L’annonce du retrait des troupes états-uniennes, par le président Trump, en opposition avec sa propre administration, est un revers majeur pour le bloc occidental. La décision risque de renforcer la Turquie dans sa marche vers la guerre et la Russie et l’Iran comptent bien en profiter au détriment des populations locales livrées aux massacres.

Après l’affaire russe, l’affaire turque ?

La décision a de quoi surprendre à plus d’un titre. Le retrait états-unien revient à laisser la Turquie se charger de Daech, alors que son soutien à l’organisation djihadiste pendant des années, dans l’objectif de nuire aux Kurdes et à l’état syrien, est un secret de polichinelle. Peut-on laisser le soin à un islamiste radical de gérer des djihadistes ?

Les États-Unis se privent d’un levier contre l’Iran, mais aussi contre les « débordements » de son allié turc dans la région. Un départ signifie une plus grande liberté d’action pour l’Iran, qui est connu pour avoir été aidé par la Turquie afin de contourner l’embargo états-unien avant la reprise des négociations sur le nucléaire. C’est également mettre en difficulté ses alliés européens qui vont subir une pression turque d’autant plus grande qu’elle pourra les menacer de vagues de migrant-e-s, lesquelles seront encore plus nombreux-ses si l’intervention turque voit le jour. Plus encore, cela constituera aussi une menace d’attentats terroristes de grande ampleur avec un réservoir de djihadistes recyclés comme nous avons pu le constater pendant l’offensive d’Afrin. En définitive cela revient à renforcer Daech et sa politique.

Les raisons invoquées par les États-Unis pour justifier leur départ sont les suivantes : une annulation de la vente des S-400, arme anti-aérienne de dernière génération, par la Russie à l’armée turque et pour la remplacer, un contrat juteux de leur équivalent états-unien impliquant le rétablissement de la livraison des F-35 au profit de l’état turc. Un motif interne a également été avancé. Trump chercherait à satisfaire son électorat qui est de plus en plus réticent face à des interventions des États-Unis dans la zone. Tous ces arguments n’ont pas convaincu le ministre de la défense, le général Mattis qui a démissionné sur le champ. Il refuse de laisser leurs alliés, les FDS à la merci de la Turquie mais aussi de laisser dans une situation délicate les alliés occidentaux.

Une grande confusion règne après cette annonce, dont nous allons pouvoir mesurer le sérieux au vu des nombreux revirements de Donald Trump. L’état français et l’état britannique ont indiqué qu’ils resteraient. L’état d’Israël a manifesté son inquiétude car un tel départ le fragilise dans sa lutte contre l’Iran. Des médias prosaoudiens évoquent la possibilité d’une intervention saoudienne sur place. L’état irakien risque de nouveau de se retrouver exposé, la Turquie ayant largement facilité le transit d’armes et de produits pour l’industrie d’armement de Daech. Même les autorités du Kurdistan irakien d’habitude alignées sur les positions turques ont manifesté leur mécontentement.  Visiblement tous les alliés des États-Unis dans la région, à l’exception de la Turquie, sont en opposition avec la décision de Trump. Les États-Unis n’en sortiront pas indemnes en terme de crédibilité. En agissant de la sorte ils ne font que satisfaire les ambitions d’un dictateur turc qui est un danger pour les minorités du Nord de la Syrie et pour son propre peuple. Trump sera-t-il jugé un jour pour complicité de crime contre l’humanité ? Surtout que l’administration états-unienne déclarait il y a encore peu par la voix de John Bolton, conseiller à la sécurité à la maison Blanche, que les États-Unis ne se retireront pas de Syrie prochainement :  « Nous ne partirons pas tant que les troupes iraniennes resteront à l’extérieur des frontières iraniennes, ce qui vaut également pour les milices iraniennes en Syrie. ». Brett Mac Gurk, envoyé spécial des Etats-Unis dans la lutte contre Daech également démissionnaire suite à la décision de Trump, affirmait récemment : « Un retrait américain serait dangereux si nous disions juste “le califat est défait, nous n’avons plus qu’à partir”. » 

Une partie de l’explication pourrait aussi se trouver dans les démêlés judiciaires de son ancien conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn. Beaucoup ont évoqué ses liens supposés avec Poutine mais beaucoup moins avec Erdogan.Les Turcs auraient offert à Michael Flynn 15 millions de dollars au maximum pour livrer Fethullah Gülen au gouvernement turc en utilisant un avion privé pour le transporter jusqu’à l’île-prison d’Imrali. Ainsi deux associés de Flynn viennent d’être mises en examen dans le cadre de l’enquête pour leurs liens supposés avec avec l’état turc. La Turquie, moins exposée que la Russie, aurait encore des entrées pour influencer Trump ? On peut se poser la question au vu de la détermination de Donald Trump à aller à l’encontre de sa propre administration et de tous ses alliés. Surtout que contrairement à ses propres déclarations, Daech n’est pas vaincu.

Militairement et territorialement, l’organisation est très affaiblie. Mais maintenant commence la phase la plus importante pour la réussite d’une opération après l’intervention, celle de la stabilisation. Elle n’a fait que commencer, son but étant l’éradication des djihadistes. Cela passe par des mesures de contre-insurrection, la reconstruction de la zone et une solution politique avec les différents acteurs locaux.

Quelles perspectives ?

Le plan initial était un retrait progressif au profit de l’état français qui devait reprendre petit à petit le contrôle du dossier avec le soutien états-unien. Cette perspective s’est éloignée, bien qu’elle ne soit pas impossible. Trump pourrait éventuellement céder pour laisser la France gérer le dossier sous pression de son administration. Si l’armée turque intervient au Rojava, il n’y a qu’à regarder le précédent d’Afrin pour savoir ce qui attend les populations du Nord de la Syrie : des combats acharnés et sanglants, un nettoyage ethnique de masse avec l’expulsion de la population d’origine de sa région, les minorités yézidis et chrétiennes sommées de se convertir, les viols et kidnappings des femmes pour des mariages forcés ou l’esclavage sexuel, la charia comme norme de vie, le remplacement des populations kurdes par des familles de djihadistes majoritairement arabes, la constitution d’un refuge pour des terroristes en quête d’attentats, une nouvelle crise des réfugié-e-s. Des alternatives à ce scénario sont possibles, selon la façon dont vont agir l’Iran, la Russie et l’état syrien qui se verraient bien partager le « gâteau » avec la Turquie. Mais dans ce cas, l’avenir semble tout aussi sombre pour le Rojava, à moins que ces derniers décident de changer de stratégie.

La réalité est que le Rojava ne peut compter que sur lui-même comme l’ont déclaré ses dirigeant-e-s. Par conséquent, le meilleur moyen est de mobiliser l’opinion publique française et internationale contre cette intervention turque, notamment pour obtenir la création d’une éventuelle no fly zone comme le réclame les autorités kurdes. Le pire dans cette situation serait l’indifférence face à un risque majeur de crime de guerre et de crime contre l’humanité. La meilleure manière de contribuer à stopper la menace d’invasion turque est une mobilisation suffisamment forte afin de faire réagir les états.

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