européenne pour la prévention de la torture, ce qui est le cas de la Turquie et des 47 états membres du Conseil de l’Europe.

Source : Humanité

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