Le dimanche 24 juin en Turquie se tiendront simultanément les élections législatives et présidentielles. À l’image des dernières échéances électorales, le HDP (Parti Démocratique des Peuples) est le seul parti à représenter une alternative réelle au mode de gouvernance actuel. 

S’il plie sous les coups de boutoirs autoritaires du gouvernement AKP devenus affaire personnelle d’Erdogan, le HDP ne rompt pas. Mieux, il demeure une force politique de premier plan en Turquie que personne ne peut ignorer, une prouesse que de nombreux partis n’auraient pu accomplir face à tant d’acharnement. Il persiste et signe, ne trahit pas ses idéaux, porté par une base électorale qui voit en lui son dernier espoir d’un avenir meilleur. Il sait pourquoi il se bat et sait combien cette lutte politique est vitale pour que la Turquie ne sombre pas définitivement dans l’obscurantisme à l’œuvre ces dernières années, bercé par le capitalisme économique et le retour du religieux dans l’espace public. Malgré une campagne électorale inéquitable, le Parti Démocratique des Peuples se tient debout et, avec lui, des millions de citoyens et de citoyennes de Turquie. 

La peur du vide démocratique est bien réelle, mais elle ne constitue pas une source d’inhibition. Depuis plusieurs semaines, chaque inauguration de QG de campagne du HDP rassemble plusieurs dizaines ou centaines de citoyen.nes, invitant les responsables locaux et candidat.es à l’investiture parlementaire à un meeting spontané. Arrestations et menaces ; comme cela a été le cas à Izmir il y a quelques jours où plusieurs militant.es ont été interpellé.es et du matériel saisi (dont un bus), d’un régime toujours plus autoritaire ne sauraient enrayer la ferveur populaire qui entoure le seul parti de gauche de Turquie présent aux élections présidentielles. 

Un.e candidat.e dans chaque circonscription

Avec les attaques répétées de l’appareil d’État turc à l’égard du HDP, on aurait pu craindre un affaiblissement de ses capacités organisationnelles et directionnelles. Son projet politique, qui accorde une importance de premier plan à une décentralisation forte du pouvoir, sera pourtant défendu dans chacune des 600 circonscriptions législatives amenées à composer la future Assemblée nationale turque. Parmi le candidat.es portant les couleurs du Parti démocratiques des peuples, 234 seront des femmes. Une telle représentation féminine sur la scène politique turque ne trouve pas d’équivalent dans les autres partis en lice aux élections. Il ne s’agit pas de choix par défaut ou de discrimination positive à l’égard des femmes. Seulement, face à la rhétorique genrée rétrograde d’Erdogan, le HDP est le parti qui présente le plus de garanties quant à la défense des droits élémentaires des femmes. Le système de co-présidence où chaque poste à responsabilité au sein du HDP et des organisations qui y sont liées est partagé par une femme et un homme en est l’exemple le plus flagrant.

Parmi les 600 candidat.es au poste de député.e, une majorité n’a jamais exercé de mandat électoral. Les inconvénients de l’inexpérience dans l’exercice de la fonction politique, qui ne devrait en aucun cas être un métier ou faire l’objet d’une carrière, sont compensés par une énergie imperméable à tout fatalisme. C’est par son enracinement local, sa prise en considération des particularismes sociaux, culturels ou religieux que le HDP se démarque des autres partis. Si l’on note par exemple dans la communauté alévie une forte hausse de la mobilisation en sa faveur, il en va de même dans les grandes métropoles de l’ouest du pays. 

Lors du seul et unique tour des élections législatives, le HDP espère constituer un groupe parlementaire d’au moins 80 député.es. Pour y parvenir, il devra passer le seuil des 10% de votes à l’échelle nationale, nécessaire pour entrer à l’Assemblée nationale turque. Si ces 10% ne sont pas atteints, la nouvelle loi électorale modifiée par et pour l’AKP prévoit que l’ensemble des votes qui n’ont pas atteint l’écueil mentionné ci-dessus soient reversés au parti majoritaire à l’issue de ce scrutin qui, selon toute vraisemblance, sera l’AKP… L’enjeu est donc énorme, conduisant un représentant du CHP (droite kémaliste) à affirmer que « l’entrée du HDP à l’Assemblée nationale était nécessaire afin de préserver l’équilibre démocratique parlementaire en Turquie. » 

De belles intentions et des souhaits louables mais avec l’hyper-présidentialisation du pouvoir exécutif et législatif à venir, l’Assemblée nationale turque n’aura désormais qu’un simple rôle consultatif. Si elle est acquise à l’AKP, elle ne fera qu’entériner les décisions du néo-sultan. Si l’opposition détient la majorité, il pourra aisément la contourner et faire valoir sa seule volonté.

Au-delà des murs

Les élections législatives ont donc leur importance, mais la nature du rôle présidentiel à venir, caractérisé par l’absence de séparation des pouvoirs, rend le vote présidentiel du 24 juin capital pour l’avenir de la Turquie. Investi par le HDP, Selahattin Demirtas est une allégorie de la situation traversée ces dernières années par les peuples de Turquie. Incarcéré depuis novembre 2016, poursuivi dans une quinzaine d’affaires judiciaires toutes plus délirantes les unes que les autres, il symbolise la seule alternative concrète à un système politique turc qui a amené le pays au bord du gouffre. Un temps évoquée par ses avocats, sa remise en liberté conditionnelle n’a pas été actée par l’équivalent turc du juge des libertés et de la détention, craignant que le candidat HDP n’en profite pour se réfugier à l’étranger. C’est donc depuis sa cellule de la prison d’Edirne qu’il aura fait la totalité de sa campagne électorale.

L’épaisseur des murs qui entourent Selahattin Demirtas n’empêche pas de mobiliser les foules et de faire passer son message politique. La défense et l’amélioration des droits fondamentaux ainsi que ceux des minorités sont les buts absolus de son programme et la démocratie radicale, le moyen pour y parvenir. Pour lui, comme pour l’ensemble du Parti Démocratique des Peuples, le pouvoir se doit de reposer entre les mains de la population. Celle-ci est la plus à même de définir ses besoins, elle a cette capacité à être son propre législateur. Cette démocratie radicale, du bas vers le haut, a été expérimentée avec succès dans une centaine de villes du sud-est de la Turquie jusqu’en 2016. Les décisions et impulsions politiques étaient données par la base populaire, mises en œuvre et coordonnées par les représentant.es élu.es. Ces conseils de quartiers, ces organisations locales autonomes au fonctionnement communaliste ont été violemment combattus par le pouvoir central d’Ankara incapable de reconnaître la volonté populaire de se gouverner par elle-même. L’État turc dessiné par Erdogan désire tout contrôler, faits et pensées de la population, comme il est de mise dans toute dictature qui se respecte.

Il est hors de question pour Selahattin Demirtas de revenir sur ces principes inaliénables. C’est la nature même du pouvoir en Turquie qu’il faut changer à terme, et cela passe dans un premier temps par faire barrage au despote en place. Une fois celui-ci écarté du pouvoir, c’est à la structure même de l’État turc qu’il faudra s’attaquer ; autrement, un.e autre partisan.e de l’autoritarisme prendra le relais. Tant que le système actuel perdurera, la souveraineté du peuple et sa liberté ne sauraient exister. 

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