Dans le sud du Kurdistan, en Irak, un camp d’irréductibles kurdes tient tête aux dictateurs et aux intégristes de tout le Moyen-Orient. Réfugiés dans leur propre pays, venus du nord du Kurdistan, ils ont construit un laboratoire de la démocratie pour tout le Moyen-Orient, une utopie est née à quelques dizaines de kilomètre de Mossoul. Mais comment cela est possible ?

Au début des années 90, l’État turc a mené une politique de nettoyage ethnique de grande ampleur en rasant des milliers de villages kurdes. Beaucoup d’entre eux fuient dans le Kurdistan du sud, en Irak, qui vient juste d’acquérir son autonomie de fait. Certains de ces Kurdes voulaient pratiquer une forme de démocratie communale qui ne portait pas encore le nom de confédéralisme démocratique. Ils fondent un premier camp. Ils s’en font chasser rapidement. Il s’ensuit un exode où ils seront déplacés 8 fois de leur emplacement jusqu’à leur arrivée à Mexmûr (lire ‘Makhmour’)  en1998. Lâchés là, en plein désert parce que les autorités alliées à la Turquie espéraient qu’ils y mourraient de soif, de faim et désespoir.

Mais leur détermination en a décidé autrement, sous un soleil de plomb, les réfugiés ont fait venir de l’eau là où il y n’y avait que sécheresse, ils ont fait pousser des cultures là ou il n’y avait que du sable, ils ont construit des maisons là il n’y avait que désert, ils ont organisé une démocratie là il n’y avait que dictature, ils ont propagé une idéologie féministe là il n’y avait que patriarcat, ils ont érigé une nouvelle société là où il n’y avait rien.

Mexmûr est un processus méconnu, inédit et fort d’enseignement. Une délégation du groupe Initiative pour un Confédéralisme Démocratique s’y est rendu et a exploré le camp pendant une semaine. Une semaine où nous avons rencontré, et observé le fonctionnement des communes, des assemblées, des institutions, des hommages aux morts, des combattants, des coopératives. Ses vies en mouvement se battent jour après jour pour leur projet écologique, démocratique, féministe et socialiste.

Commençons par un premier exemple. En France, quand vous avez une amende, la contester est un parcours du combattant devant une justice très procédurière et bureaucratique. Héritage du droit romain, des avocats aux tarifs élevés pour les plus démunis d’entre nous vont étudier la loi pour trouver les failles. Système doté d’aucune éthique et favorisant les plus riches, il écrase la masse des gens. A Mexmûr, il en est autrement.

Lors d’une coordination de commune, où siégeaient majoritairement des femmes, élues par leur assemblée, l’une d’entre elles s’est insurgée contre une amende pécuniaire à l’encontre d’un des jeunes membres de sa commune. On lui a rétorqué qu’il avait eu cette amende parce qu’il avait construit un mur à un endroit qui n’était pas autorisé. En réponse, elle a expliqué qu’il avait effectivement fauté mais que cela ne méritait pas une amende municipale. On lui répondit que cette amende avait été validée par l’assemblée générale du camp et que c’était cette dernière et non la municipalité qui avait prononcé l’amende. La représentante a fini par répondre qu’elle reposerait le problème en Assemblée générale pour trouver une autre solution au conflit et que c’était son droit de contester.

En somme, c’est la démocratie qui tranche sur un conflit et tout membre peut contester les décisions prises par la communauté, même quand cette dernière a déjà voté et pris une décision. Et ce n’était que le début de notre voyage.

Par Raphaël Lebrujah

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