Plus d’un demi-millier de véhicules se réunissent vers la petite ville de Rumailan, dans la région de la Djéziré, avant de bifurquer vers le sud. Ce matin du 18 août, le convoi progresse lentement sur une route fatiguée par des années d’abandon du régime syrien auxquelles ont succédé celles de la guerre. Venues de toute la Syrie du Nord, plusieurs milliers de personnes accompagnent Mam Zekî Shingalî dans son dernier voyage vers le Sinjar. À la suite de son assassinat par la Turquie, son corps avait été rapatrié à Derîk. La caravane de pick-up et minivans où flottent de nombreux drapeaux est un chaos organisé où chacun se double avant d’être à son tour dépassé par le véhicule doublé quelques kilomètres plus tôt. La police routière est aussi présente et tente de faire régner un semblant d’ordre. 

Le parcours est hautement sécurisé par les asayishs et surtout les combattants de Jaysh al-Sanadid (l’Armée des Braves), ralliés de la première heure aux Forces démocratiques syriennes. Le convoi traverse le territoire tenu par ce groupe armé arabe de la puissante tribu Shammar. Les voies menant à la route empruntée par le cortège sont bloquées, autant pour ne pas le perturber que pour prévenir le risque redouté d’attentat. La population des localités arabes traversées, où les véhicules roulent au pas, se presse au bord de la route pour saluer Mam Zekî et ceux qui l’accompagnent, l’index et le majeur fièrement dressés.

Bientôt les villages se font de plus en plus rares, seul le vert de quelques cultures brise la monotonie d’un paysage de plus en plus aride. Après deux heures et demie de voyage, un ultime check-point des asayishs. Tout le monde tourne à gauche, sur une piste qui slalome entre les maigres reliefs d’une terre devenue désert. Au loin, on devine la silhouette des monts Sinjar. La frontière n’est plus très loin. Elle est atteinte une heure plus tard.

Le convoi s’arrête net, bloqué par deux Humvees de l’armée fédérale irakienne à deux ou trois cents mètres du poste-frontière. Certaines personnes présentes dans les minivans et pick-up descendent pour aller voir ce qu’il se passe, d’autres restent à l’intérieur pour se protéger de la chaleur du désert. Du côté irakien, on peut apercevoir des dizaines de personnes affluer vers la frontière pour forcer la main aux soldats qui ne sont pas disposés à laisser passer les véhicules qui suivent l’ambulance transportant Mam Zekî. Trois ou quatre heures d’attente et de discussions qui parfois s’enveniment. Les autorités d’Irak restent inflexibles. Aucun passe-droit ne sera accordé à ceux qui accompagnent une figure emblématique de la résistance du Sinjar vers sa dernière demeure. Les règles d’État qui l’emportent sur la compassion et l’humanité. Le convoi venu de Syrie du Nord ne pourra se rendre au cimetière de Sinjar où sera enterré Mam Zekî. 

Vers 17 heures, il est finalement convenu de sortir le cercueil de l’ambulance à hauteur des deux Humvees et de le transporter à pied jusqu’à la frontière où un autre véhicule l’attend. La foule est autorisée à faire de même, maigre consolation. Au milieu de nulle part, elle hurle sa peine, appelle à la vengeance contre la Turquie fasciste. Sous le structure en taule qui sert de point de contrôle, le cortège funèbre s’arrête, reprend son souffle le temps de quelques paroles. Elles rappellent le combat de Mam Zekî, une lutte qui doit être poursuivie, au nom de la justice, de la liberté et de l’égalité entre les peuples. Quelques dizaines de mètres séparent la foule de l’ambulance qui recueillera le commandant, ultimes foulées vers le Sinjar pour accompagner celui qu’elle n’oubliera jamais. 

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