Ismaïl, au camp de Lavrio (Grèce).

Camp de Lavrio, Lavrio, Grèce Ismaïl a 32 ans. Plusieurs de ses frères et soeurs ont rejoint le PKK. Lui et ses parents ont été régulièrement emprisonné. En 2010, il vait déjà reçu l’asile politique en Suisse pour échapper à un procès monté de toute pièce, qui finira par un non lieu. Son père était un distributeur du journal d’opposition kurde Özgür Gündem. En 2014, celui-ci a été assassiné par des membres de daesh, qui ont envoyé une vidéo à Ismaïl pour revendiquer le meurtre et lui dire qu’il serait le prochain sur la liste. La police turque n’a rien voulu faire. Puis la répression a repris, le passeport d’Ismaïl a été confisqué. Sa famille l’a supplié de prendre la fuite. Il a du laisser derrière lui sa femme et ses 3 enfants. Il attend maintenant depuis plusieurs mois un moyen de rejoindre des proches dans un autre pays d’Europe.

Ismaïl a 32 ans. Il est marié, avec trois enfants.

« Je suis originaire de la région de Siirt. En 1993 notre village a été brûlé par l’armée turque. On a été forcé d’aller vivre à Adana. Nous ne savions pas parler turc donc ça a été très difficile pour nous économiquement. Au fil du temps, nous avons participé aux activités politiques à Adana, pour plusieurs raisons mais surtout parce que nous étions sensible à la question kurde. Mon père,Kadri Bagdu vendait le journal «  Ozgur Gundem » , il a été menacé des dizaines de fois, qu’on le tuerait s’il continuait. En 1990, ma sœur a rejoint la guérilla, en 1995 mon grand frère est parti. La police a intensifié ses menaces. En 2003, ma petite sœur a rejoint la guérilla. Ils m’ont incarcéré plusieurs fois et m’ont laissé. En 2006, ma mère, ma grand-mère, ma belle-sœur et moi avons été emprisonnés en même temps pendant 3 mois.  Après avoir été libéré, quelques temps après j’ai encore été emprisonné pendant 5 mois. Suite à ma libération, ils ont pris mes parents. Ma petite sœur de 13 ans, ils l’ont arrêté plusieurs fois, elle n’a pas supporté la pression, elle a rejoint la guerilla. En 2014, le 10 octobre, les nationalistes turcs ont attaqué notre quartier, couverts par la police : « attaquez, nous vous supportons ». C’était la période de la guerre à Kobanê, durant ces combats, les attaques de la police et des nationalistes se sont intensifiées sur les kurdes en Turquie. 56 personnes ont perdu la vie, et parmi eux mon père.

Un matin alors que mon père distribuait les journaux, un homme cagoulé sur une moto a tiré 6 fois sur mon père et l’a tué. Pendant 3 jours nous avons attendu devant l’hôpital soutenus par une foule de personnes qui aimaient mon père. C’était un homme respecté, parce qu’il a lutté pendant 20 ans. Plus de 30 000 personnes ont participé à ses funérailles. Nous avons voulu savoir qui avait fait ça et nous avons trouvé. Daesh m’a envoyé une vidéo de Raqqa, le membre était de notre quartier. Il m’a donné des noms. J’ai donné la vidéo à la police, ils ont rien fait. Dans la vidéo ils m’ont dit qu’ils voulaient également me tuer. Mais la police n’a jamais réagi parce qu’ils nous aiment pas. Dans la vidéo, ils nomment 50 personnes à tuer et le premier était mon père. Nous avons trouvé les responsables mais l’Etat ne nous a pas soutenu.

Camp de Lavrio, Lavrio, Grèce
Camp de Lavrio, Lavrio, Grèce

Ensuite les incarcérations ont repris. En 2015, mon frère était à Til Temir près de Qamislo, il a voulu que je vienne le visiter. Je l’ai vu, il était très fatigué, parce que les combats étaient très intenses. Mon oncle a un fils a Mexmûr, on lui a donc rendu visite ainsi qu’à ma sœur à Kandil. J’ai rencontré Ahmet là-bas. J’ai vu ma sœur, mon cousin. Ahmet nous accompagnait en tant que chauffeur, et on s’est retrouvé à Lavrio. C’est le destin. Nous sommes 3 fils de martyrs dans la même pièce. Nous avons de bons souvenir.

En 2010, la police a voulu m’incarcérer pendant 13 ans. Ils ont organisé une fausse plainte avec un enfant de 11 ans. Le juge montre en photo à l’enfant mon visage, l’enfant lui répond qu’il ne me connait pas. Le procureur lui demande comment il sait autant de chose sur une personne qu’il ne reconnait pas. Malgré cela, ils ont voulu m’incarcérer. J’ai parlé à l’enfant, je lui ai demandé pourquoi il fait ça. Il m’a répondu que c’est la police qu’il lui a demandé. Je l’ai dit au procureur, il m’a dit qu’on allait quand même m’emprisonner. J’ai fait appel à la Suisse pour m’exiler là-bas, au bout de 8 mois la réponse a été favorable. Je suis resté 1 an en Suisse. Pendant ce temps, mon dossier a été clos en Turquie parce qu’il n’y avait pas assez de preuve à mon encontre. J’ai donc voulu rentrer au pays, parce que j’avais ma femme qui était seule. Dans tous les cas, je ne voulais pas rester en Suisse uniquement pour profiter.

Demain, je ne sais pas ce qu’il va se passer parce qu’il n’ y a plus de justice. Ils me menacent à chaque fois avec mes anciens dossiers. Ma famille a eu peur qu’on me tue, alors ils m’ont dit de partir. C’est pour ça que je suis venue. L’Etat a mis la main sur mon passeport. C’est pour ça que je suis venu. Cela fait 6 mois que je suis ici (ndlr : dans le camp de Lavrio en Grèce). Ce n’est pas pour la vie de luxe que je suis ici, c’est pour la sécurité de ma famille, de mes enfants. Je ne veux pas que mes enfants meurent, qu’ils soient emprisonnés. »

Camp de Lavrio, Lavrio, Grèce

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