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Des dizaines de véhicules transportant des civils faisaient la queue pour sortir de la région d'Afrin, le 12 mars 2018. © AFP

Le Haut-commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies a récemment publié un rapport dans lequel il passe en revue les nombreuses violations des droits humains commises contre les populations civiles dans les régions du nord de la Syrie occupées par la Turquie, avec un focus sur Afrin. Nous partageons ci-dessous avec nos lecteurs quelques extraits de ce rapport traduits de l’anglais.

STRUCTURES DE GOUVERNANCE

« Après l’établissement initial de l’autorité des forces turques et des groupes armées affiliés sur Afrin, les représentants des services publics, juges inclus, ont été remplacés et les structures de gouvernance, altérées. À Afrin, comme effectué précédemment dans les districts d’al-Bab, d’Azaz et de Jarabulus, les structures de gouvernances ont été nommément remises au “Gouvernement intérimaire syrien”, basé en Turquie. Les structures de gouvernance locales existantes ont été remplacées par un conseil local établi par la Turquie, initialement nommé “Conseil de Salut d’Afrin”. Une “police civile” locale (entraînée et équipée par la Turquie) a été déployée dans la ville d’Afrin le 24 mai. Elle est censée être composée des deux communautés, arabe et kurde, issues d’Afrin et d’autres régions en Syrie. Un ressortissant syrien a également été désigné par les officiels turcs pour agir en tant que juge en charge des affaires juridiques à Afrin. Cette personne doit se rendre depuis la Turquie à Afrin régulièrement car elle ne peut pas y demeurer pour des raisons de sécurité. La Turquie maintient néanmoins sa surveillance sur ces structures de gouvernance. Deux ressortissants turcs ont été chargés par le vali (préfet) du district turc du Hatay de remplir les fonctions de préfet à Afrin et de lui en rendre compte directement. Un de ces deux valis se rend à Afrin tous les deux jours et ce pour quelques heures, avant de retourner dans le Hatay avec un rapport sur la situation sur le terrain.

ABUS ET VIOLENCES DANS LES REGIONS SOUS CONTRÔLE DES FORCES TURQUES ET DES GROUPES ARMEES D4OPPOSITION AFFILIES

La situation des civils dans les régions sous contrôle des forces turques et des groupes armés d’opposition affiliés opérant sous leur contrôle demeure sous-évaluée, en dépit de sérieuses craintes s’élevant au regard de leur sécurité et bien-être. Dans des zones telles que Afrin, al-Bab, Azaz et Jarabulus, la sécurité reste volatile, avec les autorités de facto actuellement incapables ou échouant à assurer l’ordre public et la sécurité (une situation exacerbée par les conflits entre différents groupes armés, rendue encore pire avec l’arrivée de nouveaux combattants issus d’autres groupes armés, en provenance d’autres régions de Syrie dont la Ghouta orientale).  

Des sources à Afrin ainsi que d’autres dans le gouvernorat d’Alep-Nord rapportent au Haut-commissariat aux Droits de l’Homme des Nations-Unies (HCDH) qu’il y a un niveau élevé de crimes violents avec des civils victimes de vols, de harcèlement, d’enlèvement et de meurtre. Le HCDH continue de recevoir des affirmations de discrimination contre les civils perçus comme sympathisants ou comme ayant des liens avec les forces kurdes. 

Ordre Public et Sécurité 

Les informations reçues par le HCDH font état d’un désordre et d’une criminalité rampante commis par les groupes armés dans les zones sous le contrôle des forces turques et des groupes armés opérant sous leur contrôle dans le nord de la Syrie. Ces rapports incluent des cas de vol, de harcèlement, de traitement cruel et d’autres abus et occasionnellement de meurtre, perpétrés en particulier par la Division Sultan Murad, laquelle est composée principalement de combattants turkmènes ; la Division Hamza, constituée de quatre groupes armés d’opposition qui combattaient auparavant sous la bannière de l’Armée syrienne libre (ASL) dans la ville de Marea, proche d’Alep, jusqu’en 2016 ; et Ahrar al-Sharqiya, dont le gros des forces provient du gouvernorat de Deir ez Zor. 

Le HCDH a aussi recensé une augmentation des affrontements armés entre différents groupes censés être sous le contrôle des forces turques. Ces affrontements ont un impact sérieux sur les civils, entraînant notamment des morts et des blessés. Des civils ont informé le HCDH qu’un certain nombre de membres de ces groupes armés d’opposition opérant dans la région sont d’anciens criminels locaux, trafiquants ou dealers de drogue bien connus. 

De plus, les conflits entre différents groupes armés ont été exacerbés par l’arrivée, avec l’approbation de la Turquie, de nouveaux combattants issus de groupes tels que Failaq al-Rahman ou Jaish al-Islam et leurs familles en provenance d’autres régions syriennes. Ces arrivées se sont faites soit grâce aux “accords de réconciliation” passés dans des zones telles que le Ghouta orientale, soit après la fuite de ces familles suite à un accueil hostile de la part d’Hayat Tahrir al-Sham dans le gouvernorat d’Idlib. 

