Allons-nous vers un cinéma de la reconnaissance ? Après le film de  Zaynê Akyol, « Gulistan, terre de roses » et celui de Mylène Sauloy, « La guerre des filles », voici celui de Stéphane Breton, « Filles du feu », et, lors du dernier festival international de Cannes, a été présenté en compétition « Les Filles du soleil » de Eva Husson – qui malheureusement n’a pas tenu ses promesses. Mais quoi qu’il en soit, toutes ces œuvres ont pour protagonistes principales des combattantes kurdes.

Chacun selon un parti pris différent rend hommage à ces femmes qui luttent ou ont lutté (certaines ont été tuée) contre Daech. Zaynê Akyol, Mylène Sauloy et Stéphane Breton leur ont donné la parole sans recourir au filtre de la fiction. Eva Husson a préféré bâtir un récit imaginaire pour nous raconter l’histoire d’une commandante.

Alors que la situation s’est brutalement dégradée dans le canton d’Afrin du fait de l’agression turque et que Bachar al-Assad menace le Rojava, le cinéma s’efforce de révéler au grand public la place déterminante de ces jeunes femmes qui ont pris les armes poussées par la nécessité de faire face à un ennemi féroce et qui, en dépit des dangers encourus, se présentent à nous tout à la fois graves et joyeuses, intrépides et réfléchies.

Stéphane Breton est cinéaste, photographe, ethnologue et, lorsqu’il ne court pas le monde, il enseigne à l’Ecole des hautes études en science sociales. En tant que réalisateur, il est à la fois son propre preneur d’image et de son. Ce choix technique lui permet d’être au plus près de ceux qu’il filme, d’être présent avec discrétion et de recueillir non seulement leur propos mais aussi leurs émotions, conservant ainsi le temps réel des séquences et lui permettant de s’insérer dans la vie quotidienne de ses « sujets ». Son projet étant d’être un parmi les autres et pas un en plus des autres.

La première fois qu’il a bouclé ses bagages pour le Rojava, Stéphane Breton n’était pas un militant de la cause kurde. Il n’avait qu’une vague idée du projet de société porté par le PYD et ses alliés dans la Fédération du Nord de la Syrie. Pour tourner « Filles du feu », il est resté huit mois sur place, s’immergeant dans la guérilla et crapahutant avec celles et ceux qui la mènent. Il en a ramené des heures et des heures de  rushes dont il n’a conservé que 80 minutes. Mais quelles minutes !

D’emblée, excluant de poser des questions aux membres des tabors, Stéphane Breton a pris le parti de simplement les regarder et de les enregistrer, refusant de recourir à une voix-off pour expliquer ce qu’il voyait et ce qu’il voulait nous montrer. Il a ainsi fait l’économie d’un discours politique explicite. Pour autant, la façon dont le comportement des combattantes et combattants nous est révélé, traduisant une camaraderie de tous les instants, une égalité entre les hommes et les femmes qui conduit nombre d’entre elles à assumer des responsabilités ne laisse aucun doute sur ce que pourrait être le Rojava de demain, une fois la guerre terminée et toutes les menaces jugulées : un véritable espace d’épanouissement et de bienveillance – en particulier pour les nouvelles générations.

Le film est constitué de longs plans séquences qui permettent à chaque thème de se déployer sans entrave. Que ce soit le respect dû aux morts – y compris à ceux de l’ennemi – en chassant les chiens errants en train de déterrer les cadavres, la garde vigilante dans une casemate dressée sur un piton rocheux et ouverte à tous les vents, le récit douloureux du siège de Kobanê traversé par l’évocation des conditions dans lesquelles les camarades sont morts ou bien encore la démonstration d’une autorité douce mais efficace d’une commandante affairée à organiser un tabor partant sur la ligne de front, tout témoigne de la sympathie du réalisateur pour celles et ceux qui se battent pour une cause qui nous concerne tous, que l’on soit kurde ou non.

Comme Stéphane Breton a l’habitude de le déclarer, dans son métier d’ethnologue, il faut se dispenser de toute appréciation préalable et juger l’arbre à ses fruits. En parcourant le Rojava, en entrant en contact avec les très jeunes combattant·e·s qu’il a filmé, il a été conquis et son film est devenu une déclaration d’amour pudique pour un peuple en arme qui n’a qu’une envie, c’est de les déposer une fois tout danger écarté et de construire une société réellement nouvelle.

« Fille du feu » sera projeté à partir du 13 juin au cinéma Espace Saint-Michel et sera ensuite diffusé par ARTE, chaine qui l’a co-produit.

Par Jean Michel Morel juin 2018

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