Dorénavant, nous publierons toutes les semaines les bulletins écrits et traduits en français pour le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin. Celui-ci procure des informations sur la situation du Kurdistan syrien depuis Afrin (maintenant Shehba) et les autres régions du Rojava. Les bulletins informent à la fois sur la situation militaire, politique et humanitaire autour d’Afrin, sur les initiatives de solidarité exprimées à travers le monde ainsi que les prises de positions des différents acteurs politiques, qu’ils analysent.

Créé au début de l’offensive turque sur Afrin, le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin dispose d’un compte twitter, d’une chaîne Youtube et d’un site internet, où sont publiés les bulletins mais aussi des dossiers d’information écrits directement par le centre ou par différentes institutions du Nord-Syrie (Croissant Rouge du Kurdistan, TEV-DEM…) ; des analyses politiques de la situation ; des photos et vidéo documentant les crimes de guerre, la résistance populaire et témoignant du quotidien des populations d’Afrin, maintenant pour la plupart devenues réfugiées.

La plupart des informations sont en anglais mais des traductions régulières vers le  français sont effectuées, comme c’est le cas pour tous les précédents bulletins, que vous pouvez aussi trouver sur le site.

 

Les développements à Afrin 23-29 mars 2018

Introduction

Avec la défaite de l’Etat islamique en Syrie et particulièrement après la libération de Raqqa à l’Octobre 2017, l’Etat turc a intensifié ses menaces et attaques sur la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie. Dans ce contexte, la guerre d’invasion turque sur Afrin a commencé le 20 janvier, transgressant le droit international et la souveraineté de son pays voisin. L’armée turque a déclenché cette guerre en coopération avec des groupes djihadistes issus des rangs de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Beaucoup d’entre-eux sont des membres d’Al-Qaida ou de l’Etat islamique.

Les développements de la semaine passée à Afrin

Après 69 jours de résistance contre la deuxième plus grande armée de l’OTAN, des dizaines de milliers de personnes du canton d’Afrin sont toujours déplacées et font face à des conditions difficiles. L’armée turque et ses alliés djihadistes mettent en œuvre des politiques de nettoyage ethnique, d’assimilation et de colonisation, préparant l’intégration de la région d’Afrin au territoire de l’Etat turc. En même temps, des djihadistes ont été transférés de la Goutha à Afrin afin d’implémenter des transformations démographiques et installer un ordre politique islamo-turc. La résistance des forces YPG-YPJ dans tous les districts du canton d’Afrin se poursuit, ainsi que la résistance des personnes déplacées d’Afrin dans la région de Shehba. La Turquie a maintenant étendu ses menaces à la région de Til Rifat / Shehba, Minbij et Shengal (Sinjar).

Guerre et situation humanitaire

En raison des attaques menées contre le centre-ville d’Afrin par l’armée turque et ses alliés djihadistes, environ 300 000 personnes ont été déplacées. La plus grande partie est dans la région de Shehba et les conditions sont encore difficiles. Selon l’ONU, 167 000 personnes ont été déplacées [1]. Jusqu’à présent, à Shehba, le Croissant-Rouge du Kurdistan a enregistré 100 000 personnes, mais le nombre total devrait atteindre 160 000 personnes. Les réfugiés restants séjournent à Sherawa (canton d’Afrin), Noboul, Zehraa et Alep. Environ 1500 familles ont réussi à arriver à Minbij et un petit nombre jusqu’aux cantons orientaux de la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie [2]. Bien que les populations locales et l’auto-administration aient apporté une aide utile, des besoins urgents concernant l’hébergement, les soins médicaux, l’eau potable et le lait pour les nourrissons et les enfants n’ont pu être couverts. Le 24 mars, un autre convoi du Croissant-Rouge du Kurdistan est arrivé dans la région de Shehba pour aider les personnes déplacées d’Afrin.