Le 6 mai, un affrontement armé a éclaté dans le centre-ville d’al-Bab, densément peuplé de civils, entre les hommes d’Ahrar al-Sharqiya qui avaient participé à l’opération “Bouclier de l’Euphrate”, et ceux d’Ahrar al-Sham, qui aurait été renforcés par des combattants d’Azaz et de Jarabulus. Les violences sont survenues quelques heures après le meurtre supposé de dix hommes, réfugiés originaires du gouvernorat de Deir ez Zor, récemment arrivés à al-Bab en compagnie d’autres déplacés internes originaires d’al-Qalamoun, zone rurale du gouvernorat de Damas. Les dix civils auraient été assassinés d’une balle dans la tête à un check-point installé par des membres armés de la famille al-Waki (qui bénéficie de liens étroits avec certains groupes armés) à proximité du rond-point d’al-Center. Les rapports reçus par le HCDH ont confirmé que plusieurs check-points avaient été établis à la suite de cet événement par Ahrar al-Sharqiya et Ahrar al-Sham à partir desquels ils ont échangé des coups de feu et ont imposé des restrictions de déplacement aux civils. Les fusillades ont causé la mort de trois civils, dont une femme. 19 autres ont été blessés, dont un nombre non confirmé de femmes et d’enfants. 

Le HCDH confirme aussi les rapports de pillage de propriétés, qu’il s’agisse de maisons, de magasins ou d’installations gouvernementales et militaire ; la confiscation de propriétés immobilières ou foncières par des combattants de divers groupes armés affiliés à la Turquie. Le pillage à grande échelle semble avoir lieu immédiatement après la prise de contrôle d’une zone, bien que les rapports qui continuent d’être reçus font état de pillages continus au quotidien, en particulier les véhicules et les équipements agricoles. 

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Le HCDH a recensé au moins onze cas d’enlèvements de civils, dont des femmes et des enfants. Certains ont été relâchés plus tard après avoir payé des rançons s’étalant de 1000$ à 3000$ alors que le sort des autres demeure inconnu. 

Discrimination

Le HCDH continue à recevoir des rapports faisant état de discriminations exercées à l’encontre des civils et en particulier des Kurdes d’Afrin par les autorités de facto. 

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De nombreux civils cherchant à retourner dans leurs maisons les ont trouvées occupées par des combattants (de groupes affiliés à la Turquie) et leurs familles qui ont refusé de les rendre à leurs propriétaires de droit. D’autres civils ont raconté avoir retrouvé leur maison pillée ou sérieusement endommagée. Le HCDH s’inquiète de ce que permettre à des populations arabes d’occuper les maisons appartenant aux Kurdes ayant fui les combats empêche dans les faits le retour des Kurdes dans leurs foyers. Cela pourrait constituer une tentative de changer de manière permanente la composition ethnique de la région. 

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Le HCDH confirme que le district d’Afrin a été divisé en “carrés de sécurité” parmi les différents groupes armés soutenus par la Turquie, dont Jaish al-Islam et Failaq al-Sham, récemment arrivés dans la ville. Chaque “carré de sécurité” contient plusieurs quartiers, chacun tenu par un groupe armé spécifique qui établit plusieurs check-points autour de ces zones pour contrôler les mouvements des civils. 

La périphérie du district d’Afrin resterait sous le contrôle direct des militaires turcs, maintenu par un réseau de check-points. Pour se déplacer entre les différents “carrés de sécurité” d’Afrin, les villages et les villes de la région, les civils doivent obtenir une autorisation écrite de l’armée turque ou du groupe en charge de la zone qui constitue leur point de départ, ainsi qu’une autre autorisation de l’armée turque ou du groupe armé en charge du point d’arrivée.

Le HCDH a reçu des informations sur le fait que les personnes originaires du district d’Afrin (et en particulier les Kurdes) sont soumises à des procédures de contrôle plus strictes et plus longues pour obtenir une autorisation de déplacement que les combattants déplacés internes (de Syrie) et leurs familles ou les nouveaux arrivants à Afrin d’autres région telle que la Ghouta orientale.

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Santé publique et hygiène

Outre le désordre ambiant qui a au moins affecté les opérations dans un hôpital d’al-Bab, il y a aussi des indications d’un grave manque d’accès à l’assistance humanitaire de base, notamment à Afrin. Actuellement, seules quelques ONG sont autorisées à accéder à Afrin (et toutes doivent être enregistrées en Turquie). Les ONG travaillant actuellement sur le terrain ne sont pas en mesure de répondre aux besoins humanitaires de toute la population. Il y a une augmentation des rapports au sujet de maladies résultant d’un manque d’accès à de l’eau propre. 

Ceux qui souffrent de sérieux problèmes médicaux sont pris en charge dans des hôpitaux à l’extérieur du district d’Afrin, que ce soit à al-Bab, Azaz ou Jarabulus. Des restrictions sont souvent imposées aux personnes cherchant à quitter les zones sous contrôle des forces turques ou des groupes armés affiliés pour obtenir une assistance médicale. Les patients sont souvent forcés de payer de grosses sommes au groupes armés en charge des check-points le long des routes pour pouvoir accéder aux soins dont ils ont besoin. (…)

Ensemble du rapport détaillé en anglais

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