​L’agence Anadolu, l’AFP turc, a annoncé la venue du président turc Recep Tayyip Erdogan à Paris les 10 et 11 Novembre pour le forum pour la paix dans le cadre des commémorations de la première guerre mondiale. Au vu de l’évolution de la Turquie ces dernières années, on ne peut qu’être stupéfait par cette venue. Le président turc n’a pas cessé de réprimer l’opposition, les journalistes, les minorités, les femmes. C’est un pays qui fait la guerre et qui a envahi des territoires syriens. Comment accorder sa place à un dictateur dans des commémorations pour la paix au moment même où il mène en Syrie et dans son propre pays une guerre. 

​Erdogan est l’homme des purges: plus de 150 000 fonctionnaires depuis la tentative de putsch de juillet 2016, tout le monde dans sa nouvelle dictature doit marcher au pas derrière le chef de l’État. La Turquie est devenue la plus grande prison au monde pour journalistes. Les députés de l’opposition du HDP, seul véritable parti respectueux des minorités et de la démocratie, sont emprisonnés, à commencer par les deux co-présidents du parti. Les militants sont arrêtés en masse à leur tour.

​Erdogan s’enfonce dans un islamisme de plus en plus délétère, les écoles publiques sont remplacées par des écoles religieuses appelées « imam hatip », où on l’apprend aux enfants un islam guerrier et conquérant. Les garçons doivent se battre pour leur patrie et les filles doivent faire des enfants,  comme l’ont montré les cérémonies où les garçons sont endoctrinés à reproduire les cérémonies des « martyr ms » en prenant la place des morts au combats.

​Erdogan est l’homme qui a déclaré après les attentats de Charlie Hebdo que les caricaturistes sont des terroristes au même titre que leurs assassins en ajoutant que « les langues qui insultent notre prophète soient coupées ». Il a procédé à des prières en mémoire des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly pour qu’ils « soient reçus en martyrs au paradis ». Il déclare régulièrement, bien souvent avant des attentats, que l’Europe, en soutenant les terroristes, faisant ici référence aux Kurdes syriens des YPG/YPJ qui combattent Daech que la France soutient, va à son tour subir des attentats terroristes. Toujours dans le même registre, les services de renseignements néerlandais viennent de déclarer que Daech se réorganise en Turquie en vue de faire des attentats en Europe. Et Aykan Erdemir, ancien député turc, d’ajouter: « Les tribunaux turcs ont fait leurs preuves en matière de traitement indulgent envers les djihadistes, ce qui contraste nettement avec le traitement sévère infligé aux dissidents laïques, aux journalistes et aux universitaires. » Comme je l’écris dans mon livre récemment paru, « Comprendre le Rojava dans la guerre civile syrienne », « un lien intime unit Daech à la Turquie. »

​Erdogan a, dans son propre pays, rasé des villes entières pour mater les révoltes de la minorité kurde de Turquie. Il ne reste presque rien des villes comme Sirnak (60 000 habitants), Cizre (60 000 habitants), Nusaybin ( 100 000 habitants) ou encore le quartier de Sûr dans la ville de Diyarbakir (1 600 000), inscrit au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Il a relancé la guerre contre les populations kurdes et le PKK( Parti des Travailleurs du Kurdistan) pour s’allier avec les sphères les plus radicales de la politique turque : les « loups gris », des fascistes exerçant une violence sans limites contre les « races inférieures aux Turcs ».

​Erdogan a envahi illégalement des parties du territoire syrien, peuplées en majorité de Kurdes, comme à Afrin. Il a recruté des milices ouvertement djihadistes, souvent des anciens de Daech. Ces milices djihadistes massacrent les populations.  Elles kidnappent, violent, pillent et instaurent une société fondée sur la charia. Un nettoyage ethnique de grande ampleur est pratiqué, les familles de combattants djihadistes arabes expulsent les Kurdes pour prendre leurs maisons et leurs biens. Aujourd’hui, cette menace pèse sur les populations kurdes de toute la Syrie.

​Erdogan est un négationniste du génocide arménien et des Chrétiens d’Orient, génocide ayant eu lieu pendant la première guerre mondiale que nous allons commémorer le 11 Novembre. Cette guerre ne sera jamais vraiment finie en Turquie tant que ce pays ne fera pas un travail de mémoire sur un génocide qui a été réalisé au nom de la « nation musulmane » et « des Turcs ». Le président turc est un grand admirateur d’Abdülhamid II, dernier sultan Ottoman exerçant une autorité réelle sur l’empire. Il disait « la période, où nous collions à notre chair ceux qui étaient d’une autre religion comme on agrège des viandes hachés entre elles, est finie. Nous ne pouvons accepter dans les frontières de notre État que ceux qui sont de notre nation et ceux qui partagent les mêmes croyances religieuses que nous. Nous devons renforcer l’élément turcique en Roumélie et en Anatolie, et surtout assimiler les Kurdes qui sont parmi nous pour qu’ils fassent partie [intégrante] de nous .»(1)

Comment tolérer une telle personne, représentant un tel État,  dans des commémorations pour la paix ? Erdogan ne veut pas de la paix, il veut la guerre. Il n’hésite pas à l’exporter en France comme le prouve les assassinats des trois femmes kurdes à Paris en Janvier 2013, sous les ordres de ses services secrets. Il n’est pas simplement en guerre contre les Kurdes et les minorités mais aussi envers les Français qui soutiennent les Kurdes, comme le montre son soutien aux terroristes, dont certains ont bénéficié d’une grande liberté pour traverser son territoire. Le soutien qu’il porte à Daech nous menace avec de nouveaux attentats meurtriers. Le choix de l’inviter à ces commémorations contribue à le rendre fréquentable, ce qui est inacceptable.

  1. Citation prise dans Histoire de la Turquie de l’empire ottoman à nos jours de Hamit Bozarslan aux éditions Tallandier P.236

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