La semaine dernière, la résistance contre l’occupation dans le canton d’Afrin s’est poursuivie. Entre le 22 et le 29 mars, les Unités de défense du peuple YPG et les Unités de défense des femmes YPJ ont conduit de nombreuses actions, comme dans la ville d’Afrin et le village de Kimara (district de Sherawa), où plus de 80 membres des groupes djihadistes soutenus par la Turquie ont été tués et plusieurs véhicules militaires détruits [3]. Le 28 mars, les YPG-YPJ ont mené une action dans le village de Dikê (district de Reco) au cours de laquelle 7 djihadistes ont été tués. Parmi eux, deux commandants de groupes djihadistes: Issa Abdulhai (Front Al-Shamiya / Jahba Al-Shamiya) et Abu Miqdad (Arhar Al-Sham) [4]. Le même jour, une opération spéciale menée par les YPG-YPJ sur la route Cindirêsê-Afrin a entraîné la mort de deux soldat turcs tandis que 6 ont été blessés.
Le 25 mars, des affrontements ont éclaté entre deux groupes islamistes à Afrin suite à des différents sur la répartition du butin des pillages effectués dans la ville. Les affrontements se sont étendus également aux zones de Bab et d’Al Ray. En conséquence, à Afrin, le groupe Arhar Al-Sharqiya a tué et arrêté de nombreux membres de Farqet Al Hamza (Hamza division).

Il a été révélé par le Centre d’Information de la Résistance d’Afrin qu’un événement rapporté le 24 février par diverses agences médiatiques appartenant à l’Etat turc était une invention de la machine de propagande de guerre de la Turquie. Les médias turcs avaient filmé 4 villageois âgés attachés et entourés de mines prétendument par les YPG qui les auraient utilisés comme boucliers humains. Un témoin, lui aussi habitant Miskê, a signalé qu’il s’agissait bien d’un acte commis par l’armée turque [5].

Au cours de la dernière semaine, l’armée turque et les groupes djihadistes apparentés ont mis en œuvre leurs politiques de changement démographique à Afrin. Beaucoup de personnes ont peur de retourner à Afrin, car de nombreux cas montrent que ceux qui sont retournés dans la région d’Afrin ont été déportés vers des endroits inconnus. D’autres se sont vus refuser l’autorisation de retourner chez eux et ont été placés dans des villages dirigés et contrôlés par l’armée turque et les forces djihadistes. Les personnes à l’intérieur d’Afrin rapportent des cas de décapitation, de viols et de pressions sur des civils pour identifier les maisons de familles qui travaillaient dans des structures ou institutions de l’auto-administration démocratique ou des forces de défense [6]. En outre, la Turquie, la Russie et le régime syrien ont convenu de transférer la région de Til Rifat et Shehba aux forces armées turques et djihadistes, tout en transférant les combattants djihadistes et leurs familles de Ghouta dans le Nord-Syrie, dont Afrin [7].

En outre, la Turquie a ouvert un nouveau point de passage frontalier de Hatay à Afrin, au niveau du village de Hamamê. Même si, selon la propagande officielle, elle aurait été ouverte afin de faciliter la livraison d’aide humanitaire, on peut s’attendre à diverses utilisations comme le transfert des biens pillés à Afrin vers la Turquie. Les responsables turcs ont annoncé qu’ils nommeront directement un gouverneur pour Afrin et ont déclaré qu’ils établissaient un “conseil” pour gouverner “la nouvelle province turque”. Le conseil créé par la Turquie comprend principalement des personnes – tous des hommes – qui ont vécu pendant des années en Turquie et en Europe. Selon Mezgin Ehmed (responsable de l’auto-administration du Rojava) : “Maintenant, ils veulent utiliser ces traîtres kurdes, qui ont vécu pendant des années dans le giron de la Turquie […] L’un d’entre eux s’appelle Hasan Shendi et a commis en 2013 un attentat à la bombe contre une institution de la société civile, avec le soutien du MIT. 7 personnes de la même famille ont été tuées dans cet incident “.

Des sources locales ont confirmé l’intensification des pratiques de nettoyage ethnique de la Turquie visant à établir un régime islamo-turc à Afrin, alors que 20 familles de combattants du Corps djihadiste Al-Rahman de la Ghouta étaient installées à Afrin, le 27 mars[ 8].

Alors que les menaces d’Erdogan se concentrent également sur Minbij, le 24 mars, des cellules dormantes de l’opération Bouclier de l’Euphrate ont tenté d’assassiner, sans succès, le porte-parole du Conseil militaire de Minbij, Shervan Darwish. Jusqu’à présent, les États-Unis ont nié avoir conclu un accord avec la Turquie pour leur remettre Minbij. Les menaces de la Turquie d’attaquer aussi la région yézidie de Shengal en Irak ont été condamnées par le gouvernement irakien. Celui-ci a envoyé sur place des unités de l’armée irakienne et des discussions sont en cours pour intégrer les Unités de Résistance de Shengal (YBŞ) dans les unités populaires de l’armée irakienne. Les unités des Forces de Défense du Peuple (HPG) du PKK, qui ont défendu la ville au cours des trois dernières années, se sont retirées de Shengal, arguant que les institutions des YBS et la société yézidie sont maintenant assez organisées pour assurer leur propre protection.

