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Selahattin Demirtaş, ancien coprésident du Parti démocratique des peuples (HDP).

« Nous sommes en réalité les otages d’un enchaînement de pressions et de décisions politiques qui nous visent, parce que nous constituons un obstacle à l’édification du pouvoir autocratique instauré en Turquie », clâme Selahattin Demirtas dans une lettre qu’il a adressée à son éditrice, Emanuelle Collas, en lui demandant de la publier dans le journal Le Monde. Rojinfo publie à son tour cet appel à la solidarité internationale lancé par l’ancien président du HDP.

Je vous fais parvenir cette lettre par l’intermédiaire de mes avocats, depuis le Centre pénitentiaire de haute sécurité d’Edirne, où je suis détenu en toute illégalité depuis maintenant deux ans. Le 4 novembre 2016, 12 députés et moi-même avons été arrêtés au mépris des lois. Tout ce que l’on nous reproche, ce sont les propos que nous avons tenus et publiés dans la presse. Nous sommes en réalité les otages d’un enchaînement de pressions et de décisions politiques qui nous visent, parce que nous constituons un obstacle à l’édification du pouvoir autocratique instauré en Turquie. À ce jour, près de 5 000 personnes liées à mon parti, le HDP (Parti démocratique des peuples), ont été arrêtées pour les mêmes raisons. Nous sommes actuellement 58 maires et 9 députés à être incarcérés dans la même prison.

Pas moins de 122 enquêtes ont été ouvertes à mon encontre au cours des deux dernières années. 47 d’entre elles ont entraîné l’ouverture d’un procès. Certains procès demeurent en suspens, mais 19 sont en cours. Je ne dois mon incarcération qu’à l’un d’eux, et les propos que j’ai tenus alors me font encourir une peine de 150 années de prison. J’ai déjà été condamné, il y a peu, à une peine de 4 ans et 8 mois de prison ferme, lors d’un procès motivé par un discours en faveur de la paix que j’avais prononcé cinq ans plus tôt dans le cadre du processus de paix avec les Kurdes. Ce discours avait alors été salué par l’ensemble de la presse internationale comme un « grand message de paix ». Hélas, cinq ans plus tard, il s’est vu requalifier de « propagande terroriste ». Le jugement est actuellement pourvu en cassation.

Le 20 novembre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que mon emprisonnement était de nature politique et a ordonné ma libération immédiate, ce à quoi Recep Tayyip Erdoğan, président de l’AKP (Parti de la justice et du développement) et président de la République, a rétorqué qu’il ne prendrait aucune décision de cet ordre. Dans la même journée, une autre haute juridiction a lancé la procédure permettant de confirmer ma condamnation à 4 ans et 8 mois de prison ferme. Mon procès principal n’avance que très difficilement à cause des pressions politiques. De plus, diverses manœuvres en tous genres sont ourdies dans l’urgence afin d’empêcher ma libération.

À l’époque où j’étais moi-même avocat des droits de l’homme, j’ai reçu de nombreuses lettres appelant à un soutien tel que celui auquel j’appelle aujourd’hui. Dans mon travail pour Amnesty International et l’Association turque des droits de l’homme, j’ai fait tout mon possible pour venir en aide aux personnes qui avaient besoin de moi. Aujourd’hui, c’est mon tour de vous demander soutien et solidarité en faveur de notre liberté d’expression, de notre droit à nous engager en politique, de notre identité kurde, de notre sécurité personnelle, et contre ces discriminations que nous subissons publiquement. C’est donc avec foi en la solidarité internationale ainsi qu’en la vie elle-même que je souhaite vous voir faire tous les efforts en votre pouvoir pour défendre la démocratie et la liberté.

Le 12 décembre prochain débuteront les audiences de mon procès, qui doivent durer trois jours. Je tiens beaucoup à ce que vous les suiviez, où que vous soyez, et que vous fassiez retentir à cette occasion un cri de soutien et de solidarité, de toutes vos forces.

Mes avocats, quoi qu’il arrive, vous tiendront informés de la suite des évènements.

Je garde une foi inébranlable en la démocratie, la liberté et la paix.

Je vous prie de croire à mes plus chaleureuses salutations et j’espère vous revoir un jour.

Amicalement,

Selahattin Demirtaş

Ancien coprésident du Parti démocratique des peuples (HDP)

Edirne (Turquie), le 24 novembre 2018, Centre pénitentiaire de haute sécurité

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