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Sherwan Darwish, porte-parole du Conseil militaire de Manbij

Pour détourner l’attention publique turque d’une situation économique alarmante, le pouvoir AKP use de tous les artifices. Les médias qui lui sont assujettis servent une campagne de désinformation où Erdogan attise la fibre nationaliste en Turquie. Depuis sa libération par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) à l’été 2016, Manbij est au cœur de cette grotesque politique mensongère.

 Il y a quelques semaines, le ministre des Affaires étrangères turques Mevlüt Çavuşoğlu a annoncé avoir conclu un accord avec son homologue américain concernant Manbij. Côté turc, la satisfaction est de mise : les Etats-Unis ont accepté le principe d’un retrait des YPJ/YPG, colonne vertébrale des FDS, de leurs conseillers militaires, et la mise en place d’une administration locale sous 90 jours. Pour la Turquie, le retrait de Manbij de ces unités à majorité kurde qu’elle considère comme terroristes ouvre la voie vers la conquête tant espérée de ce carrefour stratégique du nord-syrien. Erdoğan a de quoi se réjouir car à l’heure actuelle, les YPJ/YPG ont déjà quitté la ville à majorité arabe.

« Après la libération de notre ville par le Conseil militaire de Manbij (CMM) et les YPG/YPJ (ndlr : composantes des Forces démocratiques syriennes), nous avons remercié ces dernières pour avoir participé à la libération, raconte Sheikh Faruk, co-président arabe du Conseil exécutif de Manbij. Elles sont parties fin 2016… La coalition le sait parfaitement et malgré tout, il y a eu ces discussions avec la Turquie. Nous attendons d’elle davantage de transparence. » Si cet accord vide de toute substance répond à une logique électoraliste de la part d’Erdoğan et de son parti (AKP), il suscite néanmoins des interrogations du côté de l’administration autonome locale, inquiète de voir les États-Unis dialoguer avec la Turquie. Elle aussi présente militairement à Manbij, la France a affirmé ne pas participer à ces échanges tout en assurant les populations locales de son soutien face aux velléités turques.

Conseil militaire de Manbij : « Nous défendrons Manbij, jusqu’au bout »

Par ailleurs, cet effet d’annonce oublie un peu vite que le pouvoir militaire repose entre les mains du CMM, issu de la population locale. Et celui-ci n’est pas du tout disposé à laisser la Turquie entrer dans la ville autogérée par ses communautés arabe, turkmène, kurde et circassienne. Pour Sherwan Darwish, porte-parole du Conseil militaire de Manbij, la situation est simple : « nous souhaiterions avoir de bonnes relations avec la Turquie, nous ne représentons aucune menace pour elle. Mais si elle nous attaque, nous défendrons Manbij jusqu’au bout. Nous sommes les enfants de cette ville, beaucoup de camarades ont donné leur vie pour elle. Il est impensable pour nous de l’abandonner. »

L’entretien qu’il nous accorde au quartier général du CMM est soudain interrompu par l’écran de télévision accroché au mur. Kurdistan24, média basé au Başûr en Irak, relaie l’information d’une agence de presse turque. Une unité de l’armée turque serait entrée dans la ville de Manbij… Dans la salle, c’est l’hilarité générale avant qu’elle ne laisse place au silence. Contacté par la chaîne kurde d’Irak, le commandant en chef du CMM, Mohamed Abû Edil, répond via Skype à un journaliste en plateau. Dans une sorte de mise en abyme médiatique, nous le voyons derrière son bureau rejeter avec calme les affirmations mensongères turques reprises ici et là. Quelques secondes plus tard, nous entendons l’écho de ses paroles à la télévision. Son interview finie, nous pouvons reprendre la nôtre avec le porte-parole.

« Cette désinformation turque est courante, elle fait notamment croire à des tensions communautaires à Manbij. Nous invitons la communauté internationale à venir constater la situation par soi-même. Il y a bien eu des mouvements de l’armée turque ce matin (ndlr : le 18 juin), le long de la ligne de front. Les Américains se sont montrés et nos forces ont accompagné celles de Turquie, chacun marchant de son côté de la rivière. C’était comme une balade », conclut en souriant Sherwan Darwish. La rivière à laquelle il fait référence, le Sacu, serpente à une quinzaine de kilomètres au nord de Manbij. Lorsque les médias turcs évoquent une présence de la Turquie et de son armée dans la ville ou dans la région, c’est à ces positions militaire qu’ils font référence. Une fois encore, celles-ci sont figées depuis l’automne 2016 et l’invasion par la Turquie de la région de Jarablus. Rien de nouveau, un non-évènement.
Association turkmène de Manbij : « La Turquie n’est intéressée que par ses intérêts »

Nous avons récemment passé toute une journée à Manbij et les affirmations faites ces derniers temps sur l’entrée des troupes turques dans la ville n’est simplement pas observable. Ce qui l’est en revanche, c’est l’absence de médias étrangers comme nous l’ont confié nos différents interlocuteurs. Parmi eux, l’Association turkmène (Türkmen Derneği) de Manbij. La présence de cette minorité dans le nord de la Syrie en général et à Manbij en particulier où elle représente 10 à 15% de la population, est un outil de manipulation de l’opinion publique pour le pouvoir d’Ankara.

Face aux ambitions de l’autocrate turc qui utilise les Turkmènes de Manbij pour légitimer ses visées sur cette ville multiculturelle, le président de l’Association turkmène, Fayiz Haydar, se montre catégorique : « si la Turquie est tant préoccupée par le sort de la communauté turkmène à Manbij, pourquoi n’est-elle pas venue nous protéger lorsque Daesh occupait la ville ? (…) Lors de l’invasion de la région de Jarablus et d’Azaz par les forces armées turques à l’été 2016, de nombreux Turkmènes ont fui cette zone. Encore récemment, un village turkmène a été bombardé par la Turquie… Nous savons très bien que la Turquie n’est intéressée que par ses propres intérêts. (…) Nous sommes un peuple de Syrie, nous n’avons rien à voir avec la Turquie. »    

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