Solidarité avec Afrin

Au cours des 69 derniers jours, la solidarité internationale avec la résistance Afrin s’est constamment renforcée. Pour le 24 mars, une journée d’action mondiale a été initiée par divers mouvements sociaux et organisations de la société civile : la Journée mondiale pour Afrin (#WorldAfrinDay). De nombreuses manifestations ont eu lieu dans de nombreux pays et plusieurs dizaines de villes en Allemagne, Autriche, Belgique, Italie, Kurdistan du Sud / Irak, Japon, États-Unis, Chili, Afghanistan, France, Espagne, Canada, Australie, Mexique, Suède, Norvège, Inde, Royaume-Uni, Argentine, Pays-Bas, Danemark, Pologne, Suisse, Grèce, Russie, République tchèque, Portugal, Paraguay, Honduras et autres. De nombreuses manifestations et actions ont été menées en souvenir d’Alina Sanchez d’Argentine et d’Anna Campbell du Royaume-Uni qui ont perdu leur vie dans la défense d’Afrin et de la révolution des femmes. Particulièrement en Amérique du Sud et au Royaume-Uni, les gens les ont commémorées, affichant leurs photos sur des pancartes ou banderoles, les identifiant comme des symboles de la lutte pour la libération des femmes et de la société. Au Pérou, au Mexique, en Pologne et aux États-Unis, des manifestations ont eu lieu devant les ambassade de Turquie, exigeant la fin immédiate de l’occupation. En Italie, les manifestants se sont enchaînés à l’entrée principale de l’ambassade de Turquie bloquant tout accès jusqu’à l’intervention violente de la police.

En Turquie, des étudiants de l’université de Bogazici ont également protesté contre l’occupation d’Afrin. Erdogan a personnellement déclaré que les manifestants étaient une cible légitime de l’action policière et a exigé de leur interdire le droit à l’éducation. 15 étudiants ont été arrêtés.

Les maires kurdes, les journalistes et les députés poursuivent leur grève de la faim pour exiger des actions urgentes de la part des Nations Unies pour mettre fin à l’occupation turque et protéger la vie et les droits du peuple d’Afrin. La grève de la faim a débuté le 19 mars devant le bâtiment de l’ONU à Genève. Dans différentes villes européennes comme devant le parlement suédois à Stockholm, des kurdes ont lancé des grèves de solidarité pour protester contre le silence des gouvernements européens et de l’UE envers la guerre d’agression turque et les violations du droit international [9].

Déclarations et analyses

Les déclaration de solidarité avec la résistance d’Afrin et les condamnations de l’occupation de la Turquie par différentes institutions, partis politiques et organisations de la société civile ne cessent d’arriver. Le 23 mars, le parlement chypriote a condamné l’invasion turque à Afrin [10]. Le Parlement égyptien a souligné que l’occupation d’Afrin par la Turquie est un acte de nettoyage ethnique et a déclaré: “Ces exécutions de masse rappellent le génocide subi par le peuple arménien dans l’empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale” [11]. Le parlement Sud-Africain a condamné les crimes de guerre de la Turquie et a reconnu le droit du peuple kurde à la liberté et à la justice [12].

Human Rights Watch a mené une enquête sur trois crimes de guerre dans lesquels l’armée turque a pris pour cibles des civils à Afrin – les 21, 27 et 28 janvier – tuant au moins 26 personnes, dont 17 enfants [13].

Les députés du parti Die Linke en Allemagne ont condamné l’occupation d’Afrin par la Turquie et sa politique de nettoyage ethnique, exhortant le gouvernement allemand à la condamner aussi et à cesser l’exportation d’armes vers la Turquie [14]. Leanne Wood, une politicienne galloise et leader du Plaid Cymru, a déclaré: “Les Kurdes du Rojava ont défendu leur terres, leurs valeurs et leur culture contre l’Etat islamique, mais le gouvernement turc et leurs bandes armées affiliées ont mené un méprisable assaut sur Afrin” [15]. En Irlande, le Congrès des jeunes Sinn Féin a adopté une motion pour Afrin : “Ce congrès note : Que la situation actuelle des habitants d’Afrin au Rojava – Nord de la Syrie est un sujet de grave préoccupation […] et que l’Etat turc a lancé une guerre d’agression contre Afrin” [16].

Le 26 mars, un article d’investigation a été publié par un groupe de journalistes européens. Ils ont mis à jour la façon dont la Turquie a utilisé 80 millions d’euros des fonds européens à destination des réfugiés pour mettre en œuvre des «politiques de sécurité» à la frontière entre la Turquie et la Syrie, qui sont en conflit avec le droit international. Des véhicules militaires achetés grâce à ces fonds ont été aussi directement utilisés lors de l’opération sur Afrin. Il est également fait état du fait que la construction du mur frontalier long de 911 kilomètres séparant les régions kurdes sur le territoire de la Turquie et de la Syrie a aussi été financée par des fonds de l’UE. Le 27 mars, lors d’une réunion à Varna (Bulgarie) entre les États membres de l’UE et la Turquie, l’UE a confirmé qu’elle donnerait 3 milliards d’euros supplémentaires à la Turquie pour faire face aux situations de réfugiés syriens. Cependant, l’UE a exprimé des préoccupations concernant les actions de la Turquie en Syrie, et en particulier à Afrin [17].

En France, 40 syndicalistes (CGT, CNT, FSU, SUD/Solidaires…) ont lancé un appel à « soutenir l’espoir représenté par le projet du confédéralisme démocratique Rojava » [18]. De plus, un appel international « Rojava : brisons le silence» a été lancé par des universitaires, des militants, des artistes, des journalistes, des politiciens, des syndicalistes et des organisations civiles, notamment la théoricienne féministe Christine Delphy, la militante et auteure Janet Biehl, le rappeur Rocé, le musicien de Pink Floyd Roger Waters, le président du Centre d’Information Alternatif de Jérusalem Michel Warschawski, ou encore l’Union Syndicale Solidaires [19].

Malgré l’opposition et les condamnations dans de nombreux pays, le projet turc d’établir un territoire continu dominé par la Turquie et contrôlé par des bandes djihadistes entre Idlib, Afrin et Jarablus se concrétise de jour en jour. Comme les puissances internationales n’ont pas réagi à l’occupation d’Afrin et aux nombreuses violations du droit international, les ambitions de la Turquie se concentrent maintenant sur les régions de Shehba, Minbij et Shingal. D’autres invasions de l’armée turque et des attaques contre des zones d’habitation kurdes ont été signalées au Kurdistan du Sud (état irakien). La stratégie d’Erdogan, qui cherche à exploiter les intérêts conflictuels des puissances internationales et régionales – UE, USA, Russie et Iran – pour établir son projet d’empire néo-otomanien islamique semble aller de l’avant – jusqu’à où et quand?

Sources et références

[1] https://www.afp.com/en/news/205/nearly-170000-flee-violence-syrias-afrin-un-doc-1314vq1
[2] http://icafrinresist.com/wp-content/uploads/2018/03/HEYVA-SOR_RapportFranci.pdf
[3] http://anfnews.tv/files/632-efrin-merkezde-eylem-19-cete-oelduerueldue.mp4
[4] https://twitter.com/ICafrinresist/status/979090574211997696
[5] https://twitter.com/ICafrinresist/status/977877886765096960
[6] https://twitter.com/ICafrinresist/status/978555863228141568
[7] http://www.syahr.com/en/?p=87890
[8] https://twitter.com/ICafrinresist/status/978918906931892224
[9] https://www.youtube.com/watch?v=dN7Z3IG_b1A
[10] http://www.cna.org.cy/webnews-en.aspx?a=3de1e934b5c2449295e889fb83309c5a
[11] http://english.ajansfirat.com/anf-news-news/egypt-events-in-afrin-are-reminiscent-of-the-armenian-genocide/
[12] https://twitter.com/ICAfrinresist/status/979066684588937217
[13] https://www.hrw.org/news/2018/02/23/syria-civilian-deaths-turkish-attacks-may-be-unlawful
[14] https://twitter.com/ICafrinresist/status/978230388752609280
[15] https://twitter.com/ICafrinresist/status/979077020071194629
[16] https://twitter.com/ICafrinresist/status/979076749278539776
[17] http://www.consilium.europa.eu/en/meetings/international-summit/2018/03/26/
[18] https://www.revue-ballast.fr/rojava-brisons-le-silence/
[19] https://humanite.fr/afrin-appel-de-soutien-de-syndicalistes-652630

 

Le bulletin est téléchargeable ici en version PDF.

Photos : Centre d’Information de la Résistance d’Afrin (réfugié.e.s d’Afrin à Shehba) et Hambastagi.org (femmes manifestant pour Afrin à Kaboul, Afghanistan)

 

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